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Moyen Orient et Monde - analyse

Cette nuit où le « sultan » Erdogan aurait pu tout perdre...

Le président turc semble désormais plus fort que jamais, mais...

Un homme agitant le drapeau turc en soutien au président Recep Tayyip Erdogan. Aris Messinis/AFP

Turquie, vendredi 15 juillet, 23h. Des coups de feu sont entendus à Ankara. Des avions et des hélicoptères survolent la capitale. Les ponts reliant les rives européenne et asiatique du Bosphore sont bloqués par des chars. La scène est complètement surréaliste. Comme le sera le reste de cette longue nuit, digne des plus belles pages d'Orhan Pamuk.

Quelques minutes plus tard, le Premier ministre turc, Binali Yildirim, annonce à la télévision qu'un groupe de militaires a tenté de renverser le gouvernement, « sans l'aval du commandement ». La situation est extrêmement confuse : qui sont ces militaires ? Que veulent-ils ? Où se trouve le président Recep Tayyip Erdogan ? Mais les faits ne font désormais plus de doute : la Turquie est en train de vivre un coup d'État, 36 ans après la dernière intervention des militaires pour prendre le pouvoir. Les réseaux sociaux s'emballent.
23h45. L'armée annonce avoir pris le pouvoir pour protéger l'ordre démocratique et les droits de l'homme. Elle ajoute que toutes les relations internationales sont maintenues. Tous les vols sont annulés à l'aéroport d'Istanbul. Toujours aucune nouvelle du président Erdogan. Et toujours aucune réaction de la part de la communauté internationale.


(Lire aussi : « C'était le chaos, les voyageurs étaient livrés à eux-mêmes »)

 

Minuit est désormais passé. L'agence de presse Anatolie rapporte que le chef d'état-major de l'armée turque a été pris en otage. La CNN Turk assure, de son côté, que Recep Tayyip Erdogan est en lieu sûr.
00h30. Un communiqué de l'armée annonce l'entrée en vigueur de la loi martiale. Un couvre-feu est décrété. L'un des tournants de la soirée interviendra environ 20 minutes plus tard : « le sultan » apparaît enfin, sur la chaîne CNN Turk. Réfugié à Marmaris, il appelle les Turcs à descendre dans la rue. Il semble déterminé et assure que la situation est sous contrôle. L'interview du président s'est pourtant faite via l'application FaceTime, ce qui en dit long sur sa situation à ce moment précis. On apprendra plus tard, selon ses dires, que les putschistes ont tenté de s'en prendre à lui à Marmaris et ont bombardé des lieux qu'il venait de quitter.
00h50. Première réaction américaine, deux heures après le début des événements : de Moscou, où il s'entretient avec son homologue Sergueï Lavrov sur la situation en Syrie, le secrétaire d'État américain, John Kerry, affirme « espérer paix, stabilité et continuité » en Turquie. M. Lavrov appelle pour sa part les Turcs à « éviter tout affrontement meurtrier ». Quelques minutes plus tard, le Parlement turc est encerclé par les chars.

Les jeux semblent faits et le « sultan » semble avoir été abandonné par ses alliés. À ce moment-là, les questions se multiplient : les États-Unis et/ou la Russie étaient-ils au courant ? Comment un pays aussi stratégique que la Turquie, membre de l'Otan, peut-il subir un coup d'État sans que personne n'intervienne ? Quelles conséquences aurait la chute d'Erdogan sur la guerre en Syrie ? On a, à cet instant-là, la sensation de vivre en direct un moment historique. On se laisse même aller à imaginer le sourire de Vladimir Poutine, la joie de Abdel Fattah al-Sissi ou la jubilation de Bachar el-Assad.

