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À La Une - L'Orient Littéraire

Ryoko Sekiguchi écrit le Japon de l'après-tsunami

La 32e édition du Salon du livre de Paris regarde vers l’Extrême-Orient où le Japon est à l’honneur. Parmi les romanciers, les mangakas cultes et les représentants de la nouvelle génération invités, Ryoko Sekiguchi nous parle de Ce n’est pas un hasard, son ouvrage consacré au Japon frappé par les désastres du 11 mars 2011.

© Frédéric Desmesure

L’Orient Littéraire a rencontré à Paris Ryoko Sekiguchi, poète et auteure japonaise, invitée au Salon. Sekiguchi écrit à la fois en japonais et en français. Son dernier ouvrage Ce n’est pas un hasard est une chronique consacrée aux événements du 11 mars 2011, relatés depuis la veille de la catastrophe à partir de Paris où l’auteure se trouve, puis à partir du Japon où elle se rendra pour des retrouvailles avec ses proches et son pays. Née à Tokyo en 1970, Ryoko Sekiguchi publie son premier livre Cassiopée Peca en1993, puis s’installe en 1997 à Paris où elle vit depuis. À partir de 2003, elle écrit directement en français tout en continuant à publier au Japon. Sekiguchi est aussi traductrice d’œuvres japonaises en français ainsi que d’œuvres françaises en japonais. Dans Ce n’est pas un hasard, Sekiguchi s’impose d’apprendre une nouvelle écriture simplifiée, à l’antipode de l’itinéraire alambiqué de sa plume habituelle ; en quelque sorte un devoir, à la fois journalistique et quasi sacré, de transcrire clairement les paroles d’amis, d’inconnus, de médias portant sur la tragédie. Elle se fonde sur les récits et opinions dont elle est témoin pour amorcer des interrogations sur ce qui change ou se fige à jamais suite à une catastrophe. 
 
Vous dénoncez l’omniprésence des images dans les médias et leur leurre dans la restitution d’un événement, plus particulièrement d’un désastre…
 
En effet, on a tendance à oublier que les images ne contiennent qu’une partie de la réalité. J’ai même entendu dire : « Quand on regarde la catastrophe… », non ! On ne regarde pas la catastrophe, juste la copie, une petite partie de ce qu’on peut transmettre. Beaucoup de gens m’ont dit suite à la lecture de ce livre qu’ils ont appris des choses sur le Japon, mais pour moi aussi c’était un livre d’apprentissage. Je me suis rendue compte qu’il faut, et c’est terrible, vivre une catastrophe pour sentir de près le malheur des autres. Ce livre est une façon pour moi non pas de donner une réponse, mais d’acheminer le lecteur vers une sensibilité qui n’est pas véhiculée avec les moyens habituels d’information. Cela a été un apprentissage pour moi en tant que débutante dans ce thème. Avant, je disais « le thème de mon livre », maintenant je dis « mon thème, notre thème », parce que cette catastrophe a touché tant de gens, et qu’il est intéressant de voir ce qui peut en être dit et qui peut être partagé. 
 
Vous écrivez : « Pour ma part, je n’aurais jamais pensé employer le mot “radioactif” dans un texte. » Est-ce que le vocabulaire d’un écrivain peut réussir à s’approprier un mot qui l’a envahi de force ?
 
C’est une question difficile, c’est quelque chose qu’on ne peut savoir qu’avec le temps, et j’ai encore du mal à imaginer ce qui peut arriver. Mon prochain livre Manger fantôme est un essai sur la tragédie de devoir assimiler la radioactivité par le biais de la nourriture. Je ne dis à aucun moment « radioactivité » dans ce texte, ce qui est une façon pour moi d’en parler sans la nommer. Dès qu’on nomme, il y a apparition, et j’essaie de dire dans ce livre cette matière invisible et nouvelle pour nous sans la faire apparaître. Les contours de notre vie deviennent flous et fantomatiques parce que quelque chose d’omniprésent et d’indétectable existe.
 
Le titre Ce n’est pas un hasard va au-delà des limites que vous vous êtes auto-imposées, à savoir consigner ce qui se passe en chroniqueuse et vous interdire « les belles phrases ». D’une certaine manière, votre volonté de « ne pas faire de la littérature » faillit rien qu’en donnant ce titre. Est-ce une décision que nous pouvons prendre, de faire ou pas de la littérature ?
 
