Attentats : les complotistes se déchaînent

"Ceci est un complot de l'Etat", "du travail de franc-maçon", "Mohamed Lahouaiej est en vie": comme après chaque attentat, les conspirationnistes se déchaînent en France sur la tuerie du 14 juillet à Nice.

"Le suspect de Nice parle depuis la Tunisie et dit qu'il n'est pas responsable du massacre!!!!", affirme une vidéo postée sur Youtube par "Orlando USA", sur laquelle un homme, vraisemblable homonyme du tueur mais qui ne lui ressemble en rien, affirme, en arabe, n'avoir rien à voir avec la tragédie.

Pourquoi Mohamed Lahouaiej Bouhlel a-t-il laissé ses papiers dans le camion au volant duquel il a tué 84 personnes? Pourquoi un "homme en beige" apparaît-il "dans plusieurs vidéos" alors que des policiers abattent le tueur? Un deuxième homme était-il dans le poids lourd?
A toutes les questions posées sur les forums et réseaux sociaux, toujours les mêmes réponses: "curieux", "complot".
D'un journaliste allemand ayant filmé le début du carnage, Panamza, un site phare de la sphère conspirationniste dit qu'il est "lié à Israël". "Que chacun déduise ce qui lui convient le mieux!", lance un lecteur.

Tuerie de Nice, attentats de janvier et novembre 2015 à Paris, du 22 mars à Bruxelles, à chaque tragédie ses théories complotistes.
Huit mois après le bain de sang de la salle de concerts parisienne du Bataclan, où ont péri 90 des 130 morts du 13 novembre, "je reçois cinquante messages pour me dire qu'il ne s'est rien passé, ou que ça s'est passé autrement", peste Emmanuel Domenach, vice-président d'une association de victimes.
"Certains nous disent que c'est le Mossad, d'autres que la France a laissé faire", se désole-t-il.

(Lire aussi : Les théories du complot au scalpel)

Agendas politiques
Une photo de corps gisant au Bataclan a fait dire à certains que leurs postures étaient "suspectes" et qu'il devait s'agir de "mannequins", s'insurge Vincent, une des victimes. "Il y a des gens qui ont perdu des proches à qui l'on a dit: 'votre mari ou votre femme vivent sur une île déserte, payé(e) par l'Etat'".

La "machine conspirationniste" s'est "emballée" avec internet et tourne "frénétiquement", "au mépris de toute vraisemblance", remarque Emmanuelle Danblon. Cette chercheuse, co-auteure en 2010 des "Rhétoriques de la conspiration", cite en exemple la thèse voulant que l'ex-Beatle Paul McCartney soit mort depuis des décennies et incarné par un sosie.

Les attentats, de par leur charge symbolique et leur portée politique, génèrent "immédiatement" leur "réinterprétation complotiste", décrypte Rudy Reichstadt, directeur et fondateur du site Conspiracy Watch. S'il y a des images des attaques, elles deviendront "louches" et s'il n'y en a pas, "c'est considéré comme suspect".

Gérald Bronner, auteur de "La Démocratie des crédules", évoque un "millefeuille" d'indices, "assez faibles" individuellement mais qui, réunis, "créent une théorie divergente". Pour critiquer "le système", "l'oligarchie", "l'élite", "les médias", "le sionisme" ou "le péril musulman", énumèrent les chercheurs. Les "conspirationnistes professionnels" ont tous des "agendas politiques", soulignent-ils.

(Pour mémoire, voir notre dossier : Pourquoi le monde arabe semble obsédé par les théories du complot ?)

Aux Etats-Unis, des théoriciens du complot expliquent après chaque fusillade que des "acteurs" sont mis en scène par l'administration Obama pour faire passer une législation plus restrictive sur les armes à feu, explique Rudy Reichstadt. En France, "les idéologues" évoluent "un peu plus" à l'extrême droite qu'à l'extrême gauche, ajoute-t-il. "Leurs thèses constituent une plate-forme pour la radicalisation des esprits", constate Gérald Bronner.

Un cadre d'une association de victimes du 13 novembre, qui souhaite rester anonyme, déclare "ne plus pouvoir compter" les messages "horribles" dans lesquels on lui dit espérer que "la prochaine fois, Daech (ndlr, acronyme du groupe Etat islamique) ne te loupera pas".
Les survivants des attaques parisiennes sont alternativement traités d'"acteurs juifs" ou d'"islamo-fascistes prêchant la bonne parole musulmane" quand ils ont simplement dit "qu'il ne fallait pas faire d'amalgame entre terroristes et musulmans", souligne-t-il.

Emmanuel Domenach, mi-juillet, s'est encore fait traiter sur Twitter d'"islamo-collabo", "responsable" du 13 novembre. "Ce soir-là, vous avez battu votre record de sprint? Pas du genre à sauter sur un terroriste", ironisait son interlocuteur.

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