 

(Repère : Cinquante-six ans de coups d'État et de complots en Turquie)

 

« On ignore pourquoi ils n'ont pas tiré »
02h00. Le Premier ministre turc affirme que le gouvernement est toujours aux affaires. Quinze minutes plus tard, des F16 abattent un hélicoptère des putschistes. Répondant à l'appel de son président, la foule s'est rassemblée place Taksim et n'hésite pas à entrer en confrontation avec l'armée. Un char écrase un taxi.
02h30. Le président des États-Unis Barack Obama exhorte toutes les parties en Turquie à soutenir le gouvernement turc « démocratiquement élu ». L'Allemagne, l'Otan, la Grèce, l'UE et l'Onu lancent des appels similaires dans les minutes qui suivent. La roue a tournée. La partie est finie. Les combats vont continuer pendant le reste de la nuit et pendant la journée, faisant au moins 265 morts, mais leur issue ne fait plus guère de doute : M. Erdogan a maté le coup d'État.

À 4 heures du matin, il arrive triomphant au milieu d'une foule de partisans à l'aéroport d'Istanbul. Le président dénonce une « trahison » et accuse son ennemi Fethullah Gülen d'en être l'instigateur. On apprendra plus tard que, selon des responsables turcs, deux F-16 pilotés par des putschistes se sont approchés de l'avion ramenant à Istanbul le président Erdogan. « On ignore pourquoi ils n'ont pas tiré », affirme un ancien officier de l'armée au fait des événements. Supprimer le président n'était peut-être pas le meilleur moyen d'obtenir le soutien de la population et de la communauté internationale, si l'information devait se révéler exacte.

 

(Reportage : A Istanbul, la foule conspue les putschistes sur la place Taksim)

 

Trois erreurs
De cette nuit complètement folle, le « sultan » va sans aucun doute sortir renforcé, ce qui a pour conséquence d'alimenter des théories absurdes imputant au chef de l'État turc l'organisation de ce putsch raté. Il a pu compter sur le soutien de la rue, mais aussi sur celui du haut commandement de l'armée, qui a refusé de participer à l'opération. Même les groupes d'opposition, notamment les kémalistes et les Kurdes, pourtant très critiques envers la dérive autoritaire du président, ont dénoncé le coup d'État.

Les putschistes ont raté leur coup. Ils ont péché par amateurisme : ils n'ont pas réussi à rallier le gros de l'armée – première erreur –, n'ont pas réussi à empêcher M. Erdogan et son Premier ministre de s'exprimer – deuxième erreur – et enfin n'ont pas réussi à mobiliser la rue – troisième erreur.

 

(Repère : L'après coup d'État en Turquie : ce que l'on sait)

 

Véritable bête politique, M. Erdogan semble désormais plus fort que jamais. Il a obtenu le soutien unanime de la communauté internationale et a lancé un vaste mouvement de purges avec 6 000 militaires placés en garde à vue et près de 3 000 mandats d'arrêt délivrés à l'encontre de juges et de procureurs. Beaucoup d'analystes estiment qu'il n'aura désormais aucun mal à « présidentialiser » le régime. La victoire n'est pourtant ni totale ni définitive. Malgré son échec, le coup d'État, du simple fait qu'il ait été possible, a mis en exergue la fragilité de son pouvoir. Le président est déjà en guerre contre l'État islamique (EI) et contre les Kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et du PYD (Parti de l'union démocratique). Il ouvre désormais un troisième front contre une partie de l'armée.

La dérive autoritaire du pouvoir lui vaut de nombreuses critiques en interne, où la société est extrêmement divisée, comme sur la scène internationale. L'opposition n'a pas soutenu l'arrivée au pouvoir de l'armée, mais elle n'accorde pas pour autant un blanc-seing à M. Erdogan. De la même façon, la communauté internationale a soutenu le président élu, mais elle ne lui octroie pas non plus, pour autant, « un chèque en blanc ».
Autrement dit, chez les premiers comme chez les seconds, même après ce coup d'État manqué, une chute du « sultan » ferait sans doute beaucoup d'heureux.