Non, on ne peut pas décider de faire ou de ne pas faire de la littérature. Au moment où j’ai commencé à écrire, tout le monde était troublé, tous les Japonais. Alors que j’avais tout le temps l’impression d’écrire quelque chose de très émotionnel, un membre du comité de lecture de P.O.L qui parcourait mon manuscrit m’a demandé comment j’avais fait pour conserver ma sérénité. En écrivant, je sentais qu’il y avait un tuyau d’eau auquel manquait le robinet et que je devais boucher tout le temps le tuyau parce que l’écoulement était excessif, donc j’étais loin de me sentir sereine ! Ce que vous dites sur le titre est vrai, ce titre est apparu au début de mon écriture, à la fin je me suis rendue compte que ce titre ainsi que mon écriture même dans cet ouvrage sont un hasard : j’ai choisi de recueillir les voix des personnes que les rencontres de la vie m’ont amenée à rencontrer à cette période, et ce sont ces voix qui m’ont guidée pour que ce livre prenne forme. C’est la première fois que je fais l’expérience du hasard qui guide mon livre. Et quand on pense à l’histoire du Japon, il n’y a pas de hasards, c’est l’histoire de l’après-guerre qui a conduit à construire les centrales de Fukushima là où elles sont aujourd’hui. On a fermé les yeux sur nos erreurs. 
 
« Fukushima, nom jusqu’alors inconnu à l’étranger, portera longtemps les stigmates de la catastrophe. Il se peut même qu’il devienne synonyme de catastrophe nucléaire. » La thématique du nom propre est un axe fondamental de votre écriture, mais dans cet ouvrage, il prend une intensité particulière. 
 
La poésie, c’est appeler quelqu’un ou un objet par son nom et c’est rien d’autre. Avant la catastrophe, le nom n’est pas appelé. Pour les enterrements, on fait des discours de funérailles, ce n’est pas le contenu de ces discours qui est important, mais c’est d’appeler le nom de celui qui est parti, sinon il ne peut pas partir. Récemment, j’ai vu que le corps numéro 1906 a trouvé son nom : la famille a pu identifier grâce aux examens d’ADN son enfant. Le rôle du poète, c’est d’appeler les choses par leur nom. 
 
« J’ai voulu quitter le Japon et devenir immigrée pour pouvoir faire l’expérience de l’aliénation, du déracinement, me libérer du joug du pays natal comme peuvent le faire les étrangers au Japon. » N’est-ce pas se libérer d’un joug pour s’aliéner autrement ?
 
Je pense qu’il ne s’agit pas de rester ou de partir, mais d’établir une distance par rapport à son propre pays ou par rapport à sa langue d’écriture. Sinon, comment être écrivain? Tanizaki qui est considéré comme l’incarnation de la littérature japonaise était passionné par d’autres langues comme le français, le grec, le latin, et a innové tout en restant dans son propre pays : il a écrit certains de ses chefs-d’œuvre avec le dialecte de l’Ouest alors qu’il venait de l’Est, cette particularité disparaît évidemment dans la traduction. On me demande parfois comment je fais pour écrire directement en français aujourd’hui, d’autres disent que mon japonais n’est plus tout à fait du japonais. L’essentiel je pense, c’est de parvenir à écrire dans une langue qui n’est pas forcément la langue de votre pays, mais qui est votre langue. Le départ et l’exil seraient d’une certaine manière un mode de retour. 
 
BIBLIOGRAPHIE
Ce n’est pas un hasard chronique japonaise de Ryoko Sekiguchi, P.O.L., 2011, 192 p.
 

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L’Orient Littéraire a rencontré à Paris Ryoko Sekiguchi, poète et auteure japonaise, invitée au Salon. Sekiguchi écrit à la fois en japonais et en français. Son dernier ouvrage Ce n’est pas un hasard est une chronique consacrée aux événements du 11 mars 2011, relatés depuis la veille de la catastrophe à partir de Paris où l’auteure se trouve, puis à partir du Japon où elle...

commentaires (12)

Bien au contraire M. Hadjigeorgiou, si je ne tenais pas en tres haute estime ces oeuvres immortelles de Franquin et Schulz je ne les citerais pas ici, qq. quarante annees plus tard. Ce qui ne m'empeche pas de me regaler d'avance a l'idee soumise mi-figue mi-raisin par M. Malek un peu plus bas quant a son receuil de citations, ou de "reactions". Faut bien rigoler un peu, n'est-ce-pas? C'est encore le meilleur remede de nos jours..

