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À La Une - En dents de scie

Papa m’aime pas

Le scandale du monde est ce qui fait l’offense.  
Et ce n’est pas pécher que pécher en silence.
Molière, « Tartuffe »
Trente-sixième semaine de 2011.
C’est la maculée conception.
Alfred Hitchcock en aurait fait un suspense glaçant : le patriarche maronite Béchara Raï est un homme d’une (très) grande intelligence. Qu’est-ce qui s’est passé, quelle tempête s’est déchaînée en lui pour qu’il en arrive à perdre aussi vite, aussi radicalement, ici et presque partout, jusqu’à la plus petite once de crédibilité – et de bon sens ?
Les derniers et risibles patrons du palais Bustros (Adnane Mansour, Ali Chami, Mahmoud Hammoud, Fawzi Salloukh...) en avaient fantasmé jusqu’à se faire mal : incarner la diplomatie alaouite, la noyer de pourpre et défendre la famille Assad contre mille vents, mille marées. Béchara Raï l’a fait. Il faut sauver le soldat Bachar, lui donner une chance, a-t-il dit, le pauvre ne peut pas faire de miracles. Fayez Chokr, le patron du Baas au Liban, Émile Lahoud, homme lige de Damas catapulté à Baabda pendant neuf ans, et d’autres, bien d’autres, se sont longuement pincés avant que d’applaudir à s’en écorcher les paumes.
Que cela plaise ou non et aussi malsain que cela soit ou pas, le patriarche maronite n’est pas seulement le maître de l’Église : il est aussi au cœur de la chose publique. L’actuel locataire de Bkerké (se) pose la bonne question : comment protéger au mieux les chrétiens d’Orient en général, ceux de Syrie en particulier ? Il donne pourtant les pires réponses. Blasphématoires. Comment Béchara Raï-le servant de Dieu peut-il cautionner la barbarie quotidienne commise par le président syrien et son gang, le viol systémique de tous les axiomes chrétiens ? Comment Béchara Raï-la (brillante) bête politique peut-il se transformer en complice d’un négationnisme diabolique, et penser échapper au couperet de l’histoire, à la vindicte des Syriens voisins martyrisés, chrétiens comme musulmans, une fois le tyran déchu ? Comment Béchara Raï-le servant de Dieu peut-il vouloir donner sa chance à un mini-Staline, un Ceauşescu de pacotille qui, avant que de torturer et de tuer ses propres compatriotes, s’est (trop) longtemps exercé sur les Libanais, à commencer par les ouailles de Bkerké ? Comment Béchara Raï-la (brillante) bête politique peut-il penser convaincre en excusant l’éduqué et l’occidentalisé Bachar, le pauvre, obligé d’appliquer stricto sensu les ordres de son parti, de son frère, de son cousin, de sa sœur ; comment peut-il se fourvoyer à ce point en plein Élysée ?
Mais s’il n’y avait que cela... Lorsqu’il présidait (superbement, de l’avis général) aux destinées de l’évêché de Jbeil, Béchara Raï était celui qui avait été le plus loin en menaçant Michel Aoun d’... excommunication. Et le voilà aujourd’hui, avec sa plaidoirie pro domo du régime syrien en place, avec son hallucinante dithyrambe en faveur de l’arsenal milicien du Hezbollah qui doit perdurer jusqu’au retour chez eux des réfugiés palestiniens du Liban et avec, surtout, son insulte, son scandaleux procès d’intention aux sunnites du Liban et de Syrie, le voilà qui épouse, à la syllabe près, la totalité du lexique aounien et aouniste. Le patriarche maronite ne craint décidément pas la schizophrénie politique. Ni l’évolution, quelle qu’elle soit. Les évêques maronites, si. Quand le berger (al-raï) est aussi perdu, son troupeau, au sens ecclésiastique du terme, n’a qu’une alternative : se perdre avec lui, s’embourber jusqu’au bout, ou alors réagir. Une intifada de Bkerké et dans Bkerké, une intifada morale avant que d’être chrétienne ou politique, aussi douce et discrète qu’il le faudrait, est urgente. Des réponses sont urgentes.
Sauf qu’il semblerait que même Alfred Hitchcock n’en trouverait pas... Le patriarche maronite se veut le héraut/héros de cette sinistre et stérile alliance des minorités que le IIIe millénaire, le printemps arabe et les bouleversements géopolitiques proche-orientaux ont fini de dynamiter ? Le patriarche maronite a été drogué à son insu ? Le patriarche maronite est-il la victime d’un chantage en bonne et due forme ? Le patriarche maronite a-t-il été prodigieusement indisposé par l’air de cette bonne France ? Le patriarche maronite serait en réalité un fervent adepte de l’alternance, partout où cela est possible ; en a-t-il eu assez de la couleur politique adoptée par Bkerké depuis des décennies, assez d’être mollement consensuel, a-t-il voulu devenir l’exclusif porte-voix d’une toute petite minorité de ses fidèles ? Le patriarche maronite serait-il en réalité fondamentalement bling-bling, à la recherche d’un coup d’éclat, d’un électrochoc ; n’être plus, et pendant d’interminables semaines, que le seul sujet de conversations, dans les salons et sous les ors de la République ? Le patriarche maronite serait-il victime consentante de son caractère par trop méditerranéen, oriental, parfaitement accommodant avec les despotes à condition qu’ils protègent les faibles, les dhimmis, parfaitement à l’aise avec le saccage méthodologique de ces concepts un peu trop occidentaux que restent, ici, démocratie, liberté(s), fraternité, égalité, droits de l’homme, etc., dans une (très) pure tradition vaticane, réfractaire au moindre progrès, au moindre progressisme ?
À moins que cela ne soit tout simplement autre chose.
À la décharge de Béchara Raï, une chose et une seule : personne ne pouvait prendre la relève du gigantesque Nasrallah Sfeir sans au pire y laisser ses plumes, au mieux, fade to grey. L’actuel patriarche maronite a encore une fois posé la bonne question : puis-je exister à l’ombre du père, ultravivant et omniprésent, sans l’avoir tué ? Et sans rester totalement engoncé dans les jupes et les corsets vaticans ? Encore une fois, la réponse donnée par Béchara Raï a été catastrophique. Monstrueuse.
Trente-sixième semaine de 2011.C’est la maculée conception.Alfred Hitchcock en aurait fait un suspense glaçant : le patriarche maronite Béchara Raï est un homme d’une (très) grande intelligence. Qu’est-ce qui s’est passé, quelle tempête s’est déchaînée en lui pour qu’il en arrive à perdre aussi vite, aussi radicalement, ici et presque partout, jusqu’à la plus petite...

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