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À La Une - Eglise

Grégoire III : L’Europe doit pousser à un compromis en Syrie

La Syrie est devenue otage d’une lutte d’influence entre les États-Unis et la Russie, déplore le chef de l’Église grecque-catholique.

Le fléau de la guerre civile s’est abattu sur la Syrie. Comment échapper à cette malédiction, à cette descente aux enfers ? Certains pensent qu’un régime qu’ils jugent cynique et impitoyable ne peut changer, et doit être brisé. Ils ne croient pas à un changement de l’intérieur, fût-il contraint par l’émergence d’une force militaire équilibrant celle du pouvoir, ou par les pressions économiques et diplomatiques de sanctions internationales.
D’autres, de l’intérieur même de la Syrie, comme certaines personnalités de l’opposition ou des chefs religieux, ne perdent pas l’espoir d’un changement interne, tout en étant conscient de sa difficulté, dans la structure actuelle du parti unique.


En homme de paix, le patriarche Grégoire III fait partie de ceux qui n’ont pas baissé les bras. Depuis quelques mois, il n’a cessé d’appeler les responsables arabes à se mettre à l’écoute de leurs peuples. Ces appels ont été constants, en particulier pour deux des pays du territoire patriarcal, l’Égypte et la Syrie. Dans ce dernier pays, sa patrie, il pense qu’un changement est encore possible, surtout si l’Europe s’y met. Pour lui, il n’y a peut-être rien à attendre des États-Unis, mais l’Europe, l’Europe de la Mare Nostrum, peut encore beaucoup faire en faveur d’un compromis qui épargnerait à la Syrie les affres de la violence aveugle et de la guerre civile. Le patriarche, qui appelle au dialogue « de toutes les parties en Syrie et en dehors de la Syrie », voit déjà son pays devenir otage d’une « lutte d’influence » entre les États-Unis et la Russie.

Complot ou révolution ?
Nous sommes reçus par le patriarche grec-catholique au siège patriarcal de Raboué, à la veille de la réunion annuelle du synode de son Église. Que pense exactement Grégoire III de ce qui se passe dans son pays. Pense-t-il qu’il s’agit d’un complot, thèse officielle du régime, ou d’une révolution ?


« Sans vouloir critiquer la Syrie, répond Grégoire III, je voudrais dire que je n’aime pas le terme de complot. Pour moi, c’est un signe de faiblesse. C’est dire qu’autour de vous, il n’y a que des ennemis. Mais peut-on pour autant parler de révolution ? Ce qui se passe n’est pas propre à la Syrie. Je pense que les pays arabes sont entrés dans un phénomène de révolution, sans qu’on puisse parler d’une vraie révolution. En général, celle-ci se prépare. Je décrirais ce qui se passe, plutôt, comme le résultat d’un cumul de frustrations. Mais la politique s’y est mêlée et a tout faussé. »
Sans chercher à défendre aveuglément le régime, le patriarche grec-catholique s’étonne qu’on veuille entraîner l’Église en Syrie dans la campagne visant à l’effondrement du système. Il reproche à l’Europe de pousser à la violence, plutôt qu’à un compromis politique.


« Je l’ai dit au Times, il y a quelques jours, précise-t-il. Ne visez pas à changer le régime, mais aidez le régime à changer. Je crois qu’il s’agit là d’une vision juste des choses. Et pour ça, l’Église est là et elle a beaucoup fait. »

« Assad aussi veut le changement... »
Mais est-il réaliste de demander au Baas de changer ? « Bien sûr, répond le patriarche. Ne regardez plus vers le passé. Le passé est passé. Apprenons de la guerre du Liban. Quinze ans de guerre, pourquoi ? C’est une leçon pour tous. La violence engendre la violence. D’ailleurs, regardons les choses en face. Il faut voir plus large que ce qui se passe en Syrie. Nous sommes devant des arsenaux considérables. Est-ce raisonnable, dans ce cas, de crier “aux armes !”. En tout cas, l’Église ne peut le faire. Ne lui demandez pas de jouer un autre rôle que le sien. »
Et d’ajouter : « Je crois que la Syrie, après ces onze mois d’expérience, ne sera plus jamais la même. Je crois qu’il y aura un changement de base, et je crois que le président Bachar el-Assad le veut aussi. »
Le patriarche déplore en outre que la crise syrienne semble échapper à ses protagonistes, devenus otages d’un conflit qui les dépasse, entre les États-Unis et la Russie.

Athénagoras : « Je me suis désarmé »
« On a l’impression, dit-il, que la situation n’est plus aux mains de la Syrie, mais qu’on assiste à une lutte d’influence entre les États-Unis et la Russie. Nous sommes entrés dans une phase de servilité politique. Tout est centré sur le Conseil de sécurité et le veto russe », dit-il.


