Rechercher
Rechercher

À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

La tambouille des anges

Il y a cinq ans, le dictateur de Corée du Nord était privé de caviar, de truffes et de vins fins d’importation par la grâce de sanctions européennes. Inutile de préciser qu’il a survécu sans trop de mal à cette cruelle épreuve, de même que son odieux régime actuellement incarné d’ailleurs par son rejeton, troisième de la dynastie Kim. C’est à nouveau l’exportation de produits de luxe vers la Syrie qu’interdisait jeudi l’Union européenne, visant de toute évidence ainsi le couple présidentiel dont le train de vie, récemment dévoilé par des fuites dans son courrier électronique, en a choqué plus d’un.

 

Là aussi, il est bien peu probable que la pénurie de sacs Vuitton, de robes Dior et de montres Cartier, facilement contournable au demeurant, ait quelque heureux effet sur le déroulement de la crise syrienne. Dans les palais présidentiels, on ne se résignera pas à manger des biscuits faute de pain. Mais en réalité, c’est l’impact symbolique de cette mesure qui compte, veut-on croire à Bruxelles, c’est la baisse de prestige qui en résulte pour le président et ses proches. Allez savoir...


Non moins déconcertante est la décision annoncée le même jour par Barack Obama, qui a autorisé le principe – et seulement le principe, jusqu’à nouvel ordre – de sanctions contre les fournisseurs de systèmes électroniques susceptibles de faciliter les violations des droits de l’homme, tant en Iran qu’en Syrie. L’Amérique, comme on sait, est la patrie des gadgets et tout un chacun peut y trouver, en vente libre le plus souvent, ces petites merveilles technologiques qui feraient le bonheur de tout espion amateur. Considérablement plus sophistiqués et coûteux cependant sont les appareillages permettant aux gouvernements de surveiller écoutes téléphoniques, échanges de messages SMS et courrier électronique : autrement dit de jouer à leur tour les hackers. Ce qui surprend, dès lors, c’est qu’il aura fallu 13 mois de révolution et plus de 11 000 morts pour que l’administration US se soucie soudain des fournitures à Damas de matériel high-tech américain menaçant gravement ce qui est l’atout premier de la révolution syrienne : la mobilisation des manifestants et l’identité secrète des animateurs...


Et puisque l’on est en pleine extravagance, que dire de la mission confiée à ces observateurs de l’ONU que l’on envoie désarmés, et en nombre ridiculement restreint, dans une Syrie où chaque ville est le théâtre d’une effroyable répression à l’artillerie lourde et où des dizaines de morts tombent tous les jours ? Ce ne sont pas 300 observateurs en effet, mais dix fois, vingt fois plus, qu’il eût fallu pour en faire des témoins crédibles, pour contraindre le régime Assad à honorer ses engagements à faire taire le canon, à retirer ses troupes des centres urbains, à libérer les milliers de détenus politiques, sous peine de le dénoncer auprès des mêmes Nations unies qui ont jeté ces observateurs dans le chaudron syrien.


Dans de telles conditions, attendre des miracles du plan de sortie de crise de Kofi Annan paraît relever de l’angélisme : terme qui, sur un tout autre plan, pourrait parfaitement s’appliquer à certains propos du président Michel Sleiman, qui se voulaient rassurants. Visitant récemment l’Australie, le chef de l’État a cru bon d’affirmer, de la manière la plus catégorique, que l’ère des meurtres politiques était à jamais révolue au Liban. On ne demande évidemment qu’à le croire. Mais il n’empêche qu’on se demande aussi de quelles sortes de garanties se prévaut le président pour en être aussi certain : d’autant que ce faisant, il a paru tenir pour un simple canular la tentative d’assassinat à laquelle a échappé dernièrement le chef des Forces libanaises Samir Geagea, et dont le ministre de l’Intérieur avait lui-même souligné l’angoissante réalité et l’extrême gravité.


On veut croire que ce n’était là qu’un vœu pieux, dans un monde politique libanais où les anges ne courent pourtant pas les rues.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Il y a cinq ans, le dictateur de Corée du Nord était privé de caviar, de truffes et de vins fins d’importation par la grâce de sanctions européennes. Inutile de préciser qu’il a survécu sans trop de mal à cette cruelle épreuve, de même que son odieux régime actuellement incarné d’ailleurs par son rejeton, troisième de la dynastie Kim. C’est à nouveau l’exportation de...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut