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Moyen Orient et Monde - Guerre de juillet 2006 : 10 ans déjà - Diplomatie / Résolution 1701

Au Conseil de sécurité, « la France était le seul vrai ami du Liban »

En septembre-août 2006, Jean-Marc de La Sablière, représentant permanent de la France au Conseil de sécurité à cette époque, prend une part déterminante dans la résolution 1701 qui permettra de mettre fin à la guerre entre Israël et le Hezbollah. Dix ans plus tard, il revient pour « L'Orient-Le Jour » sur ces négociations.

Jean-Marc de La Sablière a été élu « diplomate européen de l’année » en 2006 par European Voice, du groupe Economist, grâce notamment à son implication dans l’élaboration et l’adoption de la résolution 1701 au Conseil de sécurité de l’Onu. Photo Antoine Ajoury

Il a été élu « diplomate européen de l'année » en 2006 par European voice, du groupe Economist, grâce notamment à son implication dans l'élaboration et l'adoption de la résolution 1701 au Conseil de sécurité de l'Onu. Jean-Marc de La Sablière était à cette époque le représentant permanent de la France au Conseil de sécurité et chef de la mission permanente auprès des Nations unies de 2002 à 2007. Mieux encore qu'un grand diplomate, il a été ce que les Américains appellent un deal maker, un faiseur de paix.

Dans son ouvrage Dans les coulisses du monde, paru en 2013 (aux éd. Robert Laffont), le diplomate français revient sur l'ensemble de sa carrière au service de son pays, notamment celle passée à l'Onu. Son témoignage passionnant dévoile surtout les affrontements et les jeux d'influence qui se déroulent au sein du Palais de Verre à New York. Il fait vivre de l'intérieur les nombreuses batailles diplomatiques qu'il a menées au sein du Conseil de sécurité, dont notamment celle concernant le Liban, jouant un rôle déterminant dans l'adoption des résolutions 1559 et 1701.

Le dossier du Liban, ce pays dont il est « lié par le destin », comme il l'écrit dans son livre, va ainsi l'accaparer durant plusieurs années. Un dossier pour lequel il a personnellement beaucoup bataillé, notamment sous l'impulsion de l'ancien président français Jacques Chirac, dont il a été l'un des proches collaborateurs et un de ses conseillers les plus influents. Ses talents de grand négociateur lui ont permis en août 2006 de mener avec succès des négociations ardues avec les États-Unis pour aboutir finalement, en partenariat avec Tarek Mitri, le ministre libanais des AE p.i. de l'époque, à la résolution 1701 qui permettra de mettre fin à la guerre entre Israël et le Hezbollah. Dans son livre, il en fait un récit palpitant, presque jour par jour.
Dix ans plus tard, Jean-Marc de La Sablière revient pour L'Orient-Le Jour sur ces négociations.


La guerre commence le 12 juillet alors que la France assure la présidence du Conseil de sécurité. Vous dites que certains étaient, au début, favorables à l'idée de laisser faire les Israéliens. Comment a évolué la position de Paris ?

Cela est certain de la part des Américains et explique que jusqu'à la fin du mois de juillet, il n'ait pas été possible de nouer la négociation. Du côté français, certains au départ avaient trouvé qu'il y avait là une opportunité de voir détruite l'infrastructure militaire du Hezbollah au Sud. Mais très tôt, dès le 14 juillet, le président Chirac, devant les bombardements sur tout le territoire, dénonce la réaction disproportionnée des Israéliens et une « volonté de détruire le Liban ». Il appelle à la cessation immédiate des hostilités.

Les négociations avec les Américains étaient ardues. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
La négociation s'est nouée après que la France, trouvant insupportable les souffrances du peuple libanais, eut fait circuler fin juillet un projet de résolution. Les Américains comprenaient de leur côté, après plus de deux semaines de guerre, qu'Israël n'atteindrait pas ses objectifs. Elle a commencé au niveau des deux capitales, puis, très vite, cette négociation a été transférée aux deux ambassadeurs aux Nations unies. Tous les matins John Bolton venait avec un collaborateur à la Mission française et nous négociions toute la journée. J'étais assisté également par un collaborateur.
La discussion a été difficile : nous nous sommes trompés une fois et le résultat a été refusé par le Premier ministre (libanais de l'époque) Fouad Siniora. Elle a été tendue parfois : le 9 août, après une séance très difficile la veille au soir, au cours de laquelle j'avais refusé des demandes américaines, le président Chirac, à la suite de mon rapport, a même menacé de mettre fin à la négociation en disant que la France pourrait présenter seule un projet de résolution. Mais elle a été aussi créative : nous avons trouvé finalement les formules acceptables par le Liban et Israël.

Pouvez-vous nous expliquer votre méthode de travail? Votre tactique pour aboutir à une résolution bétonnée et qui peut passer au Conseil de sécurité ?
Il y avait beaucoup de problèmes, mais quatre étaient clés : la cessation des hostilités, le retrait israélien et celui des forces du Hezbollah du sud du Litani, faire avancer la résolution 1559 et revoir le mandat de la Force internationale qui devait être plus robuste. Je pensais que dès lors qu'il y avait un souhait des deux côtés d'aboutir, il fallait être très créatif à l'intérieur des lignes rouges libanaises et israéliennes, mais aussi très ferme : les Israéliens ne pouvaient tenter d'imposer leurs conditions de sortie.

Comment qualifieriez-vous la position du Liban et celle de son gouvernement ?
Je pensais que la position de Fouad Siniora était difficile : il y avait à la fois le court terme, qui était de mettre fin à la guerre et aux souffrances qu'elle entraînait, le long terme pour préserver et consolider le Liban, et le problème de la relation avec le Hezbollah. Sa décision concernant le déploiement de forces armées libanaises au Liban-Sud a été très importante. Dans l'ensemble, je trouvais que sa position concernant la négociation était compréhensible et juste.

Vous parlez dans votre livre du Liban avec beaucoup de passion et de compassion. Pourquoi ?
Sans doute à cause de mon enfance passée à Beyrouth qui a été très heureuse. Sans doute, aussi, parce que j'aime le peuple libanais dans sa diversité. Sans doute, enfin, parce que le Liban est le jeu de forces extérieures sur lesquelles il ne peut avoir prise.

Sur le plan personnel et sur le plan français, ces négociations et la résolution 1701 sont une victoire. Comment vivez-vous ce succès ?
Je suis surtout soulagé de la fin de la guerre. Avoir aidé à trouver la sortie, sous l'autorité du président Chirac, est un moment que je n'oublierai pas.

Comment évaluez-vous le rôle de la France ?
Je pensais que la France était le seul vrai ami du Liban.

Comment analysez-vous, 10 ans plus tard, les conséquences de cette guerre ?
Je suis satisfait de voir que, malgré le nouveau contexte dans la région, le Liban-Sud est calme. Cela tient aux parties qui y ont un intérêt. Cela tient aussi à la résolution 1701. Elle n'est malheureusement pas appliquée dans toutes ses dispositions, mais je constate que la Finul fait du bon travail et que les parties tiennent à cette force onusienne. Il faut cependant être très vigilant car il y a des risques de dérapages. Il est dommage que l'on n'avance pas sur un cessez-le-feu permanent.

 

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