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À La Une - Éclairage

La Russie est-elle en voie de resoviétisation ?

Vladimir Poutine a un jour qualifié la disparition de l’URSS de « plus grande catastrophe géopolitique du siècle dernier ». Le passé, le discours politique et les méthodes d’aujourd’hui du Premier ministre-candidat (à la présidentielle russe dans trois mois) poussent certains à redouter un « back to USSR ». Ces craintes sont-elles réelles et surtout fondées ? Deux experts se penchent sur la question.

Principal élément de l’opposition russe, le Parti communiste a largement participé au mouvement de contestation après les législatives. Mikhaïl Voskresensky/Reuters

Il y a tout juste vingt ans, le 21 décembre 1991, l’URSS implosait. Cet éparpillement géopolitique était le résultat d’une volonté d’émancipation et de démocratisation des républiques soviétiques satellitaires de la Russie. Le peuple russe, mené par Boris Eltsine, demandait dès mars 1991 la démission de Mikhaïl Gorbatchev du poste de président de l’URSS et l’indépendance d’une Fédération de Russie démocratique.


Deux décennies plus tard, où en est donc la Russie ? Après des élections législatives fortement contestées et à la veille d’une présidentielle très attendue, tout le monde s’attend à une réélection plutôt facile de Vladimir Poutine, visiblement déterminé à diriger le plus vaste pays du monde d’une main de fer, en contrôlant l’information, notamment le web, et aidé par Dmitri Medvedev, l’autre tête de l’« aigle bicéphale » russe. Si la Russie s’est ouverte au reste du monde après une longue période de stagnation, elle a récemment adhéré à l’OMC, par exemple, les détracteurs du pouvoir estiment qu’elle ne se démocratise toujours pas et contestent les « fraudes » des toutes dernières législatives, surtout via les réseaux sociaux et les manifestations, comme un parfum de printemps arabe...


Y a-t-il aujourd’hui une Russie à deux vitesses, un clash générationnel ? Tatiana Kastouéva-Jean, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI), estime que si l’« on entend parfois parler de la “Russie de la télé” et la “Russie d’Internet” », il n’y a pas cependant de « clivage générationnel ». En effet, l’électorat de Russie unie, le parti présidentiel, est « composé autant de personnes âgées qui apprécient l’augmentation des retraites, la stabilité politique, ou encore le rétablissement du prestige international du pays que de propoutiniens, comme le mouvement des jeunes Nashi ou la Jeune Garde ». « Le clivage serait donc plutôt situé entre les autorités et la société dont une partie n’accepte plus le système politique verrouillé » et corrompu.


De même, Philippe Migault, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), estime lui aussi que ce clivage générationnel n’est « pas du tout » présent. Si fossé il y a, c’est surtout au niveau rural/urbain, ou économique. Pour lui, il y a autant de jeunes que de plus âgés qui ne regrettent pas la chute de l’URSS, ou au contraire la déplorent.
En attendant, certains s’obstinent à dénoncer la récurrence d’un discours poutinien aux relents soviétiques, notamment lorsque le Premier ministre accuse certaines puissances étrangères de financer les ONG en Russie pour semer le « chaos », ou encore son attitude quasi paranoïaque en ce qui concerne l’installation d’un bouclier antimissile de l’OTAN en Europe, sans oublier la position russe (et chinoise) concernant la crise syrienne. Pour Mme Kastouéva-Jean, « cette terminologie n’est pas nouvelle. Vladimir Poutine a toujours joué deux cartes en mélangeant le discours “soviétique” avec le discours “impérial”. Le retour du drapeau impérial, de l’hymne soviétique, l’octroi de passeports et de facilités de voyage aux descendants d’émigrés blancs en Occident sont des éléments qui alimentent le discours sur la grandeur de la Russie qui n’a pas à avoir honte de son passé, quel qu’il soit ». Les accusations de financements d’ONG datent de la révolution orange ukrainienne, et le contexte électoral actuel en Russie permet la réutilisation de cet argument. « La carte d’“ennemi extérieur” permet à Poutine de consolider une partie de son électorat. (...) Mais les Russes ne sont pas dupes : plusieurs personnes à la manifestation du 10 décembre à Moscou brandissaient les pancartes “Nous ne sommes pas les agents de la CIA”. »

