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À La Une - Liban

Tyr sur la « liste du patrimoine en péril » ?

Pour la présidente de l’Association internationale pour la sauvegarde de Tyr (AIST), Maha Khalil el-Chalabi, l’urbanisme sauvage, qui pèse lourdement sur le site archéologique de la ville, et le ministère des Travaux publics, qui ne respecte pas les recommandations des nombreuses missions scientifiques, vont contraindre l’Unesco à inscrire Tyr sur la « liste du patrimoine mondial » en péril.

Malgré les efforts de l’Unesco, plusieurs projets préjudiciables pour Tyr ont été réalisés. Photo Ismail Sebraoui

Depuis quarante ans, l’Association internationale pour la sauvegarde de Tyr n’a pour unique objectif que les intérêts de la ville et de ses habitants, principalement la communauté de pêcheurs qui constitue un phénomène historique et socio-économique important, et qui pâtit aujourd’hui, dans le cadre du projet CHUD, de décisions prises à leurs dépens. Certes, les travaux entrepris par le ministère des Travaux publics sont importants pour l’assainissement du port. Mais, malgré nos interventions pour tenter de préserver les fondations, nous assistons impuissants à des travaux anarchiques qui ne respectent pas les zones définies par les experts. Pour exemple : le remblaiement de la jetée de huit mètres, dans une région riche en vestiges archéologiques, ou encore l’amoncellement d’immenses blocs de ciment dans la mer !
Nous connaissons l’importance du littoral et des ports de Tyr grâce aux résultats des recherches sous-marines effectuées par le père Poidebard et l’émir Maurice Chéhab, entre 1934 et 1936, et guidées par des reconnaissances aériennes. Grâce aussi au Dr Honor Frost qui, dès 1966, confirmait la présence de vestiges archéologiques autour de la presqu’île de Tyr, à Sir Robert F. Marx qui, en collaboration avec l’émir Maurice Chéhab, ont découvert dans ces zones, en 1972, des amphores, des statuettes et des objets provenant d’épaves de navires datant du Ve siècle avant J-C, au professeur Erdal Ozhan, de l’Université d’Ankara, qui en 1993 a souligné le grave danger que représentait la modification du littoral de Tyr, notamment à cause de l’abaissement progressif des hauts fonds dû à l’extraction de sable et aux mouvements d’affaissement, au Pr Daniel Drocourt, directeur de l’Atelier du patrimoine de la ville de Marseille, qui en 1998 a jugé qu’il aurait été nécessaire de procéder, avant les travaux de remblaiement réalisés pour élargir et agrémenter la corniche d’entrée de la ville, à « une investigation archéologique à cet emplacement », aux documentaires filmés par la mission Aresmar (Perpignan, France) sur les vestiges des ruines maritimes de Tyr à la demande de la municipalité de Tyr, entre 2003 et 2004, enfin, au professeur Christophe Morhange, de l’Université de Provence, qui a identifié l’emplacement du port de Tyr continentale et les fondations du port actuel.
À la suite de 181 plongées et 18 carottages, ce dernier a insisté sur l’importance exceptionnelle du patrimoine immergé de Tyr et a proposé un plan de sauvegarde du patrimoine archéologique et naturel de ses littoraux et de ses ports. Il a également recommandé de créer une zone spécifique de protection et de modifier le plan directeur d’urbanisme :
– en mettant en place une protection intégrale des petits fonds marins de moins de cinq mètres de profondeur ;
– en interdisant l’ancrage des navires dans le port sud qui détruit les structures archéologiques immergées et facilite le pillage du matériel archéologique ;
– en appliquant un périmètre de protection d’un rayon de 500 mètres en ce qui concerne les vestiges archéologiques des ports nord et sud, qui doivent absolument être conservés et protégés, ainsi que le long de toute la côte ouest de la presqu’île de Tyr et le long du littoral jusqu’à Rachidiyé ;
– en proposant de classer les récifs naturels en réserve naturelle intégrale (les épaves antiques sont nombreuses à proximité) ;
– en protégeant la zone envasée et urbanisée du bassin portuaire antique, seul port abrité de Tyr, et en prévoyant des fouilles archéologiques préventives avant tout aménagement souterrain (du type fondation, cave ou parc de stationnement).
Toute cette zone mérite une fouille archéologique programmée et une valorisation du bâti. De même, en protégeant impérativement la zone de Rameleh qui est connue actuellement comme la réserve de Tyr qui recèle une découverte très importante : le port enseveli de la Tyr continentale (Paléatyr).
L’Icomos s’est rallié aux conclusions du Pr Morhange et a vivement engagé les autorités libanaises à mettre en œuvre les recommandations de ce rapport avec deux objectifs en vue d’augmenter la connaissance de Tyr et d’étendre les limites du site du patrimoine mondial pour y inclure le patrimoine subaquatique, ainsi que la ville ancienne et ses environs immédiats jusqu’aux hauteurs de Tell el-Maachouq. L’Icomos estime que cela développera considérablement le potentiel touristique.