A-t-il peur pour les chrétiens de Syrie ? « La Syrie a toujours eu le pourcentage d’émigration le plus bas du monde arabe. C’est significatif. C’est dû au fait que ce régime est vraiment laïc. C’est l’avenir. Certes, il y a quelques départs justifiés par la peur, mais ce n’est pas l’exode. Tout ce que je peux dire, c’est : n’ayez pas peur. Comme chrétien, je ne suis pas une cible pour un groupe, même pas pour les salafistes. En Égypte, la situation est différente. Je ne dis pas que qu’il n’y aura pas des gestes extrémistes, mais nous faisons nôtres les paroles d’Athénagoras : Je n’ai pas peur, parce que je me suis désarmé. »


Et d’ajouter : « Il faut poser le problème en termes sociaux. Parler citoyens syriens, et non pas chrétiens. Le problème n’est pas religieux, même si certains introduisent cet élément dans leur analyse. C’est faux. Aux députés européens qui se trouvaient au Liban pour un colloque sur les chrétiens d’Orient, à Kaslik, en novembre dernier, j’ai dit : Venez non pour l’avenir des chrétiens, mais pour l’avenir de ce monde. Pour nous, c’est le moment non de demander nos droits, mais de redécouvrir notre mission dans une monde arabe qui vit une nouvelle naissance. Prêcher la paix, légalité, la justice est notre manière d’accompagner ce qui se passe, soit en dehors, soit au-dedans. »

Les médias « destructeurs »
Aux reproches adressés à l’Église de rester dans une zone grise, de ne pas dénoncer les graves violations des droits de l’homme qui se commettent, Grégoire III répond : « Ce n’est pas vrai. J’ai appelé à l’arrêt de l’effusion du sang dans toutes mes déclarations. Mais je ne suis ni politicien, ni agent de sécurité, ni journaliste. Je ne peux entrer dans les détails. Je n’en ai ni les moyens ni la volonté. L’Église ne peut donner de solutions, mais seulement des orientations. Par ailleurs, elle agit par des canaux qui ne sont pas publics. »


Le patriarche dénonce, par ailleurs, « les exagérations » et « la désinformation » dont il voit la trace dans la presse. « Nous sommes là dans une vraie guerre moderne », assure-t-il , accusant des médias d’être devenus « despotiques » et de jouer un rôle « destructeur ».


Au sujet des bilans quotidiens des victimes paraissant dans la presse, le patriarche répond : « Je n’ai pas de réponse, mais je dis qu’il y a des falsifications des deux côtés, de la part de l’Europe aussi. Tout est politisé et, dans ce sens-là, oui, il y a un complot. Je pense que le mot d’ordre du moment est : Il faut détruire Carthage. Et je ne comprends pas comment une Europe qui s’est relevée d’une guerre mondiale qui a fait 50 millions de morts peut soutenir une partie contre l’autre, alors qu’elle a les moyens de l’arrêter. »

« Je ne suis pas un homme politique... »
Mais le président syrien est-il prêt à reconnaître, comme interlocuteurs légitimes, ceux qui le combattent. N’a-t-il pas clairement choisi la solution de force ? Pour Grégoire III, l’Europe et la Russie peuvent l’en convaincre.


Mais n’est-ce pas ce que la Ligue arabe a tenté de faire, en envoyant des observateurs en Syrie et en demandant au chef de l’État syrien de retirer ses chars des villes ? « Je reviens à ce que j’ai dit, conclut le patriarche. Je ne suis pas un politicien. En politique, on ne peut rien savoir. Mais je sais que tout sang versé est le sang de mon frère. J’ajoute qu’on s’essouffle pour la Syrie, et qu’on oublie Israël et la cause palestinienne. J’ai adressé une lettre à tous les responsables européens, le 20 avril dernier, dans laquelle j’ai demandé une solution au conflit palestinien, car, avec le règlement de ce conflit, la moitié des problèmes du monde arabe seraient réglés. Or, après 63 ans de crise, le conflit israélo-palestinien n’est toujours pas résolu. Pourquoi, en septembre dernier, n’a-t-on pas reconnu l’État palestinien à l’ONU ? C’est une capitulation. C’est indigne du monde. »

Le fléau de la guerre civile s’est abattu sur la Syrie. Comment échapper à cette malédiction, à cette descente aux enfers ? Certains pensent qu’un régime qu’ils jugent cynique et impitoyable ne peut changer, et doit être brisé. Ils ne croient pas à un changement de l’intérieur, fût-il contraint par l’émergence d’une force militaire équilibrant celle du pouvoir, ou par les...

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