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À La Une - Rencontre

Denis Pietton à « L’OLJ » : La beauté du Liban est que chacun y a besoin de l’autre

Entre Denis Pietton et les Libanais, c’est une histoire de respect et d’attachement sincère. Elle avait pourtant mal commencé avec le décès de son épouse dans le crash de l’avion éthiopien. L’ambassadeur de France, fraîchement arrivé à Beyrouth, aurait pu faire un rejet de ce pays qui le frappait involontairement. Mais il a préféré au contraire donner sa chance au Liban et aux Libanais, jetant un regard bienveillant sur le pays et essayant de comprendre les convulsions de cette région en pleine mutation. Diplomate hors normes, il a une liberté de ton peu courante dans ce milieu et il conçoit sa mission comme un investissement total dans les sociétés où il est en poste. C’est pourquoi, abstraction faite des critiques de certains et des éloges parfois trop appuyés d’autres, il a toujours tenté de faire coïncider les intérêts du pays qu’il représente avec ceux du Liban. Il rentre dimanche en France où il occupera le bureau de directeur de la section Moyen-Orient et Afrique du Nord au Quai d’Orsay. Ce qui signifie qu’il maintiendra le contact avec le Liban et avec son successeur à l’ambassade de France Patrice Paoli...

L'ambassadeur de France au Liban, Denis Pietton.

Question. Le ministre des AE iranien a déclaré hier que si le président français a fait un mauvais score au premier tour de l’élection présidentielle, c’est à cause de ses positions contre l’Iran. Qu’en pensez-vous ?
Réponse. Je ne crois vraiment pas que la question iranienne soit liée à l’élection présidentielle française. On peut d’ailleurs regretter que la politique étrangère occupe si peu de place dans un tel scrutin. Mais dans les démocraties, ce sont les questions économiques et sociales qui priment.

La politique étrangère ne compte-t-elle donc pas ?
Cela dépend du périmètre que l’on donne à la politique étrangère. Nous sommes dans l’ensemble européen. Les Français savent depuis longtemps que beaucoup de décisions internes dépendent des discussions entre partenaires au sein de l’Union européenne, notamment avec l’Allemagne. Dans ce contexte, le mot de politique étrangère n’est plus adapté. Mais cela ne signifie pas que des sujets comme la Syrie, l’OTAN ou le Proche-Orient n’ont pas été évoqués dans la campagne.

Pensez-vous que la diplomatie française a essuyé un échec en Syrie ?
On ne peut pas parler d’échec quand on a tout essayé pour faire changer les choses. Or, on ne peut pas dire que la France n’a pas tout fait pour que le dossier soit traité au Conseil de sécurité des Nations unies, dont la mission est de défendre la paix internationale. Le président Sarkozy et le ministre des AE Juppé ont tout fait pour rectifier l’anomalie qui maintenait le dossier syrien en dehors du Conseil de sécurité. Nous avons été très actifs et nous en sommes à notre quatorzième train de sanctions contre le régime. Nous sommes à l’origine de la création du groupe des Amis de la Syrie et nous avons accueilli récemment une réunion des ministres des AE dans ce but.

Il avait été question d’une réunion des Amis de la Syrie au début de mai à Paris. Cette idée a-t-elle été abandonnée ?
Le calendrier n’a jamais été très défini. La date de la prochaine réunion dépend des résultats de la précédente et de ceux engagés par les mesures adoptées. Des progrès ont été accomplis au niveau de la restructuration de l’opposition. En même temps, la pression sur le régime est maintenue et la séquence actuelle est celle de l’application du plan de l’ONU. La réunion d’Istanbul avait eu lieu le 1er avril. Il faut que la prochaine donne des résultats. C’est pourquoi il faut laisser du temps à M. Annan. Pour l’instant, on ne peut pas dire que les choses évoluent dans le bon sens...

