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À La Une - Liban

Noir c’est noir : l’insulte aux citoyens

Jusqu’à quel point un État peut-il régresser, tout en continuant, imperturbable, à vivre dans le déni le plus total ? C’est la question que n’a même pas le luxe de se poser la quasi-totalité de la population libanaise, plongée dans le noir en raison des coupures intenses de courant électrique, transie de froid en l’absence manifeste de mazout par un début d’hiver qui s’annonce particulièrement rude.

La distribution du mazout, loin de satisfaire aux besoins fondamentaux des Libanais. Photo archives

L’électricité fournie par l’État se résume désormais à des apparitions de quelques minutes, ponctuant des heures de rationnement, avec prolongements aléatoires. Hier, les plateformes médiatiques, aussi bien télévisuelles que radiophoniques, réservées aux plaintes citoyennes, dénonçaient en chœur les défaillances du secteur de l’électricité qui semble n’avoir plus d’existence que le nom. « Les coupures sont catastrophiques », déplore à L’Orient-Le Jour une habitante de Beit Mery, précisant que l’alimentation, « surtout au cours des deux derniers jours, s’est limitée à quelques minutes disparates. On a l’impression qu’ils s’amusent ! ».

« Le rationnement n’a plus de règles », résume une habitante de Sin el-Fil, tenante d’un petit commerce à Naccache. Hier même, d’ailleurs, cette région a souffert de 14 heures de rationnement d’affilée, comme le font remarquer plusieurs habitants.

« L’obscurité s’étend sur douze heures par jour », souligne une résidente du Chouf, alors qu’un moukhtar de la Békaa fait état d’une alimentation dérisoire de « huit heures par jour, depuis le début de l’hiver ». Et d’ajouter : « Ils se moquent de nous ! » Au Kesrouan, une femme au foyer affirme que « l’électricité ne vient jamais », alors qu’un habitant de Broummana, furieux, dénonce un rationnement « qui atteint désormais les 16 heures par jour ».

 

 

Écart saillant entre citoyen et État

Depuis la « prise en otage » de la station de Zahrani, réduisant de près de 40 % la production d’électricité dans tout le pays pendant plusieurs jours, l’alimentation est en net recul. Si cet incident avait inauguré le mois de décembre, l’Électricité du Liban avait promis une diminution des coupures en période festive, le temps de pallier progressivement les failles du secteur. Ces failles sont certes techniques, conséquence du délabrement des vieux groupes électrogènes, et se trouvent actuellement aggravées par l’arrêt de l’alimentation d’Égypte et de Syrie, à cause des bouleversements régionaux. Toutes ces données ressurgissent inévitablement lorsque s’élèvent les plaintes contre le secteur.

 

D’autres considérations viennent s’y ajouter, liées aux intempéries qui causent de nombreuses « pannes, appelant la mobilisation à plein temps de nos équipes techniques », selon une source de l’EDL. Or ce qui semble échapper à cet office, c’est l’ampleur du mécontentement populaire, que les communiqués officiels, qualifiés par certains citoyens de « mensongers », ne semblent plus aptes à contenir. En effet, ce ne sont plus des griefs liés au seul rationnement que le citoyen exprime, mais une irrégularité de plus en plus frustrante pour des régions entières noyées dans le froid hostile de l’hiver, livrées aux caprices d’un État qui dissimule son incompétence, sinon son insouciance, derrière des simulacres d’efforts et d’écoute. Mais le blocage de la communication entre les autorités et le citoyen, sur fond de dissensions au sein même du gouvernement, la disproportion entre les épreuves du citoyen humilié par l’obscurité qui l’enrobe et les réponses tièdes de l’EDL, isolent de plus en plus le citoyen des responsables. Dans l’attente d’un passage à l’acte, les Libanais continuent de sourire en évoquant le jour de l’an « annoncé par la coupure de l’électricité à minuit », ou de se plaindre d’un « réfrigérateur tombé en panne à cause des coupures irrégulières ». Mais le mécontentement promet de dégénérer là où les habitants ont froid jusqu’aux os et grelottent d’angoisse et d’injustice, dans les jurds du Mont-Liban, du Liban-Nord, de la Békaa et du Liban-Sud, où certains vont jusqu’à scier leurs meubles pour se réchauffer.

 

La crise du mazout

Déjà, la crise du mazout, liée à sa distribution déficiente sur le marché, ne fait que s’aggraver, notamment dans les régions du Liban-Sud, de la Békaa-Ouest et du Mont-Liban, face à une demande accrue liée au froid glacial qui domine actuellement les hauteurs. Alors qu’une source informée citée par l’agence al-Markaziya a renvoyé les raisons du manque de mazout « à une limitation de la distribution à Tripoli, où de larges quantités sont fournies aux commerçants de citernes en contrepartie d’une augmentation de prix de plus de 1 000 USD par citerne », le président du syndicat des distributeurs de pétrole Sami Brax, contacté par L’Orient-Le Jour, a préféré mettre l’accent sur l’existence de marchés noirs pour la vente de mazout, contrôlés par les compagnies de distribution, dont certaines, fictives, « prennent leur part de mazout des stations d’essence pour la revendre au noir ».

 

Du noir en contrepartie d’un peu d’étincelles. Pourtant, le ministre de l’Énergie Gebran Bassil promettait, il y a plusieurs mois déjà, un redressement du secteur, annoncé par le plan des 700 MW. Dans un communiqué réservé hier à la crise de l’électricité, le Parti socialiste progressiste a espéré que « ce plan général voté en Conseil des ministres après de longues tractations soit une chance réelle pour résoudre le problème en profondeur et rehausser le moral des citoyens, dont la souffrance à ce niveau ne fait pas de discrimination ».

 

À l’exception du siège administratif privilégié de Beyrouth, c’est un sentiment de profonde injustice qui s’empare progressivement des citoyens, un sentiment auquel l’EDL doit se montrer plus attentive. Sinon, autant disparaître définitivement, puisque la réglementation des générateurs d’électricité a été récemment entamée, à l’initiative du ministère de l’Intérieur.

 

Lire aussi : Bassil : Le projet pour une meilleure distribution du courant sera lancé en mars

 

L’électricité fournie par l’État se résume désormais à des apparitions de quelques minutes, ponctuant des heures de rationnement, avec prolongements aléatoires. Hier, les plateformes médiatiques, aussi bien télévisuelles que radiophoniques, réservées aux plaintes citoyennes, dénonçaient en chœur les défaillances du secteur de l’électricité qui semble n’avoir plus...

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