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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Au Soudan du Sud, la guerre dans l’indifférence générale

La crise humanitaire qui sévit au Soudan du Sud est peu traitée par les médias occidentaux. Comme l'explique le Dr Remember Miamingi, ardent défenseur des droits humains au Soudan du Sud, elle est souvent analysée à travers un prisme uniquement ethnique aux dépens de ses racines politiques.

Des enfants-soldats lors d\'une cérémonie de désarmement, démobilisation et réintégration supervisée par l\'Unicef, le 10 février 2015, dans...

Il y a cinq ans, le Soudan du Sud vivait son moment le plus glorieux : sa naissance. Après des décennies de guerre civile ayant coûté la vie à quelques deux millions de personnes, le sud, à majorité chrétienne, se détachait du nord musulman. La scission du plus vaste pays du continent africain avait été célébrée par de grandes scènes de joie dans les rues de la nouvelle capitale, Juba. Des fonds internationaux avaient été rapidement versés et s'élevaient, avec les revenus pétroliers, à des milliards de dollars. Mais la fête n'a pas duré.

En janvier 2012, ce pays rentier, qui dépend à 98 % des revenus pétroliers, a paralysé l'économie nationale en suspendant la production de pétrole. Parallèlement, démarrait une lutte personnelle et politique entre deux hommes : Salva Kiir, président du pays et du parti majoritaire SPLM (Mouvement populaire de libération du Soudan) et Riek Machar, ancien vice-président accusé d'avoir fomenté un coup d'État. En décembre 2013, le conflit s'est vite transformé en guerre ethnique entre Dinka (ethnie de Salva Kiir) et Nuer (ethnie de Riek Machar). Depuis, il a fait plusieurs dizaines de milliers de morts et près de trois millions de déplacés. Selon un rapport de l'Onu publié en mars 2016, toutes les parties au conflit ont mené des attaques délibérées contre les civils, y compris des enfants et des personnes handicapées. Le rapport fustige notamment « la politique de la terre brûlée menée par le gouvernement », n'épargnant ni églises, ni mosquées, ni hôpitaux. Par conséquent, plus d'un tiers de la population est aujourd'hui menacé de famine. « La situation des droits humains au Soudan du Sud est parmi les plus horribles du monde, avec une utilisation massive du viol comme arme de guerre », avait déclaré le haut-commissaire de l'Onu aux Droits de l'homme, Zeid Ra'ad al-Hussein. Pourtant, elle passe souvent inaperçue.

 

 

Dans l'ombre médiatique
À l'exception d'événements peu communs, comme les affrontements qui ont fait plus de 270 morts plus tôt ce mois-ci, la crise humanitaire au Soudan du Sud est peu couverte par les médias occidentaux. « Les médias ont tendance à suivre les traces des grands décideurs politiques. Et en ce moment, le Soudan du Sud ne fait pas l'objet de suffisamment d'attention, comme c'était le cas pendant la guerre civile soudanaise (1983 -2005) », souligne Remember Miamingi, professeur sud-soudanais à l'université de Pretoria, en Afrique du Sud. « Il s'agit d'ailleurs d'une région qui est en crise depuis 1983. Le monde est fatigué de parler du Soudan du Sud... et la plupart des médias se plient aux préférences de leur public-cible », ajoute ce défenseur des droits humains. Les raisons derrière cette "discrétion" médiatique sont aussi tout simplement logistiques, puisque le pays ne possède que très peu de rues, et l'accès aux régions plus isolées par voie aérienne et maritime reste difficile pour les journalistes.

 

(Pour mémoire : Cinq ans d’indépendance du Soudan du Sud : du sang, des larmes et la faim)

 

Le prisme ethnique manipulé
Pour autant, la couverture médiatique de la crise consiste souvent à une description trompeuse des événements. Les conflits sont alors présentés à travers un prisme uniquement ethnique, aux dépens de leurs racines politiques et structurelles. En négligeant d'ôter le « déguisement » tribal d'une lutte qui a pour but le contrôle du pouvoir politique et des ressources naturelles du pays, « non seulement on consolide cette conception de la réalité parmi les propres parties prenantes, mais on induit la population à penser que l'accès au pouvoir passe forcément par la mobilisation des appartenances tribales », précise Remember Miamingi. Cette logique crée un cercle vicieux : toute négociation politique est alors considérée comme une impasse et la seule solution devient la division du pays selon des lignes de partage ethnique.

De son coté, la presse locale ne dispose pas des ressources nécessaires pour réaliser et diffuser des reportages de bonne qualité. S'ajoute à cela la forte censure qui ne cesse de s'abattre sur les journalistes à la recherche de l'objectivité. « Si tu es un journaliste Dinka et tu critiques ta propre tribu, tu es considéré comme un traître et tu perds toute reconnaissance parmi le reste des Dinkas. Il en va de même pour les Nuers », souligne Remember Miamingi. Le prix pour la neutralité peut facilement être l'emprisonnement ou même la torture. L'exemple le plus récent est celui d'Alfred Taban, rédacteur en chef du journal indépendant Juba Monitor qui est détenu par les services de sécurité depuis le 16 juillet sans aucune charge officielle. Il y a seulement quelques jours, il avait écrit que la paix au Soudan du Sud devait se faire sans Salva Kiir ni Riek Machar.

 

Les mots ne suffisent pas
Ces persécutions au nom de la sécurité nationale ne ciblent pas uniquement les journalistes, mais toute personne disposée à documenter la situation de manière objective, y compris des chercheurs d'organisations humanitaires et des membres des Nations unies. La Mission des Nations unies au Soudan du Sud (Minuss) est d'ailleurs particulièrement active dans le domaine du « reporting » et de la documentation des violations de droits humains. Toutefois, Remember Miamingi déplore que ses rapports répétitifs, tout comme ses résolutions audacieuses, ne se sont pas, jusqu'à présent, transformés en actions concrètes sur le terrain.

D'après lui, si l'Onu a déployé des forces de maintien de la paix et a réussi à protéger une partie de la population civile à travers les camps humanitaires, son Conseil de sécurité demeure paralysé. « On se retrouve dans une situation qui nous rappelle la guerre froide : d'un côté on a la Chine et la Russie qui contrarient toute action visant à apporter des changements, et de l'autre côté l'Occident qui utilise leurs réticences pour justifier sa position complètement indifférente... Cette passivité encourage l'impunité dont jouissent aujourd'hui les auteurs des atrocités au Soudan du Sud », explique-t-il.
Le développement remarquable des médias locaux dans le Soudan du Sud depuis son indépendance laisse en tout cas espérer qu'ils occuperont, dans les années à venir, un rôle plus contributif dans la pacification du pays le plus jeune au monde.

 

 

Pour mémoire

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