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À La Une - Rencontre

Ibrahim Maalouf : un souffle du Liban sur la Côte d’Azur

« Diagnostic », son troisième opus sorti en septembre dernier et écoulé à plus de 25 000 albums, est une des plus grosses ventes jazz de l’année, en France. Le musicien franco-libanais a enflammé le Théâtre de Verdure lors de la soirée d’ouverture du Nice Jazz Festival. Remontant le passé intime de son imaginaire musical, le trompettiste a offert un concert multicolore chargé d’émotion.

La famille d’Ibrahim Maalouf est composée d’artistes, de peintres et d’écrivains, dont l’académicien Amin Maalouf. Photo Ville de Nice/Thomas Dalmasso

Vous dites de « Beirut » qu’il est le morceau le plus sérieux de votre concert. Entre tristesse lancinante et violence exacerbée quel est le diagnostic ?
C’est cela qui est bien dans la musique : on arrive à transformer des émotions, des sentiments qui peuvent parfois être liés à des douleurs, à des souffrances en quelque chose peut-être de beau à entendre. Dans ce morceau il y a une mélancolie particulièrement prononcée. Je suis né à Beyrouth, mais je suis parti après ma naissance et c’est une ville que je ne voyais que dans les journaux télévisés. J’ai vraiment découvert Beyrouth pour la première fois à 12 ans, et ce que j’ai vu alors était encore plus fort que les images de la télé. J’ai composé énormément de choses entre 7 et 15 ans que j’ai conservées et que parfois j’exploite un peu. Je me rends compte à présent qu’il y a beaucoup de sentiments que je ne savais pas exprimer avec des mots à cet âge-là. Des émotions dont je n’avais pas forcément conscience. Elles se sont exprimées à travers des mélodies, des harmonies, des rythmes. Quand j’y reviens aujourd’hui et que je pense au contexte dans lequel je les ai composées elles prennent tout leur sens. Beirut est vraiment typique de ce point de vue. J’avais 12 ans quand j’ai composé ce morceau et j’ai mis longtemps à lui donner la forme qu’il devait avoir le temps de comprendre ce qui s’était passé en moi ce jour-là. La mélancolie, la tristesse que j’avais éprouvées, et la violence aussi. C’est quand j’ai rapproché la fin hard rock, très Led Zeppelin, de la mélodie de ma ballade mélancolique dans les rues de Beyrouth, que le morceau a finalement pris tout son sens.

Votre petite fille Lily a 2 ans et demi. Vous lui avez consacré un titre. Elle vous inspire ?
L’inspiration est un sujet mystérieux que je n’ai pas encore cerné. Lily est née grâce à un ami chanteur, Vincent Delerm, avec qui j’ai fait deux tournées. Alors qu’il exécutait un genre de ragtime, sa spécialité, pour faire la balance, une mélodie m’est passée par la tête. C’était au moment où je venais d’apprendre que j’allais être papa. J’ai décliné ce morceau Lily will soon be a woman... Ça démarre comme un ragtime et ça se termine par un délire balkanique oriental. J’ai dessiné en musique ce que j’espère pour ma fille, de sa naissance à son épanouissement dans la vie... Dans Diagnostic j’ai composé un morceau sur le côté obsessionnel du musicien. Un autre sur la schizophrénie de l’identité : je joue de la trompette... Ça signifie que c’est du jazz. Est-ce l’héritage de Miles Davis ou celui de mon père avec toute la musique arabe ?

Trompettiste, pianiste, compositeur, arrangeur, professeur, jazz, rock, électro, musique arabe... Tout ce cumul parce que, justement, vous êtes tombé dedans quand vous étiez tout petit ?
Mon père a fait ses études de trompette avec Maurice André au Conservatoire de Paris. Quand il est rentré au Liban, il a travaillé comme trompette soliste pour l’orchestre de Beyrouth et comme professeur au Conservatoire supérieur de musique de Beyrouth. Quand la guerre a éclaté et que nous sommes rentrés en France, il est devenu professeur au Conservatoire d’Étampes. Il a inventé une trompette quart de tons qui permet de jouer les maqâms arabes. Maman est professeur de piano. J’ai baigné dans la musique. Notre famille est une famille d’artistes avec des peintres, des écrivains. Mon grand-père était poète, musicologue et journaliste aussi ! Mon oncle, Amin Maalouf, vient d’être élu à l’Académie française. Nous avons en famille cette quête de la liberté d’expression ! Je sais que mes parents pensaient revenir très vite au Liban... C’est un peu comme la Syrie actuellement. On croit que ça va se terminer là, demain. On se dit que ça y est, ils vont trouver une solution. Au Liban, cela a duré 17 ans. J’espère que ça ne sera pas pareil pour la Syrie. Mais quand on a vécu la guerre libanaise, on sait la dimension dramatique de ce qui se passe en Syrie. Pour nous, il y a eu cette impossibilité du retour et, quand la guerre s’est terminée, j’étais au collège. On est resté dans la région parisienne. Mes parents ne m’ont jamais dirigé vers une seule option dans la vie, ils ont toujours pris soin de m’ouvrir tous les champs des possibles. Ils n’ont pas essayé de faire de moi un Libanais, ou un Franco-Libanais ou quoi que ce soit. Ils m’ont ouvert les portes des langues, des différentes cultures musicales et c’est peut-être cela qui emmène le métissage dans ma musique.

Quels rêves aimeriez-vous voir se réaliser pour vous-même ?
J’ai déjà l’impression d’en réaliser beaucoup. D’ailleurs je ne réalise pas la chance que j’ai de tourner autant, de vendre mes disques, de vivre de ma musique, ce qui n’est vraiment pas évident aujourd’hui. C’est déjà un rêve qui devient une réalité. Maintenant j’ai envie de me diriger vers la musique de films, de voyager, de découvrir de nouvelles couleurs et de les associer à la mienne. J’ai envie d’avoir plus d’enfants. J’ai envie de vivre de ma musique, plus encore, et pour très longtemps. C’est comme si j’étais protégé par une bonne étoile et je touche du bois pour que ça continue !

L’an dernier vous avez joué au Festival de Beiteddine. Vous avez de nouveaux projets pour vous produire au Liban ?
J’adore jouer au Liban. Toute ma famille, celle qui n’a pas l’occasion de venir en France, est présente ces soirs-là. Quand je raconte mes histoires sur scène, notamment celle du morceau Beirut, quand je parle de certaines images, en France j’essaie de les faire comprendre... Au Liban, je sais que toutes les oreilles et tous les yeux ont entendu et vu ce dont je parle. Il y a une compréhension immédiate de ma musique.

 

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