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À La Une - L'impression de Fifi ABOU DIB

Raclées et miracles

On a entendu des coups de feu toute la nuit, m’a écrit mon ami virtuel, ça m’a rappelé mon enfance. Les doux souvenirs de notre enfance sont d’ailleurs revenus par vagues au cours de cette semaine pour le moins mouvementée. En ce temps-là, quand une accalmie s’installait quelques jours et qu’on pouvait aller à l’école, nous demandions souvent : Y aura-t-il de nouveau la guerre ? La réponse ne se faisait pas attendre. Un incident isolé, une provocation, si c’était un blessé on l’échappait belle, s’il y avait un mort, c’était reparti pour un long tour. On vivait pourtant, il ne faut pas croire. On faisait des courses, on se déplaçait, il fallait bien, quand c’était « calme ». Mais oui, c’est calme, le tireur embusqué fait relâche, c’est l’heure de son café, alors on va chez des amis, oh, pas bien loin, on révise, bientôt les examens. La vie continue, un peu plus difficile qu’ailleurs, mais elle continue, on le sait. La principale consigne à une époque sans cellulaire, voire sans téléphone, c’était de rester sur place, une fois sorti, de crainte que « ça ne recommence » pendant qu’on est sur le chemin du retour. Du coup, on était malades d’inquiétude les uns pour les autres. Tout le temps. Et puis on s’inquiétait moins.
Y aura-t-il de nouveau la guerre ? Vieille, très vieille question que refoule en permanence l’enfant au fond de nous. Y aura-t-il de nouveau la guerre et la prochaine fois, d’où viendra-t-elle ? Du sud, du nord, de l’est, de la mer ? La réponse est simple, la guerre ne revient pas, elle est là, tout le temps, virale, fébrile, convulsive, prête à éclater. On l’a faite, nos parents l’ont faite, nos grands-parents l’ont faite, on la refera, il n’y a pas de raison. Il suffit de peu, de l’argent, des armes, et cette question qui nous épuise et nous pousse insidieusement à passer à l’acte. Fous ? Stupides ? On n’en sait rien, c’est juste parfois irrépressible. Quand ce ne sont pas les autres, Israël ou le diable vert qui viennent se dérouiller chez nous, nous savons faire tout seuls. Brûler des pneus par exemple. Ça devient une manie. Des pèlerins enlevés à Alep ? On brûle des pneus. Un attentat à Bagdad ? On brûle des pneus. Le problème avec les pneus, c’est qu’ils font beaucoup de fumée, pas mal de feu, mais il n’y a pas le son. Pour que la jouissance soit complète, et que nul n’en ignore, il faut vider quelques chargeurs de mitraillettes. Toutes ces armes aux mains d’au moins la moitié de la population, c’est clair qu’elles ne servent ni à donner l’heure ni à prévoir la météo. En revanche, elles permettent de présager l’avenir.
De guerres nous aurons toujours notre lot et il y en aura pour tout le monde tant qu’abonderont sur nos terres, dans nos foyers, sous nos oreillers, dans nos placards, nos boîtes à gants, nos greniers, nos pupitres, les joujoux qui rendent fort, les joujoux qui rendent fou. À la longue, on n’est même plus impressionné. On attend que ça passe. Le lendemain, on revient à sa tâche comme si de rien n’était. On produit, on consomme, on se détend, on va à la plage, on voit des films, on fait la fête. On appelle ça le « miracle libanais ». C’est juste l’habitude.
On a entendu des coups de feu toute la nuit, m’a écrit mon ami virtuel, ça m’a rappelé mon enfance. Les doux souvenirs de notre enfance sont d’ailleurs revenus par vagues au cours de cette semaine pour le moins mouvementée. En ce temps-là, quand une accalmie s’installait quelques jours et qu’on pouvait aller à l’école, nous demandions souvent : Y aura-t-il de nouveau la guerre...

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