Postimpérialisme et Eurasie
M. Migault juge, quant à lui, qu’il n’y a aucunement de preuves permettant d’affirmer un retour au discours soviétique et anti-Occident : « Poutine tient un discours anti-USA et anti-OTAN, ce n’est pas du tout la même chose. Que ce soit par rapport au bouclier antimissile ou à la politique étrangère russe, le consensus est partout le même. Russie unie, Parti communiste, ou autres entités de l’opposition, tous s’accordent pour dire que le bouclier n’est nullement dirigé contre l’Iran ; il vise au contraire à asseoir la suprématie américaine en Europe, sans plus. »
Plus encore, lorsque Poutine a lancé l’idée d’une « Union eurasiatique » mettant en scène un espace économique commun entre la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Ukraine, d’aucuns se sont empressés de crier à une tentative de recréer l’URSS. Si l’on s’en réfère à l’article de Thomas Gomart, expert sur la question, « le dessein de Poutine n’était pas de concurrencer l’UE par le biais d’une nouvelle URSS, d’autant que la Russie n’en avait pas les moyens. En revanche, Poutine souhaitait ardemment que la Russie s’inscrive dans une dynamique postimpériale, de sorte qu’elle puisse peser sur la communauté internationale ». M. Migault et Mme Kastouévan-Jean également s’accordent à dire qu’il serait bien trop simpliste et précipité que de dénoncer une tentative de recréation de l’URSS. Poutine lui-même l’a dit : « Celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur, celui qui veut la restaurer n’a pas de tête. » La spécialiste s’explique : « Poutine est dans une logique postimpériale, il souhaite structurer cet espace régional autour de la Russie pour asseoir sa crédibilité, prouver la capacité de la Russie d’être un pôle d’attraction positif et de mener son projet d’intégration régionale par comparaison à l’intégration européenne, et marquer le terrain face à la Chine qui est présente et active dans cette région. » M. Migault la rejoint dans cette optique, estimant que Poutine « cherche à recréer des liens avec des républiques qui ont toujours eu, de près ou de loin, des attaches avec la Russie. C’est une réunification entre quatre entités – Russie, Kazakhstan, Ukraine et Biélorussie – qui ont quatre siècles d’histoire partagée ».
D’ailleurs, le projet semble plaire, puisque la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton a récemment déclaré trouver l’idée de cette Union eurasienne « intéressante », relevant qu’une « coopération plus étroite entre les pays de la région et la Russie n’exclut pas des liens plus étroits entre ceux-ci et l’Union européenne ».

Juste « influencé »...
Dans ce contexte, il est clair que presque tout dans la politique de Poutine est influencé de près ou de loin par son passé soviétique, sauf la présence d’un communisme d’État (imposé). De même, l’alternance du pouvoir entre lui et Medvedev n’est-elle pas sans rappeler le Parti communiste des années 1990 ? Pour Mme Kastouéva-Jean, « la rotation est une “manière originale” de retourner au Kremlin sans avoir à changer la Constitution (qui interdit de briguer 3 mandats consécutifs) ». Quant à Philippe Migault, il reste catégorique : c’est l’opposition en Russie, notamment le Parti communiste, « qui tient un discours beaucoup plus ouvertement nostalgique de l’Union soviétique et prône ouvertement une “restalinisation” du pays ».
Quant à se demander si ce mouvement de contestation va/peut prendre plus d’ampleur et créer des fissures au sein du pouvoir, malgré le manque évident d’organisation de l’opposition, les deux experts sont d’accord pour affirmer que Vladimir Poutine reste l’homme le plus populaire de Russie et a récemment été désigné comme tel par un sondage. Il pourra donc être facilement réélu en mars lors des présidentielles. Évidemment, l’image de Poutine et de Medvedev est affectée par le mouvement de contestation. Tatiana Kastouéva-Jean le dit : « La Fondation du sondage d’opinion ne va plus rendre publiques les études hebdomadaires de sa popularité, cela veut tout dire... elle doit être en chute libre. La société lui (Poutine) envoie des signaux très forts sur son désir de changements depuis les élections législatives. Son système s’érode. » Quant à Philippe Migault, il estime que le mouvement de contestation « s’arrêtera tout seul. Les gens osent s’exprimer, mais cela ne va rien changer. Ça veut juste dire que la démocratie est en cours, ce qui n’était pas possible il y a quelques années ».

Il y a tout juste vingt ans, le 21 décembre 1991, l’URSS implosait. Cet éparpillement géopolitique était le résultat d’une volonté d’émancipation et de démocratisation des républiques soviétiques satellitaires de la Russie. Le peuple russe, mené par Boris Eltsine, demandait dès mars 1991 la démission de Mikhaïl Gorbatchev du poste de président de l’URSS et l’indépendance...

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