Et si elles continuent à ne pas évoluer dans le bon sens, que ferez-vous ?
Si nous constatons que le cessez-le feu n’est pas respecté, que les villes ne sont pas libérées de la présence militaire, que les armes lourdes continuent à être utilisées et que la répression se poursuit, on verra. Pour l’instant, le compte n’y est pas. De plus, la mission Annan prévoit aussi une dynamique qui inclut la liberté de manifester pacifiquement, le respect des droits de l’homme et l’enclenchement d’un processus politique qui devrait aboutir à l’instauration de la démocratie.

Pensez-vous qu’au fond, certains de vos alliés, dont les États-Unis, ne voulaient pas réellement d’un changement de régime en Syrie ?
L’objectif n’était pas de changer le régime. Cela l’est devenu en raison du comportement de celui-ci. Mais notre but est de passer d’une dictature vers une démocratie, par le biais d’une période transitoire aboutissant à des régimes démocratiques, selon des critères universels. On peut penser que le président Bachar el-Assad n’aura pas de rôle dans le futur. Trop de sang a été versé.

À propos des critères démocratiques universels, pensez-vous que certains de vos alliés dans le Golfe les respectent ?
Ce sont en tout cas des pays où on ne tue pas 11 000 personnes pour réprimer. Certes, des situations nous préoccupent, comme à Bahreïn où nous estimons que le régime n’a pas fait suffisamment d’efforts. Nous le lui disons et nous maintenons une pression permanente sur lui.

Avez-vous une idée de la personnalité qui pourrait devenir le nouveau ministre des AE si M. Hollande était élu président au second tour ? On parle de Laurent Fabius.
Les Français n’ont pas encore voté pour le second tour. On ne sait pas quels seront les résultats. Je n’ai donc aucune idée sur le sujet.

Dans quelle mesure la politique de la France au Moyen-Orient et au Liban pourrait-elle changer avec un nouveau président ?
Il ne devrait pas y avoir de véritable changement, car les éléments de la continuité l’emporteront. La politique de M. Sarkozy est connue et M. Hollande s’est déjà exprimé au sujet du dossier syrien. Au Liban, la position traditionnelle est de protéger la stabilité, l’indépendance et l’intégrité du pays. Il ne s’agit pas d’un sujet électoral, car il fait l’objet d’un consensus national. Il peut y avoir des différences dans le calendrier, mais il y a une continuité dans la politique étrangère. Je ne peux pas dire qu’il n’y a pas des inflexions. Mais les fondamentaux restent et les variations ne portent pas sur des éléments essentiels.

Il y a pourtant eu un changement dans la politique de la France à l’égard du Liban, puisque, à un moment, elle était en faveur d’un camp contre l’autre alors qu’elle a ensuite ouvert un dialogue avec toutes les parties...
Nous avons toujours dialogué avec tout le monde. Il est vrai que nous avons lutté en faveur du TSL et de la fin de l’impunité au moment où ces sujets étaient conflictuels au Liban. Ils le sont moins aujourd’hui. Et le Premier ministre Mikati s’est engagé à respecter les résolutions internationales, et nous autres, nous respectons l’intégrité territoriale et l’indépendance du Liban.

Que pensez-vous de la politique officielle de rester à l’écart des développements en Syrie ?
On n’attend pas du Liban des positions en flèche au sujet du dossier syrien. Par contre, nous pensons que les réfugiés syriens doivent être traités de façon correcte. Ce qui est globalement le cas.

Pensez-vous que la situation en Syrie pourrait avoir de graves répercussions sur le Liban ?
Les répercussions sont assez évidentes. Il y a un clivage au Liban sur le sujet qui entraîne un risque de conflit politique. J’espère d’ailleurs qu’il restera politique. Il y a aussi des répercussions économiques car la Syrie est dans l’axe d’exportation vers les pays du Golfe. Il y a encore des conséquences humaines, au Nord et dans la Békaa, et enfin, des risques sur l’intégrité territoriale. D’où l’importance de la question du tracé des frontières, qui doit un jour ou l’autre être reposée. M. Saad Hariri avait commencé par l’aborder, mais il y avait alors eu peu de répondant.

