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À La Une - Soudans

Entre Khartoum et Juba, une course-poursuite pour empêcher la guerre

Les questions non réglées, parmi lesquelles le tracé de la frontière commune, le pétrole et le statut de zones contestées, enveniment les relations entre les deux pays.

Les réparations sont en cours à la raffinerie de Heglig, après dix jours d’occupation de l’armée sud-soudanaise le mois dernier. Photo AFP

Depuis la proclamation d’un État du Soudan du Sud indépendant en juillet 2011 avec Juba pour capitale, les tensions se sont encore envenimées avec Khartoum, la capitale du Soudan, avec pour cause des questions non réglées, parmi lesquelles le tracé de la frontière commune, le pétrole et le statut de zones contestées comme Abyei et Heglig, régions pétrolières stratégiques. En devenant autonome, le Sud a récupéré 75% des ressources pétrolières d’avant la scission, tout en restant dépendant du Nord pour l’exporter. Faute d’accord sur les taxes de passage que le Sud devrait payer pour l’utilisation de son oléoduc, Khartoum a décidé de se payer en prélevant du brut sud-soudanais, à la fureur de Juba qui a stoppé en janvier ses exportations de brut, se privant de 98% des recettes, et coûtant 2,4 milliards de dollars à Khartoum.


Les tensions ont culminé quand l’armée sud-soudanaise s’est emparée durant une douzaine de jours de la zone de Heglig, revendiquée par les deux pays mais jusqu’ici contrôlée par l’armée soudanaise. Il est important de préciser que Heglig, dont les installations ont été endommagées durant les affrontements, fournit à Khartoum la moitié de sa production de pétrole.


«La relation entre le Soudan et le Soudan du Sud se trouve à un moment difficile avec une confiance mutuelle très réduite, une rhétorique enflammée et des accusations de part et d’autre. Dans ce contexte, aucun des deux pays ne progresse suffisamment dans la construction d’une relation forte et mutuellement bénéfique», déclarait ainsi le secrétaire général adjoint des Nations unies aux opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous, lors d’une séance au Conseil de sécurité, le 11 novembre 2011. Cette déclaration synthétise à merveille la situation actuelle entre les deux Soudans, sans pour autant tomber dans le piège d’une vision simpliste de leurs rapports.


Une question se pose: le fait de régler le conflit serait-il réellement dans les intérêts du Nord – et du Sud – notamment concernant le pétrole? Ou une guerre servirait-elle mieux leurs intérêts respectifs? D’après Roland Marchal, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), du point de vue de la population des deux côtés, «c’est oui à un règlement. Khartoum connaît une récession économique depuis la scission avec le Sud, sans oublier les oppositions armées au Nord. Cette guerre avec le Sud permet en outre de nourrir un mécontentement populaire envers les Sudistes». Ce conflit soulève aussi d’autres problèmes, d’autres responsabilités et met en évidence la profonde corruption du régime de Khartoum et du Congrès national au pouvoir. Des violences et intimidations sont régulièrement recensées. «Il y a un désir de changement chez les populations du Nord; peut-être pas un changement de régime, mais une évolution est voulue, en tout cas. C’est quand même un régime essoufflé», ajoute le spécialiste.

 

Quant au Sud, il connaît des conflits internes – notamment au niveau des élites, «donc un conflit avec le Nord permet de ressouder les rangs». Et au niveau économique, «il y a aussi la prise de conscience d’un très mauvais calcul: l’arrêt de la production de pétrole sous prétexte de tarifs élevés. Donc ils réalisent que les revenus pétroliers – 98% – ont été pris dans l’engrenage», précise M. Marchal, qui estime qu’une guerre serait donc une façon de régler les problèmes internes, surtout qu’il y a l’illusion que le régime de Khartoum peut tomber militairement. Mais c’est naïf car quiconque prendra le pouvoir ne sera pas nécessairement un meilleur négociateur que celui en place actuellement.


Christian Delmet, chercheur retraité au CNRS de Paris et chercheur associé au CEMA (Centre d’études des mondes africains), juge pour sa part qu’une reprise du conflit, «c’est presque un double suicide. Celui qui a surtout réagi, c’est le Nord: en plus d’avoir perdu de l’argent, il subit une crise sociopolitique. Le Nord se retrouve amputé de certains revenus, tout en ayant d’autres ressources ». «De son côté, le Sud a coupé les robinets du pétrole (...) et a permis une offensive frontale avec Khartoum, qui est en fin de compte tombé dans le piège de la prise de Heglig, en représailles aux tergiversations et intimidations concernant le tracé des frontières et les taux de passages du pétrole », poursuit-il. Notons qu’une autre provocation consiste à faire transiter le pétrole par le Kenya.
Benjamin Augé, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI), confirme cette idée: «La guerre entre les armées dans la zone de Heglig a été catastrophique pour les deux États. Mais cela a davantage pénalisé Khartoum pour le pétrole (...) Le but du Soudan du Sud lorsque son armée a envahi Heglig était clairement de faire réagir Khartoum, ainsi que la Chine et la communauté internationale en général. Le message était on ne peut plus clair : il faut négocier sur de nouvelles
bases.»

