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Culture - Danse

Dans le giron de Leila, Ali meurt et renaît mille fois

Le festival in d'Avignon offre un magnifique écrin aux rituels chantés et dansés de Ali Chahrour, jeune chorégraphe et danseur libanais, troisième artiste, pour ce mois de juillet, de la Génération Orient.

Un regard suffit pour sentir toute l’affection et la complicité qui lient Leila et Ali.

La langue arabe a résonné au Cloître des Célestins, au cœur du festival in d'Avignon, qui offrait, à travers le focus de sa 70e édition, une tribune aux cultures du Moyen-Orient. Ce sont les deux pièces Fatmeh et Leila se meurt, du chorégraphe libanais Ali Chahrour, qui ont habité le beau Cloître pendant une semaine (3 représentations chacune), donnant à entendre la langue arabe, déclinée en chants puissants, profanes ou sacrés.

Dans ses deux pièces, deux volets d'un triptyque dont le succès à Avignon a été retentissant, Ali Chahrour a travaillé la chorégraphie avec des femmes ; dans les deux, il s'est appuyé sur des femmes qui ne sont pas danseuses, travaillant avec les unes (Rania al-Rafeï et Youmna Marwan) sur la puissance des corps dont le mouvement épouse les mots et les rythmes de la voix séculaire d'Oum Kalsoum ; avec l'autre (Leila Chahrour) sur la beauté des rituels de la complainte des pleureuses dans la tradition chiite.

Rencontre avec le chorégraphe, artiste de ce mois de juillet de la Génération Orient, et son interprète, pour une discussion à bâtons rompus, à l'ombre des arbres du Cloître Saint-Louis, QG du festival d'Avignon, entre répétitions et ajustements techniques.

Qui est Leila ?

« Je suis une femme ordinaire, j'ai 52 ans, je suis mère de trois enfants », lance-t-elle, un sourire bienveillant éclairant son visage rond. « Je suis venue au théâtre grâce à Ali Chahrour », poursuit-elle. « Ali a perdu son père alors qu'il n'était qu'un enfant. J'aimais beaucoup son père. C'était le cousin germain de ma mère, et j'étais très proche de la famille de ma mère. J'avais tellement de peine que j'ai chanté des 3ataba pour ses funérailles. Cette cérémonie s'est gravée dans la mémoire de Ali. Depuis, il a grandi, a été à l'école, a fini ses études universitaires et est devenu un grand chorégraphe », raconte-t-elle. « Je ne dis pas cela pour te flatter, Ali. Je ne fais que te rendre justice », lui lance-t-elle.

Leila chante ainsi dans les cérémonies depuis qu'elle a une douzaine d'années. Mais elle n'intervient que dans des cérémonies familiales, pour célébrer les gens qu'elle aime, parents, voisins, amis. Cela ne l'a pas empêchée de répondre à la demande de Ali Chahrour et de monter sur scène. « Ali a voulu présenter sur scène la cérémonie des funérailles de son père. Il n'a trouvé personne pour jouer ce rôle. Il m'a demandé de le faire. Et j'ai accepté », raconte-t-elle, encore. Aussi simple qu'une évidence. « Il nous est arrivé de hurler », dit Ali Chahrour, dans un sourire, cherchant du regard le consentement de Leila, « mais une profonde et sincère affection nous lie ». Travailler avec Leila n'a pas été de tout repos, « mais elle et moi avions décidé ensemble que nous irions le plus loin possible avec cette création ». Promesse tenue, de part et d'autre.

L'affection entre Leila à Ali est palpable, elle puise ses racines dans un vécu partagé, mais plus que tout, dans une confiance et un respect mutuels.
« Leila n'est absolument pas une femme ordinaire », affirme Ali. « C'est une guerrière. Malgré tous ces morts autour d'elle, c'est une femme qui aime la vie et qui la célèbre toujours à travers ses chants. Elle chante le 3ataba de mort pour confirmer la nécessité de poursuivre la vie, vaille que vaille, avec allégresse et joie. » Et Ali d'insister : « S'il n'y avait pas eu cette relation de confiance entre Leila et moi, relation que nous avons construite au fur et à mesure des répétitions et du travail commun, nous ne serions pas arrivés à cette quintessence de la création. Ce n'est pas moi qui ai décidé à un moment que Leila devait partager son expérience et sa vie avec le public. C'est Leila elle-même et l'équipe (notamment les deux excellents musiciens Ali el-Hout et Abed Kobeissi) qui ont décidé de partager avec le public toute cette affection. Cette petite histoire qui vient d'une petite maison de la banlieue de Beyrouth se transforme en tragédie universelle. L'histoire de Leila est un résumé de toute la complexité politique et sociale du Liban », affirme le jeune chorégraphe.

Chanter la mort

Chanter tous ces morts n'étouffe-t-il pas Leila ? « La mort, elle, m'étouffe de tristesse. Mais justement, chanter me libère de cette tristesse. Chanter m'aide à évacuer le chagrin et je peux être à nouveau dans la joie », explique-t-elle. Et de préciser, « le 3ataba, je le chante tout le temps, dans toutes les circonstances, tristes ou joyeuses, funérailles ou mariages... »
Que pensent ses enfants de cette aventure qui l'a embarquée de la banlieue de Beyrouth sur la scène libanaise, puis sur les grandes scènes internationales ? « Cela ne les concerne pas, la décision me revient », lance-t-elle, fermement. Elle avoue juste avoir été inquiète à l'idée de leur faire de la peine, notamment quand elle raconte dans le spectacle la mort de son mari. Et son mari, justement, s'il avait été en vie, aurait-il accepté de la voir sur scène ? « J'aurais su le convaincre », dit-elle, le regard malicieux, échangeant un rire complice avec Ali. « Il ne me refusait rien, il y avait une grande complicité entre nous, un respect, une entente et beaucoup de discussions. » À côtoyer ainsi la mort, Leila semble l'avoir domptée.

Génération Orient

À signaler que le chorégraphe et danseur libanais Ali Chahrour a été sélectionné par L'Orient-Le Jour pour faire partie de son écurie de talents artistiques, la Génération Orient, dont chaque mois voit éclore un nouveau nom – et Ali Chahrour est l'artiste de ce mois de juillet. Outre le soutien médiatique qu'il leur apporte, le quotidien remettra, en novembre de chaque année, trois prix à trois lauréats sélectionnés à 50 % par les internautes et à 50 % par un jury.


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