L’autoroute du Sud
Toutefois, le plus grand danger qui pèse sur Tyr et ses environs réside dans le tracé de l’autoroute du Sud, construite en l’absence d’une carte archéologique qui devait délimiter les zones à protéger, comme préconisé par l’Unesco depuis plus de dix ans ! Lors de la huitième session du Comité du patrimoine mondial, qui s’est tenue à Buenos Aires du 29 octobre au 2 novembre 1984, il a été décidé d’inscrire Tyr sur la liste du patrimoine mondial tel qu’il est décrit dans le périmètre de protection accompagnant le rapport de l’Icomos, « à condition que le gouvernement accepte le périmètre de protection des deux zones définies par l’Icomos ». « Les autorités libanaises ont fait savoir que le périmètre archéologique de la ville de Tyr est limité comme suit : au nord par la ville de Sarafand, au sud par Ras el-Aïn, à l’est par les collines environnantes et à l’ouest par la mer » (Doc sc.-84/conf : 004/3-page 5).
Ces problèmes ont été inscrits à l’ordre du jour de la 35e session du Comité du patrimoine mondial qui s’est tenue à Paris du 19 au 29 juin 2011. Une résolution a été votée qui délègue une mission Unesco/Icomos pour évaluer les dangers et les dégradations que subissent les sites de Tyr et de décider – dans le cas où il n’était pas tenu compte des recommandations émanant du rapport de mission – d’inscrire la ville sur la « liste du patrimoine en péril ».
Il est primordial de rappeler que la campagne de Tyr est la dernière de l’Unesco, menée de façon ininterrompue depuis 20 ans grâce aux efforts de l’AIST. Nous constatons que malgré les efforts de l’organisation internationale, et en dépit des rapports des experts, plusieurs projets dommageables pour Tyr ont été réalisés avec l’agrément des autorités libanaises, sans qu’aucune étude de faisabilité justifiant un intérêt à long terme, aucune enquête sociale permettant de mesurer les choix de la population locale, aucune étude d’impact évaluant les retombées environnementales ne viennent légitimer ces travaux. Cette campagne sera donc la dernière votée par l’Unesco. Sa réussite requière deux conditions : la création d’un haut comité national qui traiterait sérieusement et efficacement ce projet, sous le patronage du président de la République ou bien du Premier ministre et du ministre de la Culture ; un bureau administratif à Tyr composé d’experts nommés par l’Unesco qui contrôleraient le bon déroulement de la campagne.
L’AIST fait face à de nombreuses oppositions dans les administrations publiques et de la part de la municipalité de Tyr, alors qu’elle œuvre pour les intérêts de la ville et de ses habitants (...) Après plus de trente-cinq années de lutte pour redonner à Tyr la place que lui confère son histoire, nous sommes en droit de nous poser la question, question fondamentale que nous posons aussi au ministère de la Culture, au Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), à la municipalité de Tyr et à ceux qui s’opposent à la sauvegarde d’un patrimoine témoin de plusieurs civilisations, héritage exceptionnel légué aux générations futures : quelle est la raison qui motive un tel acharnement contre notre association qui s’attache à sauvegarder le patrimoine culturel et naturel de Tyr par le biais d’une campagne internationale ? De quoi avez-vous peur ? Il est un droit fondamental constitutionnel pour chaque citoyen d’être informé de ce qui sera entrepris dans sa ville, de s’y opposer ou d’y participer activement. Le droit également d’exprimer son opinion, de s’impliquer, or nous avons toujours été marginalisés et exclus de toute information, étude, projet ou même décision prise concernant Tyr.
Il est urgent aujourd’hui de sauver Tyr ! Nous devons le faire avec conviction pour transmettre ce patrimoine aux générations futures, laissant de côté nos différences et les intérêts personnels, avant qu’il ne soit trop tard et que la ville ne soit inscrite sur la liste du patrimoine mondial en péril.
Depuis quarante ans, l’Association internationale pour la sauvegarde de Tyr n’a pour unique objectif que les intérêts de la ville et de ses habitants, principalement la communauté de pêcheurs qui constitue un phénomène historique et socio-économique important, et qui pâtit aujourd’hui, dans le cadre du projet CHUD, de décisions prises à leurs dépens. Certes, les travaux entrepris...

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