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Liban - Guerre de juillet 2006 : 10 ans déjà

Tarek Mitri retrace le cheminement de la rude bataille diplomatique autour de la résolution 1701

Le Premier ministre de l’époque, Fouad Siniora, en compagnie de Condoleezza Rice à la conférence de Rome. Photo archives

Les négociations qui ont suivi la guerre de juillet 2006 ont duré près d'un mois. Ardues et intensives, elles ont été menées à Beyrouth, New York et dans plus d'une capitale étrangère par Fouad Siniora, au nom du gouvernement libanais, et par l'envoyé spécial de ce dernier, le ministre Tarek Mitri. Quels étaient les éléments de ces négociations qui ont abouti à l'adoption par le Conseil de sécurité de l'Onu, le 11 août 2006, de la résolution 1701 ? Quelles étaient les positions respectives des parties concernées ?

L'ancien ministre Tarek Mitri retrace, dans une interview à L'Orient-Le Jour, le long chemin parcouru jusqu'à l'adoption de la résolution 1701.
D'emblée, M. Mitri évoque le premier jour (12 juillet 2006) de l'offensive israélienne. Il souligne notamment que le Conseil des ministres, présidé par Fouad Siniora, a très vite pressenti qu'il s'agissait là d'une véritable guerre et non de simples représailles à l'enlèvement par le Hezbollah de deux soldats israéliens en territoire israélien, après avoir franchi la frontière du Liban-Sud. « Nous avons aussitôt réclamé l'instauration d'un cessez-le-feu, mais les chancelleries occidentales ont montré très peu d'enthousiasme à l'égard de notre requête », indique M. Mitri. Il était question de « créer les conditions nécessaires pour assurer la durabilité du cessez-le-feu ». L'ancien ministre explique cette attitude réticente par une sorte de blanc-seing accordé par les États-Unis à « l'objectif d'Israël de venir à bout du Hezbollah ». Pour le Liban, il fallait arrêter la machine de guerre israélienne engagée dans une opération qui allait bien au-delà des représailles contre le Hezbollah et menaçait l'ensemble du Liban, sa population civile et ses infrastructures.
Le gouvernement a alors mobilisé ses amis et s'est activé sur le plan de la diplomatie traditionnelle et publique. « Il fallait dire haut et fort que le Liban était victime et non agresseur et que l'invasion israélienne ne saurait être une légitime défense », souligne Tarek Mitri. L'Onu et la France se sont montrées réceptives aux positions libanaises, indique M. Mitri, soulignant néanmoins que « les participants au sommet du G8, qui se tenait le 16 juillet à Saint-Pétersbourg, se sont alignés bon gré mal gré, hormis le secrétaire général des Nations unies, sur la position des États-Unis qui voulaient retarder le cessez-le-feu au motif de vouloir traiter les causes profondes du problème ».

Le plan en sept points
Mais pour le gouvernement, il était vital de faire cesser les bombardements intensifs qui atteignaient de plein fouet les populations et les infrastructures civiles. « En concertation avec le président de la Chambre, Nabih Berry, qui était en contact permanent avec le Hezbollah, le Premier ministre et ses collaborateurs, ministres et conseillers, ont planché sans répit sur l'élaboration d'un plan en sept points pour servir de base à des négociations futures », relève M. Mitri. Cette feuille de route portait sur « un cessez-le-feu immédiat, la libération de tous les prisonniers, la restauration de la souveraineté de l'État sur l'ensemble du territoire, le retrait de l'armée israélienne, l'élargissement et le renforcement de la Finul, le placement du secteur des fermes de Chebaa sous juridiction des Nations unies, et le retour à l'accord d'armistice de 1949 ». La teneur de ce plan fut largement agréée par le Conseil des ministres et son texte adopté plus tard, le 29 juillet, à l'unanimité.

L'échec de la conférence de Rome
Avec le soutien de l'Onu, de la France et de l'Italie, le gouvernement réclame une réunion du Conseil de sécurité des Nation unies mais obtient une Conférence internationale sur le Liban à Rome. Celle-ci se tient le 27 juillet avec la participation de 15 États, dont les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. « Mais malgré l'appui qu'ont manifesté la France, l'Italie, la Russie et les Nations unies à notre demande de cessez-le-feu, la conférence n'a pas été concluante, vu que les États-Unis campaient toujours sur leurs positions », souligne l'ancien ministre.
Parallèlement, l'opération israélienne passait à la vitesse supérieure, entraînant davantage de morts et de destructions. Le 29 juillet, le Conseil des ministres décide à l'unanimité de dépêcher à New York Tarek Mitri, le chargeant de participer au processus diplomatique qui venait de s'enclencher au Conseil de sécurité.