Comment peut-on faire la distinction entre les réfugiés syriens qu’il faut accueillir et les combattants de l’opposition qui utilisent le Liban comme base arrière ?
Les choses sont claires. Beaucoup de Syriens vivent au Liban comme travailleurs. Les réfugiés, eux, sont des familles et posent un problème d’insertion provisoire et un autre d’hébergement. Ils ont besoin de ressources pour vivre. Par contre, il est normal que les personnes armées soient désarmées car un pays ne peut pas accepter des éléments armés étrangers sur son territoire. La politique libanaise sur ce sujet est donc compréhensible. En même temps, il y a un devoir humanitaire pour le Liban d’héberger les Syriens qui risquent la mort dans leur pays. Je souhaite que l’afflux de réfugiés ne se poursuive pas car la situation est préoccupante. Le HCR et de nombreuses ONG sont très actifs et nous soutenons leur travail.

Croyez-vous que la crise syrienne est appelée à se prolonger, et dans ce cas, le danger ne sera-t-il pas plus grand pour le Liban ?
Le chemin semble encore long. La première étape du plan de M. Annan n’a pas encore été franchie. Si les réponses attendues du président syrien ne viennent pas, les risques sont plus grands pour le Liban...

Pourquoi la situation en Libye n’intéresse-t-elle plus la France ? Elle est pourtant loin d’être réglée et les victimes continuent à tomber...
La Libye devrait-elle être mise sous protectorat ? Il y a un moment où les Libyens doivent s’occuper de leurs affaires. C’est vrai qu’il y a de vraies questions qui doivent être réglées et que la situation en Libye a un impact sur les pays voisins (Mali). Mais c’est aux Libyens et aux pays d’Afrique de les régler.

Quelle est votre réelle évaluation du « printemps arabe » ?
Il y a eu une période de grande espérance, presque d’enivrement. À la base, il s’agissait d’aspiration à la liberté, à la démocratie et à la justice sociale. Après, on se heurte à certaines réalités. Le processus démocratique est lent. La tenue d’élections est indispensable, mais elle ne résout pas tous les problèmes.

Comprenez-vous la crainte des chrétiens d’Orient de faire les frais du « printemps arabe » ?
Je la comprends et je la respecte. Ce serait une grave erreur de la minimiser. Mais il ne faut pas non plus passer à côté du sens de l’histoire. Il faut être vigilant. Le respect des minorités, des libertés de penser, des croyances et de la diversité est un objectif qui doit être garanti et confirmé. Les craintes des chrétiens sont légitimes, mais ceux-ci doivent éviter le registre de la victimisation. Ils sont minoritaires, mais ils sont au cœur de cette région et ils ont été à la pointe des combats du monde arabe. Il faut donc aujourd’hui de grands leaders chrétiens qui montrent qu’ils n’ont pas peur du changement et de grands leaders musulmans qui sachent que le changement ne peut pas se faire avec une seule composante...

Croyez-vous à la théorie de l’alliance entre l’Occident et les Frères musulmans dans la région ?
Dans cette région, on met en avant la théorie de la conspiration. Mais les choses ne se passent pas tout à fait comme cela. Les mouvements populaires n’avaient pas été prévus. Ils ont profité aux groupes les plus structurés ou à ceux qui avaient le plus subi l’oppression. Chaque pays a sa spécificité. On ne choisit pas ses interlocuteurs. Le meilleur test, ce sera la possibilité de l’alternance du pouvoir. Il faut tenir compte de la volonté populaire qui, elle, doit tenir compte de la diversité. Si nous pouvons contribuer dans ce domaine, nous sommes prêts à le faire. À mon avis, les enjeux socio-économiques sont énormes. Il y a aussi une pédagogie du pouvoir qui exige de rechercher des alliances, de conclure des compromis et de chercher des solutions aux problèmes, notamment sociaux. Il faut donc redescendre sur terre.

