La mixité entre hommes et femmes a été publiquement interdite à trois reprises dernièrement dans trois localités du sud du Liban, ce qui n'a pas manqué de susciter une vague d'indignation parmi les membres de la société civile. Ces derniers dénoncent une atteinte aux libertés individuelles et mettent en garde contre des mesures à venir qui pourraient être encore plus restrictives.
À Aïtaroun, une piscine tenue par la municipalité a récemment été interdite d'accès aux femmes pendant la baignade des hommes, sachant que les femmes ne s'y baignaient pas de toute manière et qu'elles se contentaient de s'asseoir au bord de l'eau. Les motifs évoqués sont ceux de la nudité des torses des baigneurs et de l'aspect des maillots de bain masculins qui peuvent exposer le corps en raison de leur humidité. Désormais, les femmes et les enfants pourront accéder à la piscine du matin jusqu'à 16h, alors que les hommes pourront se baigner le soir. À Jebchit, un magasin où les jeunes peuvent se connecter à Internet a reçu un communiqué de la municipalité lui demandant, entre autres, de ne pas autoriser la mixité dans ses locaux, et de fermer aux heures de prière. Quant au dernier incident en date, il a eu lieu il y a quelques jours dans la ville de Khiam où les femmes ont été interdites de participer à un marathon, pour éviter la mixité lors de la course.
« Il s'agit d'un phénomène récent que l'on voit apparaître au niveau des municipalités. C'est la première fois qu'elles prennent des décisions qui ont pour but d'"organiser" les relations entre les gens, avec la religion en toile de fond », indique le journaliste et analyste politique Ali el-Amine à L'Orient-Le Jour.
Climat général d'extrémisme religieux
« Il y a 50 ans et plus, la mixité ne posait pas problème dans les villages chiites du Sud », confie M. el-Amine, qui rappelle que hommes et femmes se croisaient souvent devant les cours d'eau. « Quand les gens n'avaient pas encore accès à l'eau courante, les femmes allaient faire la lessive et la vaisselle dans les cours d'eau pendant que les hommes se baignaient, notamment à Aïtaroun, avant que la fontaine qui s'y trouvait ne soit détruite », déclare-t-il.
Pour M. el-Amine, ces agissements pourraient s'expliquer par le climat d'extrémisme religieux qui prévaut actuellement en raison des conflits régionaux. « Le Hezbollah mise sur l'identité religieuse chiite pour justifier son engagement en Syrie. Or les gens deviennent extrémistes quand la religion est mobilisée de la sorte. Il se peut que le Hezbollah ne soit pas directement impliqué dans les agissements qui ont eu lieu dans les municipalités. Mais ces comportements sont des conséquences sociales du retour vers le religieux », explique-t-il.
M. el-Amine avance par ailleurs une deuxième explication à ce phénomène et qui serait reliée aux problèmes rencontrés par le Hezbollah lors des dernières élections municipales. « Le Hezbollah a dû faire face à de nombreux conflits dans les villages du Sud lors des municipales. Il a également subi plusieurs échecs dans ses alliances avec le mouvement Amal. C'est peut-être une façon de détourner l'attention des gens des vrais problèmes qui se posent actuellement au niveau des municipalités. Au lieu de se pencher sur le travail du conseil municipal, la population va parler de religion, souligne-t-il. C'est des débats absurdes qui distraient les gens des vraies problématiques. Que les municipalités travaillent au développement avant de faire la morale aux gens », lance-t-il.
Quant aux réactions des citoyens, premiers concernés par ces mesures, Ali el-Amine constate que « certaines personnes confinées dans leurs villages adhèrent à ce genre de discours, mais les habitants de ces villages sont ceux-là mêmes qui vont à la plage de Tyr où la mixité existe ». « En général, la majorité des gens sont gênés par ces décisions et ils hésitent entre le fait d'en rire ou d'en pleurer », ajoute-t-il.
« Pour que les aounistes ne soient pas choqués »
Suite à ces incidents, plusieurs figures chiites opposées au Hezbollah ont mis en garde le Courant patriotique libre contre ce qu'elles estiment être « le vrai visage du Hezbollah ». Dans un article intitulé « Pour que les aounistes ne soient pas choqués » et publié sur le site New Lebanon, le journaliste Imad Komeiha indique que les interdictions de mixité sont dues au fait que le Hezbollah contrôle les municipalités où elles ont été émises.
« Il n'y a là rien de nouveau. Il s'agit de la façon de pensée profonde du Hezb, de son background intellectuel et culturel. Ce genre de choses arrive depuis longtemps dans les villages du Sud sauf que les gens en sont aujourd'hui informés grâce aux réseaux sociaux », souligne-t-il, avant d'ajouter que « les municipalités n'ont pas le droit d'imposer ce genre de choses ». M. Komeiha rapporte par ailleurs que des personnes originaires de Jebchit ont déploré le fait que l'interdiction de mixité ait été écrite noir sur blanc dans un communiqué au lieu d'être discrètement annoncée au propriétaire par un policier municipal.
« Il faut que les aounistes sachent où ils vont », déclare M. Komeiha, dans une critique à l'alliance controversée du général Aoun avec le Hezbollah. « Le Hezb a deux visages. L'un qu'il affiche devant ses alliés et le reste du monde, et un autre, son vrai visage, et qui est celui d'un parti religieux et islamique, explique-t-il. Le Hezbollah n'émet jamais d'interdiction directe. Il interdit parfois des fêtes ou des concerts sous prétexte qu'il y a des martyrs dans le village, par exemple. Il laisse aux gens une échappatoire à Tyr pour qu'on ne dise pas qu'il pose des interdictions formelles. Pour l'instant, sa priorité est politique et il laisse à plus tard l'application de ses principes religieux. S'il le fait maintenant, il pourrait se trouver en mauvaise posture par rapport à ses alliés. Il remet l'application de ses préceptes jusqu'au moment opportun. Sa stratégie est calquée sur le modèle iranien », souligne-t-il.
« Que le Hezbollah montre son vrai visage et que les Libanais, et surtout les aounistes, sachent qui il est », lance pour sa part Mona Fayyad, activiste dans le domaine des droits de l'homme, qui ajoute : « Le Hezb fait pire que Daech. Il se sent menacé en Syrie et les élections municipales ont montré ses faiblesses. On pourrait très bien arriver à pire que ces quelques décisions de non-mixité. Il s'agit là d'un test et, selon les réactions de la population, d'autres mesures pourraient être mises en place », conclut-elle.
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commentaires (13)
Barbus du Nord et barbus du sud, même combats: les femmes dans les piscines, café internet et marathons,,, on est "resistants" à ce que l'on peut....
Christine KHALIL
18 h 56, le 26 juillet 2016