À New York, versions et objections
Dix ans après, l'envoyé spécial du gouvernement garde de cette mission diplomatique aux États-Unis un souvenir aussi vivace que s'il s'agissait d'un événement survenu tout récemment. « Ce furent les 15 jours les plus difficiles de ma vie politique », souligne-t-il, affirmant qu'il ne comptait plus ni les jours ni les nuits, d'autant que le décalage horaire avec le Liban lui imposait de se concerter à des heures impossibles avec le Premier ministre au sujet des discussions en cours à New York, M. Siniora le tenant également informé de ses échanges avec le président français de l'époque, Jacques Chirac, et avec la secrétaire d'État, Condoleezza Rice, ainsi que d'autres dirigeants.
Le 31 juillet 2006, M. Mitri entame des contacts avec chacun des représentants des 15 États membres du Conseil de sécurité. À peine arrivé à New York, il prononce un discours devant le Conseil de sécurité, au cours duquel il expose le plan gouvernemental en 7 points, « fruit d'une entente unanime des membres du gouvernement ». M. Mitri s'emploiera à le défendre avec acharnement pour tenter d'écarter les projets de résolution qui se concoctaient alors et qui étaient en défaveur du Liban. Les représentants des États-Unis et de la France négociaient dans la plus grande discrétion, les uns défendant Israël et les deuxièmes apportant leur soutien au Liban. Le 4 août, le ministre libanais apprend que deux projets successifs de résolutions étaient envisagés, l'une proclamant la cessation des hostilités et l'autre créant une force internationale, sous le chapitre VII. L'idée de confier à l'Otan la mise en place de cette dernière fut évoquée mais elle fut écartée. Le Liban exprimera son rejet ferme d'une telle option. « Il n'était pas question d'accepter une solution dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations unies qui autorise le recours à la force et, si nécessaire, sans le consentement du gouvernement », explique-t-il.
Le 5 août, une première mouture de la résolution onusienne circule, prônant l'application du chapitre VII ainsi que la cessation des seules « opérations offensives » de l'armée israélienne, « comme si la résolution laissait la latitude à Israël de lancer des opérations défensives », relève M. Mitri. « De plus, aucune mention concernant notre proposition sur le secteur des fermes de Chebaa n'y était mentionnée, ni même une référence à l'accord d'armistice de 1949 », ajoute-t-il. La partie libanaise exprimera donc également son opposition à ce projet de résolution. M. Mitri soulignera haut et fort cette opposition, devant la presse d'abord, et le 8 août, devant le Conseil de sécurité. Le jour même, la présence d'une délégation ministérielle venue dire l'appui des ministres arabes des Affaires étrangères réunis à Beyrouth contribue à faire monter la pression pour arriver à une résolution plus acceptable par le Liban.
L'ancien ministre souligne l'importance de la réunion du gouvernement libanais tenue la veille, au cours de laquelle celui-ci avait affirmé sa disposition à déployer l'armée au Sud et jusqu'à la « ligne bleue ». « Avec cette position du gouvernement libanais, précise Tarek Mitri, les discussions au Conseil de sécurité avaient noté l'importance d'éviter une vacance sécuritaire dans la zone au sud du Litani, le vide que créerait le retrait de l'armée israélienne devant être comblé par le déploiement de la troupe. »

La mouture finale
Enfin, le 11 août, le Conseil de sécurité adopte à l'unanimité une résolution portant le numéro 1701, dans laquelle les revendications libanaises ne sont pas ignorées. Il n'y est plus question de la cessation des « opérations offensives d'Israël » mais de « la cessation immédiate par Israël de toutes les offensives militaires ». Également, la résolution ne mentionne plus le chapitre VII de la charte et elle est adoptée sous le chapitre VI. « Il s'agit pour la Finul renforcée d'aider l'État à restaurer son autorité sur l'ensemble du territoire au moyen d'une force d'interposition et de soutien, et non d'intervention », relève M. Mitri.
L'ancien ministre évoque en outre avec satisfaction les deux références à l'autorité de l'État libanais dans le texte de la résolution. « L'une mentionne le recouvrement de la souveraineté de l'État sur tout le territoire à travers ses forces armées, et l'autre l'établissement entre la ligne bleue et le Litani d'une zone d'exclusion de toute présence armée autre que celle de l'État libanais et de la Finul », souligne M. Mitri.

Avec le recul d'une décennie, quel bilan peut-on dresser de l'application de la résolution 1701 ? « Toutes les parties sont plus ou moins satisfaites », estime M. Mitri, indiquant qu'« elles continuent tant bien que mal à la respecter, même si elles l'interprètent chacune à sa façon ». Il y a eu, certes, des compromis dans l'application. « Dans la zone d'exclusion de toute présence armée autre que celle de l'armée libanaise et de la Finul, il a été jugé de facto que ce qui n'est pas visible n'existe pas. » Certes, toutes les frontières du Liban ne sont toujours pas sécurisées et les armes continuent d'entrer sur le territoire malgré la clause relative à l'interdiction de toute vente ou fourniture d'armes qui n'aurait pas obtenu l'approbation du gouvernement, relève M. Mitri. Certes, aussi, les violations par Israël de l'espace aérien persistent, mais la résolution n'est pas pour autant galvaudée, affirme-t-il.
La résolution 1701 n'a pas donné au gouvernement libanais les moyens d'étendre son autorité sur l'ensemble du territoire national. Aujourd'hui, le Conseil de sécurité ne serait pas prêt à considérer l'éventualité de confier à la Finul une quelconque mission au-delà de sa zone d'activité actuelle. Il est clair que la 1701, en couvrant une variété de thèmes, continue de prêter à une certaine confusion. Son caractère parfois général témoigne de la rude bataille diplomatique qui a débouché sur son approbation.

 

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L,ERREUR D,AVOIR SAUVE LES MERCENAIRES IRANIENS ET D,EN PAYER LE PRIX DEPUIS...

LA LIBRE EXPRESSION

07 h 48, le 12 juillet 2016

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Commentaires (1)

  • L,ERREUR D,AVOIR SAUVE LES MERCENAIRES IRANIENS ET D,EN PAYER LE PRIX DEPUIS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 48, le 12 juillet 2016

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