La naturalisation des réfugiés syriens en Turquie évoquée par le président turc, si elle a ravi les premiers intéressés, répond surtout pour les analystes à un calcul de la part de Recep Tayyip Erdogan qui en espère des avantages politiques et économiques.
Ils sont quelque 2,7 millions de Syriens à avoir trouvé refuge en Turquie depuis le début du conflit dans leur pays en 2011. Seuls 10 % environ vivent dans des camps près de la frontière, les autres, toutes catégories sociales confondues, se battent pour s'intégrer à la société et au marché du travail. La Turquie ne les considère pas juridiquement comme des réfugiés, mais comme des « invités ».
Pour Mohammad Nizar Bitar, un Syrien arrivé en Turquie il y a cinq ans, l'évocation d'une naturalisation « est une excellente nouvelle, car nous allons rester ici de toute façon ». Il est propriétaire de trois restaurants à Istanbul et emploie des dizaines de Syriens. « Cette mesure améliorerait considérablement les conditions de vie de mes compatriotes ! » s'enthousiasme-t-il.
Jean Marcou, professeur à Sciences-Po Grenoble (France), estime lui aussi qu'il « est aujourd'hui fort probable qu'une majorité de réfugiés veuillent rester en Turquie où ils se sont installés, ont trouvé du travail et commencent à s'intégrer ». « La Turquie sait qu'elle n'a plus qu'à prendre acte d'une situation qui s'impose à elle », ajoute-t-il.
L'annonce, dimanche, du président turc, qui intervient quelques jours après la réconciliation d'Ankara avec la Russie, est le fruit de la realpolitik d'Ankara. « Dans le cadre de ce rapprochement, la Turquie est amenée à accepter qu'un règlement du conflit en Syrie ne passera qu'à travers le maintien du président Bachar el-Assad au pouvoir », indique à l'AFP Marc Pierini, analyste à la Fondation Carnegie Europe.
Réservoir d'électeurs
Pour Aykan Erdemir, chercheur à la Fondation pour la défense des démocraties, « l'annonce du président Erdogan ne témoigne d'aucune sensibilité par rapport à la difficile situation » des réfugiés, mais « est largement perçue comme un nouveau stratagème au service de ses ambitions personnelles ».
Toujours en quête de nouveaux soutiens pour assurer à son Parti de la justice et du développement (AKP) la majorité des deux tiers à la Chambre après avoir perdu le vote des Kurdes, le président Erdogan voit surtout en ces centaines de milliers de réfugiés « un réservoir d'électeurs », selon M. Pierini. « Pour eux qui sont parfois arrivés avec uniquement un sac à dos, Erdogan est un père qui leur a rendu leur dignité, leur permettant de bénéficier d'une carte d'identité temporaire et de soins gratuits », dit-il.
Si le vote d'une majorité de Syriens naturalisés lui était acquis, « il pourrait lui permettre d'acquérir une écrasante majorité pour amender la Constitution et/ou remporter un référendum sur le système présidentiel » qu'il veut établir pour remplacer le régime parlementaire, juge M. Erdemir.
Plus largement, le président turc cherche à « redorer son blason » aux yeux de la communauté internationale « en consacrant la Turquie comme un pays d'immigration », à l'heure où l'Union européenne a tant de mal à faire face à la vague migratoire actuelle, selon M. Marcou. « Naturaliser les réfugiés syriens pourrait par ailleurs permettre à Ankara d'entrer dans une phase de stabilisation, de trouver de nouveaux appuis et de se repositionner au Moyen-Orient », avec notamment la normalisation la semaine dernière de ses relations avec Israël, poursuit-il.
(Lire aussi : Turquie : retour à la diplomatie du zéro problème avec le voisinage ?)
Arme à double tranchant
Au niveau national, la Turquie aurait également beaucoup à gagner si les réfugiés syriens étaient intégrés au marché du travail, estime M. Erdemir. « Pendant longtemps, le pays s'est vanté d'avoir une population jeune mais cette "fenêtre démographique d'opportunités" touche à sa fin », dit-il. « L'intégration des réfugiés syriens pourrait booster l'économie turque » en difficulté. « Cela requiert la mise en place par Ankara d'un plan socioéconomique » capable de leur assurer « des formations et programmes d'intégration », ajoute le chercheur, craignant toutefois qu'Erdogan « ne soit pas du tout conscient de la complexité de la tâche ». « Il risque de transformer un accord gagnant-gagnant pour la Turquie et les réfugiés syriens en une mesure perdant-perdant pour les deux parties », soutient-il.
Selon lui, « l'annonce choc de M. Erdogan a provoqué une importante réaction antiréfugiés et une rhétorique xénophobe ». Sur les réseaux sociaux, nombreux étaient ceux qui s'interrogeaient sur l'opportunité du projet, notamment sur Twitter, sous le mot-dièse éloquent #ülkemdeSuriyeliistemiyorum (#JeneveuxpasdeSyriensdansmonpays).
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commentaires (4)
MALHEUREUSEMENT AU MOINS LA MOITIE NE QUITTERA PLUS LE PAYS... METTANT EN DANGER LES BALANCES DEMOGRAPHIQUES...
LA LIBRE EXPRESSION
15 h 59, le 07 juillet 2016