Fady Challita

11 h 28, le 12 mars 2012

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Commentaires (12)

  • Bien au contraire M. Hadjigeorgiou, si je ne tenais pas en tres haute estime ces oeuvres immortelles de Franquin et Schulz je ne les citerais pas ici, qq. quarante annees plus tard. Ce qui ne m'empeche pas de me regaler d'avance a l'idee soumise mi-figue mi-raisin par M. Malek un peu plus bas quant a son receuil de citations, ou de "reactions". Faut bien rigoler un peu, n'est-ce-pas? C'est encore le meilleur remede de nos jours..

    Fady Challita

    11 h 28, le 12 mars 2012

  • M. Challita vous avez une bien piètre opinion des bandes dessinées de Gaston Lagaffe et des Charlie Brown. Ce sera une insulte aux oeuvres d'art qu'elles sont.

    Pierre Hadjigeorgiou

    08 h 10, le 12 mars 2012

  • Cher Monsieur Elie Khoueiry bonjour. D'accord avec vous, mais pas "bleu" "pourrie tout court".

    SAKR LEBNAN

    03 h 32, le 12 mars 2012

  • Non M. Sakr Lebnan, permettez-moi de vous donner une remarque cette fois-ci :) j'ai un meilleur titre : - L'ORANGE de 2013 devenu BLEU. Car une orange qui dure huit ans devient pourri.... alors que le Cèdre du Liban est vivant depuis des milliers d'années. Ça sera un Best-Seller. http://www.sud34.com/wp-content/uploads/2010/08/orange-pourrie.jpg

    Élie Khoueiry

    01 h 52, le 12 mars 2012

  • Il paraît que Roulez Tambour et ses clones a des prétentions littéraires. Avec une préface du Général célèbre pour sa fuite...et avec le meilleur souvenir des familles de tous ces soldats qui furent tués en raison de sa stratégie. Je ne suis pas sûre que les jardins d'enfants doivent proposer ce genre de littérature. Il y mieux: allez au rayon Enfants chez Antoine ou Al Bourg, si vous êtes à Beyrouth. Sur la Côte et à Paris, les librairies ne manquent pas. Les livres «d'enfants» devraient être lus par les grandes personnes et en remettraient en place plus d'un.

    Nayla Sursock

    13 h 07, le 11 mars 2012

  • Robert Malek, moi je veux CENT copies, pour les distribuer dans les JARDINS D'ENFANTS, car les enfants ont besoin de RIRE...aussi. Prière réserver. Je vois que tu vas faire une bonne affaire avec ça.

    SAKR LEBNAN

    10 h 02, le 11 mars 2012

  • Reservez-moi une copie svp, elle figurera en place d'honneur parmi mes Gaston Lagaffe et mes Charlie Brown.

    Fady Challita

    09 h 25, le 11 mars 2012

  • Robert Malek, je t'ai trouvé un TITRE pour le Best Seller : LES ABSURDITÉS ! qu'en dis-tu ? Je te salue amicalement.

    SAKR LEBNAN

    09 h 11, le 11 mars 2012

  • Mais Jabbour, ne vous fatiguez pas, je vous ai déjà proposé d'être très riche en vous demandant plus d'une fois de me céder vos droits d'auteur sur tous vos commentaires ici. Bien que vous ne m'ayez toujours pas répondu à ce propos, je les collectionne et c'est moi qui vais en faire un best seller. Surtout après 2013 ! Le très drôle "Amuse-Bush" paraîtra fadasse et insipide à côté.

    Robert Malek

    07 h 51, le 11 mars 2012

  • En effet, c'est réellement un Tsunami "Mythomane" qui frappe !

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    07 h 50, le 11 mars 2012

  • Au fond faut bien reconnaitre que les reactions de M. Jabbour sont tout aussi rigolotes que celles de Mssrs Malek et Hakim. Vous gagnez M. Jabbour :)

    Challita Fady

    06 h 12, le 11 mars 2012

  • - - Et moi je vous promet que j'écrirai le Liban politique de l'après-tsunami Orange de 2013 .. qui sera un best-seller ..

    JABBOUR André

    05 h 28, le 11 mars 2012

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