 

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Turquie, vendredi 15 juillet, 23h. Des coups de feu sont entendus à Ankara. Des avions et des hélicoptères survolent la capitale. Les ponts reliant les rives européenne et asiatique du Bosphore sont bloqués par des chars. La scène est complètement surréaliste. Comme le sera le reste de cette longue nuit, digne des plus belles pages d'Orhan Pamuk.
Quelques minutes plus tard, le Premier...

commentaires (5)

SI LES OCCIDENTAUX ET LA RUSSIE N,OUVRENT PAS LES YEUX ... ET REPETENT LES ERREURS DE NAGUERE... LA TROISIEME GUERRE MONDIALE A COMMENCE CE VENDREDI SOIR PASSE !!!

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 05, le 18 juillet 2016

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Commentaires (5)

  • SI LES OCCIDENTAUX ET LA RUSSIE N,OUVRENT PAS LES YEUX ... ET REPETENT LES ERREURS DE NAGUERE... LA TROISIEME GUERRE MONDIALE A COMMENCE CE VENDREDI SOIR PASSE !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 05, le 18 juillet 2016

  • Ce coup me fait penser à un entrepreneur qui décide au milieu d'un chantier de casser sa salle de bain pour la refaire à nouveau . Il l'a refera parce qu'elle ne cadre plus avec l'ensemble de la villa comme prévue par les plans initiaux . Que cela soit erdo , lui derrière ce coup ou pas , a de toute façon réalisé qu'il faisait fausse route depuis 2011. Et voilà qu'il parle de virus qui infecte la turquie,on a envie de lui rappeler que jouer avec des bactéries salafowahabites c'est contagieux . Les bactéries salafisteswahabotes elles même connaîtront un sort moins chanceux quand les saoudos se réveilleront contre le pouvoir des 10.000 membres de cette famille répugnante. .

    FRIK-A-FRAK

    10 h 49, le 18 juillet 2016

  • Le coup d'Etat en Turquie est pour Erdogan ce que l'incendie du Reichstag fut pour Hitler. Hitler en a profité pour éliminer toute l'opposition allemande comme le fait Erdogan avec l'opposition turque. Ce qui a trahi Erdogan c'est sa liste de 3000 juges et procureurs arrêtés le jour même alors qu'il est absolument impossible d'accepter l'idée que ces hommes de la justice soient impliqués dans le coup d'Etat et surtout qu'ils aient été démasqués avant tout interrogatoire ou tout jugement. Ces 3000 juges sont ceux d'une liste établie durant ces dernières années par Erdogan pour raison de résistance aux jugements arbitraires favorables à l'autocratie de ce nouveau sultan. De même il va en profiter pour arrêter tous les libéraux, les démocrates des télévisions et des journaux ainsi que tous les militaires qui ne suivaient pas aveuglément ses directives autoritaires. Erdogan était au courant qu'un coup d'état se préparait (s'il ne l'a lui-même stimulé en secret à travers son réseau d'espions diffusé dans tous les corps d'Etat) et il a organisé la riposte afin de mettre en oeuvre la répression devenue légale contre toute la société civile démocratique . L'appel aux mosquées pour faire descendre le peuple du parti islamiste au pouvoir dans la rue est exactement l'appel fait à partir du clocher de l'église de Saint Germain l'Auxerrois par Catherine de Médicis et Charles IX lors du déclenchement de la Saint Barthélémy.

    Saleh Issal

    10 h 26, le 18 juillet 2016

  • Erdogan...un grand manipulateur ...., maintenant , il a donc les mains libres... , pour une purge militaro/islamique...(ou inversement) mais... la divine porte est plombée ...crédibilité et économie en chute et la "radicalisation" probable du pouvoir ne va rien arranger ...

    M.V.

    08 h 16, le 18 juillet 2016

  • DERNIER BARRAGE AUX REVES SULTANIQUES ETAIT L,ARMEE... DONC ? CE PUTCH ETAIT UNE MASCARADE THEATRALE POUR LEGALISER LA PURGE QUI OUVRIRAIT LA PORTE SULTANIQUE... L,ARRESTATION DE MILLIERS DE NON MILITAIRES L,Y CONFIRME MAGISTRALEMENT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 21, le 18 juillet 2016

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