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Liban - Liban-Sud

II- Au Liban-Sud, le terrible calvaire des parents qui attendent un impossible retour

Quelque 165 personnes originaires de Aïn Ebel, village chrétien de la bande frontalière, sont toujours en Israël. Des Libanais partis avec le retrait des troupes israéliennes, en mai 2000. Ce chiffre n'inclut pas les enfants partis avec leurs parents ou ceux qui sont nés de l'autre côté de la frontière.

L’église de Aïn Ebel, au Liban-Sud.

Des terrasses de maisons ombragées par des oliviers, des néfliers et des figuiers, de vieilles églises en pierre de taille et un village qui sent le soleil et le jasmin. Il est difficile d'imaginer la souffrance muette de nombreuses familles de cette localité tranquille à la frontière avec Israël. Ici, les larmes coulent en silence quand on pose des questions sur ceux qui sont partis avec le retrait israélien du Liban-Sud.
« Ils habitent à quinze minutes d'ici. Mon fils, mon frère, mes deux sœurs et leurs familles », soupire une femme en faisant un geste de la main pour montrer les plaines et les montagnes rondes de la Galilée, de l'autre côté de la frontière. « Que Dieu pardonne à tous ceux qui ont fait notre malheur », dit-elle en séchant ses larmes. « De grâce, ne me posez plus de questions, je vous raconterai des histoires communes aux autres habitants du village qui sont dans la même situation que moi. D'autres femmes ont les nerfs plus solides que les miens. Allez les voir », poursuit-elle.


Quelques mètres plus loin, vit un couple, l'homme, Khalil, est âgé de 76 ans et la femme, Nohad, de 72 ans. Leur fils et leur fille sont toujours « à l'intérieur ». C'est par ce terme que les habitants des villages chrétiens de la bande frontalière désignent Israël. « Ils (le gouvernement et le Hezbollah) nous accusent d'être les agents d'Israël. C'est l'État libanais qui avait délaissé la frontière du Sud la donnant en cadeau aux fedayine, pour lutter à partir de chez nous contre Israël. Ma maison avait été bombardée par les Israéliens au début des années soixante-dix. C'est ensuite l'armée libanaise qui a envoyé le major Saad Haddad (fondateur de l'Armée du Liban-Sud, ALS) chez nous. Ils nous ont livrés à nous-mêmes et puis ils nous ont accusés d'être des agents de l'État hébreu », s'exclame avec amertume Khalil, racontant une histoire qui a commencé avec les actions entreprises par l'OLP à la fin des années soixante à partir du Liban-Sud contre Israël.
Sa femme renchérit : « Nous étions coupés de tout. Nous prenions le bateau pour aller à Beyrouth-Est. Ou bien il fallait attendre des heures au barrage de l'ALS, avoir des autorisations spéciales. Deux de mes trois fils vivaient à Beyrouth pour poursuivre leurs études. Je tentais tant bien que mal de me rendre assez souvent chez eux. Et puis un jour, mon troisième fils a rejoint l'ALS. Quand je me suis opposée à son choix, il a rétorqué : au moins maintenant, tu n'attendras plus les autorisations spéciales pour te rendre à Beyrouth. »

 

(Lire aussi : I-Milia a vu ses parents pour la dernière fois en 2000 quand elle avait dix ans)


Aujourd'hui, le fils et la fille de Khalil et de Nohad qui sont de l'autre côté de la frontière ont respectivement 53 et 42 ans. Le couple a six petits-enfants qui vivent en Israël, dont trois nés en Galilée.
« Ceux qui sont nés là-bas parlent mal l'arabe. Ils ne savent ni lire ni écrire la langue. À l'école, ils n'apprennent que l'hébreu. Nos enfants vivent à deux pas de la frontière mais on ne peut pas les voir. Nous n'avons ni WhatsApp, ni Viber, ni Facebook pour communiquer au jour le jour avec eux. Nous avons de leurs nouvelles par le biais des habitants du village qui savent utiliser les nouvelles technologies et surtout par le biais de l'un de nos fils qui habite Londres », raconte Nohad.

 

« Je pense à lui comme je respire »
Le couple en veut à l'État libanais et à l'Église. Ils estiment que le patriarche maronite n'a pas fait assez pour trouver une solution au dossier des Libanais partis en Israël.
Ils évoquent plusieurs entretiens avec le patriarche Béchara Raï, notamment quand ce dernier s'est rendu en visite pastorale à Aïn Ebel et ensuite en Terre Sainte en mai 2014.
« Mgr Raï nous a dit de prier. Je ne comprends pas, prier plus que ça ? Il a aussi trouvé que notre village avait de la classe et il a dit à la vieille Oum Pierre, dont le fils unique est en Israël, d'arrêter de pleurnicher »... Vous savez, il n'y a qu'un seul homme, un vrai, au Liban, c'est (le secrétaire général du Hezbollah) Hassan Nasrallah. Lui, il a ramené même les cadavres de ses hommes d'Israël, obligeant les Israéliens à les déterrer de je ne sais où », s'insurge avec beaucoup d'amertume Nohad.