Pensez-vous que la stabilité qui règne actuellement au Sud est due à la présence de la Finul ou au rapport de force entre le Liban et Israël ?
Les deux. L’environnement régional n’est pas favorable au déclenchement de nouveaux conflits. La Finul joue aussi son rôle. Il y a eu des attentats regrettables, mais la population au Sud sait que la Finul est là pour la stabilité régionale et pour protéger le Liban.

Mais le rapport de force militaire est-il un facteur de stabilité au Sud en faisant de la dissuasion ?
Le surarmement n’est jamais un facteur de stabilité. Vous savez quelle est la position de la France qui exige le désarmement de toutes les milices et la concentration des armes entre les mains des forces officielles. Mais nous savons que cet objectif doit faire l’objet d’un consensus minimal chez les Libanais. Nous n’en sommes pas là et je le regrette.

Pensez-vous qu’il y a un risque réel de guerre dans la région ou d’attaque contre l’Iran ?
Je ne crois pas. L’option d’un conflit avec l’Iran est justement ce que nous voulons éviter. C’est pourquoi il y a les sanctions et la réunion d’Istanbul qui n’a pas répondu à toutes les questions, mais qui a changé un peu le climat général. Je me place dans cette perspective.

Pensez-vous que le modèle libanais est menacé avec la montée des extrémismes dans la région ?
La formule libanaise repose sur un équilibre des pouvoirs, et la participation reste fragile parce que rien n’est définitivement gagné. Les accords de Taëf et de Doha ont permis aux Libanais de trouver le cadre, mais il reste encore beaucoup à faire. L’État doit être plus respecté et il y a un décalage entre les aspirations des Libanais et la réalité. Je crois d’ailleurs que les plus critiques envers le système libanais sont les Libanais eux-mêmes. Il faudra bien à un moment rouvrir le chantier constitutionnel. Mais il faut pour cela un minimum de consensus. La beauté du Liban est que chacun y a besoin de l’autre, mais il faut repenser sans cesse les détails. Sans remettre en cause les grandes équations, il faut aussi progresser. La loi électorale peut être une occasion pour cela, mais c’est l’affaire des Libanais. Il faudrait aussi que le dialogue national trouve un nouvel élan...

Avez-vous un regret en partant après deux ans et demi en poste au Liban ?
Le départ est toujours l’occasion d’un bilan. Je me suis retrouvé dans cette situation lorsque j’ai quitté mes postes précédents. Mon séjour au Liban est ce qu’il est. J’ai fait de mon mieux. J’ai d’ailleurs agi avec un regard d’empathie. C’est un métier où on est obligé d’aimer les gens et la société où on travaille. Je ne pense pas avoir péché par manque d’intention ou de volonté.

Avez-vous fait tout ce que vous auriez voulu faire ?
Il faut être réaliste. Il y a eu deux périodes dans mon séjour, celle du gouvernement d’union nationale et celle du gouvernement Mikati. Je crois qu’il est important de maintenir les visites au plus haut niveau entre la France et le Liban. Les Libanais sont sensibles à l’attention qu’on leur porte. La France est l’amie des bons et mauvais jours. La France s’intéresse au Liban pour ce qu’il est et aux Libanais pour ce qu’ils sont. Il faut continuer d’alimenter cette relation.

Avez-vous un conseil à adresser à votre successeur (comme éviter les mondanités, etc.) ?
Mon successeur Patrice Paoli, qui occupe actuellement le poste que je vais prendre en charge, est quelqu’un qui a suivi de près l’évolution du Liban. Il est parfaitement informé (si en tout cas l’ambassade à Beyrouth fait correctement son travail). Il apportera sa personnalité riche avec ses multiples centres d’intérêt dont la musique.
Question. Le ministre des AE iranien a déclaré hier que si le président français a fait un mauvais score au premier tour de l’élection présidentielle, c’est à cause de ses positions contre l’Iran. Qu’en pensez-vous ?Réponse. Je ne crois vraiment pas que la question iranienne soit liée à l’élection présidentielle française. On peut d’ailleurs regretter que la politique...

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