Les doutes se multiplient sur la mission de la Ligue en Syrie

Plusieurs observateurs de la Ligue arabe ont quitté la Syrie ou pourraient le faire prochainement face à l'incapacité de la mission à mettre un terme à la répression des manifestations hostiles au président Bachar al-Assad, rapporte jeudi un ancien observateur.

 

L'opposition syrienne estime que les observateurs, qui sont arrivés le 26 décembre en Syrie pour vérifier l'application d'un plan de sortie de crise, permettent avant tout au président syrien de gagner du temps dix mois après le début du mouvement de contestation.

 

Selon l'Algérien Anouar Malek, qui a quitté la mission cette semaine estimant qu'il n'était pas en mesure d'empêcher "des scènes d'horreur", de nombreux observateurs partageraient son point de vue. "Je ne peux pas préciser combien mais ils sont nombreux. Quand vous parlez avec eux, leur colère est évidente", a-t-il dit au téléphone à Reuters, du Qatar. De nombreux observateurs ont reçu des ordres de leur gouvernement de ne pas quitter la mission, ajoute-t-il.

"Trois personnes se sont retirées de la mission avant mon arrivée. Un observateur égyptien a quitté Damas en même temps que moi, le 6 décembre, et un spécialiste juridique marocain nous avait précédés. Un travailleur humanitaire de Djibouti a également décidé de partir", a-t-il affirmé à l'AFP.

Ces départs n'ont pas pu être confirmés dans l'immédiat mais un autre observateur, qui a souhaité garder l'anonymat, a dit à Reuters qu'il prévoyait de quitter la Syrie vendredi. "La mission ne sert pas les citoyens, elle ne sert à rien", a-t-il dit.

 

Le chef de la mission d'observation, le général soudanais Mohammed Ahmed al-Dabi, a toutefois déclaré dans un communiqué que "les déclarations d'Anouar Malek sur une chaîne satellitaire sont sans fondement". "M. Malek était déployé avec une équipe à Homs, mais pendant six jours il n'a pas quitté sa chambre et ne s'est pas joint aux autres membres sur le terrain en prétextant être malade", a-t-il ajouté.

 

La Ligue arabe, qui recevra le 19 janvier le rapport complet de la mission d'observation, est divisée sur le dossier syrien, entre le Qatar ouvertement critique de la répression et l'Algérie qui estime que le gouvernement syrien a fait des efforts. La Ligue a toutefois abandonné l'idée de renforcer son équipe d'observateurs sur place, actuellement au nombre de 165, après l'attaque de 11 de ses membres par des manifestations pro-Assad dans la cité portuaire de Lattaquié lundi.

 

 

Moscou défend toujours Damas

Parallèlement, sur le plan international, Moscou a réaffirmé aujourd'hui son soutien au régime baasiste. Le secrétaire du Conseil de sécurité russe Nikolaï Patrouchev a estimé dans un entretien publié aujourd'hui sur le site du quotidien Kommersant qu’"on veut punir Damas pas tant pour la répression de l'opposition que pour son refus de renoncer à ses relations d'allié avec Téhéran". "Il y a des informations selon lesquelles les membres de l'Otan et des Etats arabes du Golfe persique, agissant selon le scénario rodé en Libye, veulent transformer leur ingérence actuelle dans les affaires syriennes en intervention militaire directe", affirme encore Nikolaï Patrouchev. "Cette fois, l'essentiel des forces de frappe sera fourni non par la France, la Grande-Bretagne et l'Italie mais, peut-être, par la Turquie" voisine, qui entretenait jusqu'à récemment des relations d'amitié avec la Syrie, estime le haut responsable russe. La Turquie "est en rivalité avec l'Iran et a des ambitions immenses", juge-t-il encore.

 

Selon lui, "Washington et Ankara travaillent dès maintenant à divers plans de zones d'exclusion aérienne où pourraient se former et s'amasser des unités armées de la rébellion syrienne".

La création de telles zones en Syrie est une demande essentielle des militants pro-démocratie syriens. Ceux-ci ont appelé les Syriens sur Facebook à manifester vendredi pour "soutenir l'Armée syrienne libre" (ASL), qui regrouperait quelque 40.000 déserteurs et dont le chef Riad al-Assaad est basé en Turquie.

 

Mardi, Bachar el-Assad a de nouveau accusé des pays étrangers de "comploter" contre la Syrie.

 

 

La mort de Jacquier imputée au régime

Par ailleurs, au lendemain de la mort d’un journaliste français à Homs, la communauté internationale a appelé les autorités syriennes à assurer la protection des journalistes sur son territoire. Les dirigeants occidentaux dont le président français Nicolas Sarkozy, ont également demandé que "toute la lumière soit faite" sur les circonstances de la mort mercredi de Gilles Jacquier, grand reporter pour la chaîne de télévision France 2.

Le gouverneur de Homs, Ghassane Abdel Al, a ordonné la création d'une commission d'enquête sur les circonstances de l'"attaque terroriste" qui a coûté la vie au journaliste français et à huit Syriens, selon l'agence officielle Sana.

 L’opposition syrienne accuse, de son côté, le régime d'avoir organisé l'attaque pour alimenter sa thèse selon laquelle les violences seraient l'oeuvre d'activistes étrangers. "Les journalistes ont été attaqués dans un bastion du régime fortement militarisé", souligne Wissam Tarif, de l'ONG Avaaz. "Il serait extrêmement compliqué pour tout membre armé de l'opposition de pénétrer dans la zone et de mener une telle attaque."

 

Parallèlement, sur le plan humanitaire, la police turque a empêché jeudi un groupe d'environ 200 militants d'opposition syriens souhaitant se rendre en Syrie d'approcher de la frontière syrienne, les retenant à 15 km du poste de douane, a constaté un journaliste de l'AFP. "Si les Syriens refusent, nous camperons ici jusqu'à ce qu'ils nous laissent passer. Notre plan est de camper ici cette nuit", a déclaré à l'AFP Bilal Dalati, un homme d'affaires syro-américain de 42 ans venu de Californie (Etats-Unis) pour participer à cette "Caravane de la liberté", composée de cinq bus et d'une quinzaine de voitures arborant le drapeau syrien.

Un deuxième convoi, qui devait entrer jeudi en Syrie depuis Ramtha en Jordanie a quant à lui été "annulé à la dernière minute, parce que les autorités jordaniennes ne l'ont pas autorisé", a indiqué à l'AFP Zeyna Adi, une des organisatrices.