La position chinoise
En effet, la Chine semble avoir des intérêts majeurs dans la région, surtout qu’elle est un client privilégié du Soudan, notamment du point de vue pétrolier, et se trouve actuellement dans une situation extrêmement inconfortable. «Elle a une position cruciale, d’autant qu’elle tente de maintenir de bonnes relations avec Khartoum et Juba.

 

D’un autre côté, elle a toujours essayé d’éviter d’être impliquée dans les conflits, en tout cas en apparence», selon Roland Marchal, rejoint en ses propos par M. Augé: «Pékin a un rôle central dans la résolution de ce conflit. Elle achète en effet près de 90 % de la production pétrolière soudanaise, mais elle a également investi des milliards dans d’autres secteurs: télécommunications, constructions... et a consenti d’importants prêts au Soudan. Comme elle était très proche de Khartoum, l’indépendance de Juba l’a mise en difficulté car les trois quarts des réserves pétrolières sont au Sud (...) En résumé, elle doit faire une croix sur sa diplomatie basée officiellement sur la non-ingérence.» Christian Delmet va, lui, un peu plus loin: «La Chine a raté le coche, car elle espérait que le Soudan resterait uni, et a donc misé sur le Nord. En outre, Salva Kiir (président du Sud-Soudan) était à Pékin récemment, où il a parlé de la construction d’un pipe-line passant par l’Ouganda et le Kenya. Mais la Chine n’a ni accepté ni refusé. Un tel projet la mettrait à mal avec Khartoum, bien entendu. Mais il pourrait tempérer les mauvaises volontés de Khartoum et faire pression pour un cessez-le-feu », ce qui nous permet de supposer que finalement, Pékin s’impliquera activement au niveau diplomatique afin de régler la crise entre les deux frères ennemis.


Concernant la communauté internationale, l’on ne peut qu’estimer qu’elle attend davantage la chute de Khartoum que le pétrole du Sud. En plus, la situation humanitaire s’aggrave, et laisse penser à un scénario semblable à celui du Sud-Darfour.

Menace de crise humanitaire ?
Toutefois, pouvons-nous réellement établir un parallèle entre le conflit Nord-Sud et la situation au Darfour, notamment en termes d’augmentation de la violence et de crise humanitaire, comme l’avait récemment suggéré un responsable de l’ONU sur place? Benjamin Augé n’adhère pas à cette théorie: «Les deux conflits ont des conséquences humanitaires très lourdes. Cependant, le cas du Darfour n’a pas de rapport particulier avec le conflit récent de Heglig entre le Nord et le Soudan du Sud (...) Le président soudanais Omar el-Béchir – pressé par l’ONU – a tenté de régler la même année les deux conflits. Cela a conduit en juillet 2011 à l’indépendance de Soudan du Sud ainsi qu’à la signature du Darfur Peace Agreement le même mois. Signé par certains groupes darfouris uniquement, cet accord prévoit la nomination d’un vice-président ainsi que la création d’une Darfur Regional Authority. En définitive, le Soudan, jadis pays le plus grand d’Afrique, est en train de se disloquer.»

Contenir la crise
En fin de compte, une trêve entre le Nord et le Sud est-elle possible? Et quel bilan peut-on établir presque un an après l’indépendance du Sud? Pour Roland Marchal, «le dispositif diplomatique actuel consiste à contenir les troubles, plutôt qu’une guerre totale. On est dans une espèce de course-poursuite pour empêcher une catastrophe, mais tout est possible, les leaders n’étant pas nécessairement éclairés des deux côtés», avant de d’ajouter: «Les observateurs et diplomates avaient prédit que la première décennie allait être catastrophique pour le Soudan du Sud.» D’après Benjamin Augé, «les deux Soudans ont privilégié le scénario du pire: la guerre pour se faire entendre. Les dossiers les plus épineux n’ont pas été tranchés et pour cause: les deux parties ont pris des positions extrêmes depuis août 2010 (début des négociations) ». De même, le Sud qui a tout à construire ne pourra pas tenir bien longtemps sans revenu.

 

Quant au Nord, la crise économique se fait pour lui de plus en plus dure : inflation (plus de 20 %), chômage, arrêt de toute subvention sur les denrées de premières nécessités. Cela entraîne des contestations internes de plus en plus fortes, se rajoutant aux problèmes au Sud et au Darfour.


L’incertitude est également présente chez Christian Delmet, qui demeure toutefois un peu plus optimiste : « On peut s’attendre à un arrêt de la coopération entre le Nord et le Sud » – précisons que ce dernier, chrétien et animiste, a par exemple arrêté l’enseignement de la langue arabe à l’école, et cette mesure a une forte portée symbolique pour le Nord, arabo-musulman – et l’expert de conclure : «On peut s’attendre au pire, mais je ne pense pas vraiment que l’on va vers une guerre ouverte.»

Depuis la proclamation d’un État du Soudan du Sud indépendant en juillet 2011 avec Juba pour capitale, les tensions se sont encore envenimées avec Khartoum, la capitale du Soudan, avec pour cause des questions non réglées, parmi lesquelles le tracé de la frontière commune, le pétrole et le statut de zones contestées comme Abyei et Heglig, régions pétrolières stratégiques. En...

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