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Moyen Orient et Monde - Gaza

Le Hamas entre paranoïa et tour de vis

Dix ans après la victoire remportée par le mouvement de la résistance islamique aux législatives de janvier 2006 et neuf ans après sa prise de contrôle par la force de toute la bande de Gaza, sa gouvernance est remise en question.

Des Palestiniens se divertissant dans un parc d’attractions à Gaza, au dernier du jour du Fitr. Mohammad Salem/Reuters

« Cela fait des années que le Hamas conçoit des règles pour encadrer nos vies. Mais, récemment, soit les dirigeants du mouvement finissent par reculer, soit ils ne les appliquent pas », raconte une jeune fille attablée dans un restaurant du bord de mer. Elle fume un narguilé discrètement, dans un coin peu exposé de la paillote. Le Hamas a semble-t-il interdit aux femmes – une nouvelle fois car une loi similaire avait été adoptée en 2010 – non accompagnées par un homme de leur famille de fumer le narguilé dans certains lieux publics. « Ils pensent que c'est inapproprié, mais finalement on se fait juste plus discrète en attendant que ça se tasse », conclut-elle désinvolte.

Le mouvement islamiste, considéré par de nombreux gouvernements comme une organisation terroriste, a tenté fin février d'imposer un chaperon dans les voitures d'auto-école pour empêcher que les candidates au permis de conduire ne soient seules avec leur moniteur. Un porte-parole de la police a ensuite indiqué qu'il s'agissait « d'avertissements et de conseils » plus que d'une loi.
Plus récemment encore, les autorités voulaient instituer une amende pour les fêtes dont elles jugeraient qu'elles perturbent la circulation ou le calme des quartiers. Le principe aurait été abandonné dans la quinzaine.

 

(Lire aussi : Accord de normalisation turco-israélien : les ambiguïtés du Hamas)

 

De l'avis de nombreux Gazaouis, ces règles semblent absurdes sur un territoire où la vie est déjà difficile. Sur les 1,8 million d'habitants, 1,3 dépendent de l'aide humanitaire et 60 % des jeunes sont au chômage.
Saleh Anbar est l'un de ces jeunes auxquels la bande de Gaza – assiégée et théâtre de cycles de violences récurrents – n'offre que peu d'opportunités. Mais l'étudiant de 22 ans n'est pas du genre à baisser les bras. À court d'argent de poche, il a eu une idée en décembre dernier : offrir à ses concitoyens le plaisir d'une séance de cinéma. S'il y a eu plusieurs salles obscures ici, elles ont été la cible d'affrontements politiques et religieux et sont aujourd'hui désaffectées.

Saleh a réussi à organiser deux projections dans le grand hall du Croissant-Rouge. Il revient sur son parcours du combattant : « Les autorités ont fini par nous dire oui, ils nous ont fait attendre un moment, espérant peut-être que nous abandonnerions, mais au bout du compte, ils n'ont rien à nous reprocher – les rangs sont séparés pour les hommes, les femmes et les familles, et on se plie à leur desiderata : ne pas éteindre toutes les lumières, assurer le respect des bonnes mœurs... »

 

(Lire aussi : A Gaza où l'électricité se fait rare, l'énergie solaire séduit)

 

Ces projections amateurs ont rassemblé des centaines de personnes et le cinéma semble bien parti pour revenir à Gaza puisque la deuxième édition du festival Red Carpet s'y est tenue du 12 au 16 mai. Là encore, les autorisations n'ont pas été évidentes à obtenir. Les autorités ont exigé de visionner tous les films, coupant dans sept d'entre eux des scènes jugées contraires à la moralité. Pour l'un des organisateurs de l'événement, Saoud Abou Ramadan, chaque rassemblement suscite la peur du chaos pour le Hamas : « Même pour 10 personnes sur la place centrale de Gaza, ils enverraient la police... Il ne faut pas oublier qu'en janvier 2013, une marche soutenant le Fateh (opposant du Hamas) a rassemblé près d'un million de personnes, ce qui a créé cette peur d'un renversement ou même d'agitations politiques. »

Le parti semble en effet craindre une opposition trop vivace. Début mai, il a affirmé avoir arrêté des membres d'une cellule visant à déstabiliser la bande de Gaza et soutenue, selon lui, par des responsables de son rival plus modéré, le Fateh. Une opposante politique souhaitant rester anonyme dit avoir fait l'objet d'interrogatoires de plusieurs heures, plusieurs fois par semaine et avoir même été agressée physiquement sur la voie publique en début d'année.

 

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De son bureau du centre-ville de Gaza, Omar Shaban, politologue et économiste palestinien, gère PALThink, un think tank qui réfléchit aux questions de démocratie et de société dans la région. Selon lui, les dirigeants de la bande de Gaza sont encore en pleine phase d'apprentissage et cherchent les bonnes stratégies : « Il y a un véritable débat entre divers courants de cette institution, plusieurs stratégies sont à l'étude – on le voit dans des lois sur lesquelles ils reviennent par exemple. » « Le Hamas est aussi dans une situation très compliquée car la réalité sur le terrain ne s'améliore pas vraiment, donc il leur est difficile de capitaliser sur des réussites ou des promesses tenues », poursuit-il. Il serait donc davantage question de contexte général que des choix d'un bureau politique : « Le manque d'opportunité et de ressources, la peur, la guerre... ça n'aide pas les gens à penser de manière ouverte et c'est ce qui fait le lit du conservatisme. »

 

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