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À La Une - Société

« Mamnou3 », de la web-dynamite libanaise contre toutes les censures

Le trailer mis en ligne depuis une semaine fait un tabac sur les réseaux sociaux.

L’acteur Paul Matar en ébouriffant patron de Sûreté générale.

Sioufi, paisible matinée de dimanche. La quiétude rejoint la lente montée de l’ascenseur, jusqu’au 11e étage d’un immeuble résidentiel. Arrivé au seuil de l’appartement, le visiteur sursaute : une plaque porte l’indication « bureau de la censure ».

Un flot d’images surgit alors, figeant pour quelques secondes le doigt qui pointe vers la sonnerie d’entrée. Défilent les ciseaux de la Sûreté générale, vénérable gardienne de la conscience nationale, fureteuse des scénarios de cinéma et de théâtre, des suggestions outrageuses de débauche et de mécréance ; traqueuse des complices de la haute trahison. Parce que l’art est un vicieux champ de mines, qu’il faut purger, Mamnou3 (interdit), nouvelle web-série libanaise, qui sera lancée le 1er juillet*, est l’éloge miné du bureau de censure. Dix épisodes de sept minutes simulent la vie à l’intérieur du bureau de la SG, sous forme d’un documentaire-fiction donnant la parole aux officiers responsables de la lourde tâche – mais ô combien nécessaire – de mutiler les productions artistiques.


Le visiteur scrute de près la plaque qui l’avait fait sursauter. Elle s’avère un simple carton accolé au mur, poli de sorte à ressembler à du métal. Comme un grotesque bouffon qui se veut roi. L’observateur en rit, et derrière la porte qui s’ouvre pour l’accueillir, c’est l’équipe de tournage de Mamnou3 qu’il retrouve en pleine action. Les acteurs, en uniforme militaire olive, défilent dans un décor de bureaux délabrés, de dossiers empilés sous la poussière, que balaie, de temps à autre, le souffle des ventilateurs enrouillés. Réplique des administrations publiques. Accent sur la désuétude, tant dans la forme que le fond, de la pratique censoriale, fondée sur un texte de loi lacunaire, issu du mandat français, et dont la SG exploite les nombreux vides.

 

« Plutôt que de dénoncer le bureau de censure, Mamnou3 est une incitation à abandonner des principes qui ne sont plus d’actualité », souligne Ayman Mehanna, directeur du centre SKeyes pour les libertés médiatiques et culturelles, qui parraine la web-série. « Ce projet représente pour nous un nouvel outil de lutte contre la censure », ajoute-t-il. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un séminaire, organisé par SKeyes en décembre 2011, sur le thème de la lutte réfléchie contre la censure, que l’idée de la web-série a germé. Derrière l’initiative, Nadim Lahoud, un jeune financier, ingénieur de formation, qui n’a d’expérience dans la production de films que les courts-métrages qu’il filmait à l’école. « Ce projet n’a certes pas été facile à entreprendre, mais en même temps, le regard extérieur que je porte sur l’industrie du film a été un avantage », confie-t-il. Avantage pour mieux en gérer le budget réduit, mais aussi pour exprimer, sans crainte – comme celle que peuvent avoir peut-être, certains artistes –, l’aberration de l’idée même de censure. « Dans l’art, il est interdit d’interdire », lance-t-il, comme une évidence. « Avec Mamnou3, nous voulons au moins inciter le public à se demander qui censure, pourquoi et de quel droit ? » explique-t-il, faisant remarquer toutefois que « notre premier but est de faire rire ! »

 

Le trailer de Mamnou3.

 

Le scénario, rédigé par Camille Salamé, est guidé par des exemples réels, dont le public a pu juger du ridicule. Mamnou3 veut justement en dépeindre le burlesque, dans l’absolu, et sans déverser entièrement dans le caricatural. Cette approche rejaillit également au niveau de la mise en scène de la web-série. « Nous avons veillé à ce que les rôles soient joués le plus naturellement possible, sans artifices, malgré de petites exagérations ponctuelles, dissimulées », affirme Nina Najjar, la réalisatrice de Mamnou3. Ayman Mehanna explique cette nuance. « Plutôt que de dénoncer le bureau de censure, Mamnou3 est une incitation à abandonner des principes qui ne sont plus d’actualité. Et c’est là la caricature, en tant qu’exagération qui reflète le caractère profond du personnage », dit-il. C’est cet équilibre précis, entre la réalité, souvent saugrenue, et l’agrément d’humour qu’incarne le personnage de « Sidna », ou le colonel directeur du bureau de la censure, joué par Paul Mattar. « La censure est beaucoup plus gentille qu’elle ne le paraît », estime-t-il, comme pour minimiser le rôle même du bureau de censure. « Le vrai problème est la confiance qui est absente dans le rapport entre l’État et le peuple, qu’il estime incapable de s’autogérer », selon lui. Cette « maturation » qui manque rejaillit dans la pratique latente de la censure. Mamnou3 paraît, dans ce contexte, une expression concrète, nuancée de l’esprit acerbe. Le trailer mis en ligne depuis une semaine fait un tabac sur les réseaux sociaux. Ses épisodes promettent, à partir de demain, d’ébaucher d’une manière ludique une profonde émancipation...

*Les épisodes de Mamnou3 seront lancés en ligne chaque semaine à partir du 01/07/2012 sur www.mamnou3.com, YouTube,
www.skeyesmedia.org et les réseaux sociaux, Facebook et Twitter notamment.

Sioufi, paisible matinée de dimanche. La quiétude rejoint la lente montée de l’ascenseur, jusqu’au 11e étage d’un immeuble résidentiel. Arrivé au seuil de l’appartement, le visiteur sursaute : une plaque porte l’indication « bureau de la censure ».
Un flot d’images surgit alors, figeant pour quelques secondes le doigt qui pointe vers la sonnerie d’entrée. Défilent les...

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