 

(Pour mémoire : Liban : le Parlement adopte la loi sur le retour des réfugiés en Israël)


Khalil et Nohad ont vu leurs enfants deux fois depuis mai 2000. C'était en 2008 et 2015, durant l'été, à Chypre.
« Il faut prévenir les services de renseignements libanais à notre départ et à notre retour. À chaque retour, la police nous demande : qui ils voient, où ils habitent, ce qu'ils font. Mais comment voulez-vous qu'on le sache, on ne vit pas avec eux pour le savoir ! » lance Khalil.
« L'année dernière, nous sommes restés treize jours avec eux à Chypre. C'est passé trop vite. Le retour est très difficile. Nous avons passé des semaines à pleurer. Je pense tout le temps à eux. Et je ne peux pas m'empêcher de pleurer à chaque fois que je cuisine un plat qu'ils aiment », ajoute Nohad.
« Mon fils et ma fille travaillent en Israël, leurs enfants y sont scolarisés. À 64 ans, ils percevront un salaire de retraités payé par le gouvernement israélien. Je ne veux pas qu'ils rentrent refaire leur vie au Liban. Je sais que c'est désormais impossible. Je veux juste qu'ils puissent venir nous rendre visite, pas tout le temps, peut-être une fois l'an pour Noël... Je veux que mon fils et ma fille puissent assister à mon enterrement », martèle Khalil.

 

(Pour mémoire : Raï refuse de considérer les anciens de l’ALS comme « des traîtres »)


Un peu plus loin dans le village, Oum Pierre se déplace devant sa terrasse à l'aide d'une canne. Sa peau est laiteuse, ses yeux verts, ses cheveux teints en roux foncé et ses cils fins et tatoués. Oum Pierre fut certainement une belle femme. Elle parle lentement et ne peut pas évoquer son fils, ancien militaire de l'ALS, âgé actuellement de 55 ans, sans pleurer. « Quand les Israéliens ont évacué le Liban-Sud en mai 2000, je suis partie de l'autre côté de la frontière avec mon fils et sa famille. Je suis rentrée au bout d'un mois. Je pensais qu'il me suivrait bientôt, qu'il finirait par rentrer, qu'une solution serait trouvée... L'une de ses filles est rentrée au Liban il y a deux ans. Elle a épousé un homme du village. Elle vient souvent me voir. »
« Quand le patriarche maronite est venu à Aïn Ebel en visite paroissiale, je lui ai dit de m'aider, en vain. J'ai frappé à toutes les portes, tout s'est fermé devant moi. Aucune promesse n'a été tenue. Je pense à mon fils à longueur de journée, comme je respire. J'ai 92 ans. Il ne me reste plus longtemps à vivre. Je veux juste voir mon fils avant de mourir. »

Les noms de Khalil et de Nohad ont été modifiés, à leur demande, pour préserver leur anonymat.

 

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Des terrasses de maisons ombragées par des oliviers, des néfliers et des figuiers, de vieilles églises en pierre de taille et un village qui sent le soleil et le jasmin. Il est difficile d'imaginer la souffrance muette de nombreuses familles de cette localité tranquille à la frontière avec Israël. Ici, les larmes coulent en silence quand on pose des questions sur ceux qui sont partis avec...

commentaires (2)

Triste et désolant comment un envahisseur usurpateur a pu écarteler des familles, pendant qu'il en massacrait d'autre..... Une bonne leçon qu'il ne faut jamais collaborer avec l'ennemi, on se retrouve méprisé de tous les côtés.

FRIK-A-FRAK

18 h 17, le 22 juillet 2016

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Commentaires (2)

  • Triste et désolant comment un envahisseur usurpateur a pu écarteler des familles, pendant qu'il en massacrait d'autre..... Une bonne leçon qu'il ne faut jamais collaborer avec l'ennemi, on se retrouve méprisé de tous les côtés.

    FRIK-A-FRAK

    18 h 17, le 22 juillet 2016

  • Une mère ne doit jamais abandonner ses enfants. Un Etat souverain comme l'est le nôtre, a laissé des hordes palestiniennes envahir les villages frontaliers pour les encercler et les laisser mourir de faim à la manière de Jamal Pacha en 1915. Pour nourrir leurs familles, ils ont eu recours au voisinage n'importe soit-il, comme je l'aurais fait moi-même dans un cas pareil. Notre Etat "souverain" ne leur permet pas de rentrer chez eux auprès de leurs famille. J'adjure tous les ministres chrétiens de démissionner tout de suite de ce gouvernement composé de comparses d'une milice affiliée à un Etat étranger.

    Un Libanais

    17 h 32, le 22 juillet 2016

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