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À La Une - L’ecclésia de Beyrouth

Du devoir d’empathie sur les cimes de la liberté

Qu’il est lourd à payer, le tribut de la liberté !
Dans des pays comme ceux du Machreq où l’État a presque toujours été synonyme d’appareil sécuritaire et militaire répressif (surtout au cours du demi-siècle écoulé), ce sont surtout les associations des droits de l’homme et la presse – du moins une poignée de journalistes libres et courageux – qui ont surtout porté l’étendard des libertés publiques.
« Il en est une seule (chose) que les hommes, je ne sais pourquoi, n’ont pas même la force de désirer. C’est la liberté : bien si grand et si doux ! que dès qu’elle est perdue, tous les maux s’ensuivent, et que, sans elle, tous les autres biens, corrompus par la servitude, perdent entièrement leur goût et leur saveur. La seule liberté, les hommes la dédaignent, uniquement, ce me semble, parce que s’ils la désiraient, ils l’auraient : comme s’ils se refusaient à faire cette précieuse conquête, parce qu’elle est trop aisée », écrivait déjà en 1549 l’ami de Montaigne, Étienne de La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire.
Or c’est justement cette reconquête de la liberté que les peuples arabes ont enfin entrepris depuis début 2011, après le sacrifice de Mohammad Bouazizi en Tunisie. Reconquête âpre cependant, les sentiers vers les cimes de la liberté ignorées depuis si longtemps étant devenus impraticables, inaccessibles. C’est pourquoi tant de victimes continuent de tomber aujourd’hui contre le tyran en Syrie, où, en dépit d’un an de culture de la non-violence de la part des manifestants, la machine sécuritaire et militaire persiste (vainement) à vouloir écraser les aspirations du peuple à la liberté, la démocratie, la dignité et la justice sociale.
L’impuissance du monde à empêcher la poursuite du massacre par l’armée de Bachar el-Assad dans les villes syriennes insurgées pose un problème humain, philosophique et ontologique fondamental : comment donc peut-on encore admettre au XXIe siècle qu’un psychopathe puisse disposer de cette manière d’un droit de vie ou de mort sur autant de vies humaines, qui plus est quand la répression est menée au vu et au su de tous. Mais, par ailleurs, il est une autre question fondamentale qu’il convient de soulever face à cette triste réalité : celle de la réciprocité et de l’altérité, de « l’empathie », comme le soulignait si bien Samir Frangié dans une conférence à Paris la semaine dernière devant un public mixte libano-syrien enthousiaste. Comment peut-on accepter qu’une logique comme celle dite de la « moumanaa » puisse continuer à défendre les massacres commis en Syrie, sous peine que d’autres injustices en ce bas-monde sont également demeurées impunies. Une telle logique justifie la victoire permanente du néant sur l’existence.
La Boétie nous rappelle d’ailleurs cela dans le Contr’un : « (...) Ce qu’il y a de clair et d’évident pour tous, et que personne ne saurait nier, c’est que la nature, premier agent de Dieu, bienfaitrice des hommes, nous a tous créés de même et coulés, en quelque sorte au même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt tous frères. Et si, dans le partage qu’elle nous a fait de ses dons, elle a prodigué quelques avantages de corps ou d’esprit, aux uns plus qu’aux autres, toutefois elle n’a jamais pu vouloir nous mettre en ce monde comme en un champ clos, et n’a pas envoyé ici-bas les plus forts et les plus adroits comme des brigands armés dans une forêt pour y traquer les plus faibles. Il faut croire, plutôt, que faisant ainsi les parts, aux uns plus grandes, aux autres plus petites, elle a voulu faire naître en eux l’affection fraternelle et les mettre à même de la pratiquer ; les uns ayant puissance de porter des secours et les autres besoin d’en recevoir : ainsi donc, puisque cette bonne mère nous a donné à tous toute la terre pour demeure, nous a tous logés sous le même grand toit, et nous a tous pétris de même pâte, afin que, comme en un miroir, chacun pût se reconnaître dans son voisin ; si elle nous a fait, à tous, ce beau présent de la voix et de la parole pour nous aborder et fraterniser ensemble, et par la communication et l’échange de nos pensées nous ramener à la communauté d’idées et de volontés ; si elle a cherché, par toutes sortes de moyens à former et resserrer le nœud de notre alliance, les liens de notre société ; si, enfin, elle a montré en toutes choses le désir que nous fussions, non seulement unis, mais qu’ensemble nous ne fissions, pour ainsi dire, qu’un seul être, dès lors, peut-on mettre un seul instant en doute que nous sommes tous naturellement libres, puisque nous sommes tous égaux, et peut-il entrer dans l’esprit de personne que nous ayant mis tous en même compagnie, elle ait voulu que quelques-uns y fussent en esclavage. »
Cette fraternité entre les peuples et entre les hommes pour la liberté, c’est le combat que menait Samir Kassir pour que le monde arabe sorte enfin de son malheur. Et c’est maintenant le combat que mène l’association SKeyes et son excellent, jeune et dynamique directeur exécutif, Ayman Mhanna, pour que les droits de tous les citoyens arabes à la liberté et à la dignité soient respectés.
Qu’il est lourd à payer, le tribut de la liberté ! Dans des pays comme ceux du Machreq où l’État a presque toujours été synonyme d’appareil sécuritaire et militaire répressif (surtout au cours du demi-siècle écoulé), ce sont surtout les associations des droits de l’homme et la presse – du moins une poignée de journalistes libres et courageux – qui ont surtout porté...

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