Après 43 ans de mariage, de méfiance et de provocations, de besoins mutuels et de coopération, les Britanniques ont souverainement décidé jeudi de mettre fin à leur Je t'aime moi non plus avec l'Union européenne (UE).
Compte tenu de leur euroscepticisme historique, tout l'enjeu du scrutin était de savoir si les Britanniques exécraient l'UE au point de vouloir en sortir. Avec près de 52 % des votes en faveur du Exit, les électeurs ont apporté une réponse claire et tranchée à cette question. Un score à prendre d'autant plus au sérieux que le meurtre de la députée Joe Cox et le fort taux de participation, 72,2 %, ont probablement joué en faveur du Remain.
La victoire est toutefois loin d'être totale et risque de laisser des traces importantes au sein même du Royaume-Uni. Les résultats du vote ont révélé d'importantes divisions dans un royaume plus désuni que jamais. Les Écossais, les Nord-Irlandais, les Londoniens et les jeunes ont très majoritairement voté pour le Remain. Au contraire, le nord de l'Angleterre, plus pauvre, et le pays de Galles ont voté en faveur du Exit. Les Écossais n'ont d'ailleurs pas tardé à réclamer un nouveau référendum pour obtenir leur indépendance.
Un an après avoir été réélu triomphalement à la tête de l'exécutif anglais, le Premier ministre David Cameron vient de subir une terrible débâcle. Principal responsable de la défaite des anti-Brexit, il en a tiré les conséquences en annonçant hier sa démission. Alors qu'il pensait que le référendum allait lui permettre de négocier en position de force avec Bruxelles, M. Cameron a perdu à son propre jeu. L'histoire retiendra de lui qu'il a laissé son pays dans la double incertitude de la sortie de l'Union européenne et d'un possible éclatement du royaume.
Chef de file des pro-Brexit, membre du parti conservateur comme M. Cameron, Boris Johnson pourrait être le grand gagnant de ces élections. Populiste, parfois clownesque, il a permis de faire pencher la balance en faveur du out, et se place désormais dans les premiers rangs pour la succession à M. Cameron. C'est peut-être lui qui sera chargé de négocier les futures conditions du divorce avec l'Union européenne.
(Reportage : Au QG de campagne des pro-Brexit, on fête "l'indépendance" du Royaume-Uni)
Deux types d'État
Du côté de Bruxelles, justement, le temps n'est pas vraiment à l'optimisme, même si on cherche à éviter l'hystérie. Si le Royaume-Uni a toujours été un membre à part au sein de l'Union, le Brexit est à la fois historique et extrêmement symbolique. Historique : parce que c'est la première fois qu'un pays décide de quitter l'UE. Symbolique : parce que cela crée un précédent. Ces dernières années, les relations qu'entretiennent les peuples européens avec l'UE pouvaient se résumer ainsi : « L'UE, on ne l'aime pas, mais on ne la quitte pas. » Désormais, tous les eurosceptiques, et a fortiori les europhobes, vont utiliser la jurisprudence britannique pour prouver que c'est possible.
L'UE ne doit pas s'y méprendre. Elle est en grande partie responsable de ce Brexit. Laborieuse, indéfinissable, technocratique et parfois méprisante, elle ne fait plus rêver depuis déjà bien longtemps. Le Brexit est un signal d'alarme : l'UE doit absolument se réformer au risque de disparaître. Pour éviter que d'autres pays aient des envies d'ailleurs, l'UE doit réussir un double pari. Le premier, c'est de rappeler aux peuples, surtout aux jeunes générations, ce qu'elle a réellement accompli. C'est de leur rappeler que c'est un projet unique qui a permis de pacifier le continent le plus belliciste au monde, le dotant d'une puissance économique et d'une prospérité sans égal dans l'histoire récente.
Le second, c'est d'être capable de relancer le projet européen en prenant en compte les revendications populaires et les divergences de point de vue entre les États membres. Cela veut dire plus de réalisme et moins d'idéalisme : à défaut de pouvoir s'entendre sur tout, il faut au moins s'entendre sur l'essentiel.
(Lire aussi : Comment les Libanais au Royaume-Uni vivent le choc du Brexit)
Les grands perdants de la mondialisation
C'est dans cet esprit que les deux moteurs de l'UE, la France et l'Allemagne, doivent désormais relancer le projet européen, notamment sur le thème très actuel de la sécurité collective. Les États membres de l'UE font face à des défis existentiels : la lutte contre le terrorisme, la gestion des flux migratoires, la crise de l'environnement ou la régularisation de la finance. Ensemble, les États ont bien du mal à affronter ces problèmes et leurs opinions divergent la plupart du temps. Mais séparément, ils n'ont tout simplement aucune chance. Interrogé par France 24, l'ancien président du Conseil italien, Enrico Letta, résumait très bien la situation il y a quelques jours : « Il y a désormais deux types d'État en Europe, les petits États, et les États qui n'ont pas encore pris conscience qu'ils étaient petits. »
Certes, l'UE ne fonctionne pas, mais dans le reste du monde, cela ne fonctionne pas vraiment davantage. Le Brexit est en partie le produit d'un populisme qui gagne les esprits à l'échelle mondiale. Un populisme qui se traduit un peu partout par la tentation de l'isolement comme pour éviter de se confronter à la réalité des problèmes. Un populisme qui s'appuie essentiellement en Occident sur deux sentiments de plus en plus partagés. L'un, légitime, est le sentiment des grands perdants de la mondialisation, convaincus de subir des conditions de vie de plus en plus difficiles. L'autre, plus fantasmé, est le sentiment d'être envahi par les étrangers, de ne plus être chez soi.
Ces deux thèmes font le jeu des partis d'extrême droite et des discours xénophobes. Mais s'ils veulent contrer la montée de ces populismes, les dirigeants occidentaux des partis traditionnels ne peuvent plus se contenter de critiquer les partis d'extrême droite et les discours nauséabonds. S'attaquer aux dérives du néo-libéralisme sans tomber dans le populisme primaire : il est bien là, le vrai défi post-Brexit du Royaume-Uni de l'Union européenne, et dans une plus large mesure de l'Occident.
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commentaires (4)
Ma 1ère participation à la vie politique française a été de dire NON à l'entrée de la Grande-Bretagne , du Danemark , de la Norvège et de l'Irlande lors du référendum d'avril 1972 . Je venais d'avoir 21 ans . Mise à part l'Irlande qui a joué le jeu les 3 autres ne se sont pas pliés aux règles et même la Norvège elle-même n'est pas rentrée dans l'Union . Mais il est plus que nécessaire de revoir les règles du jeu si nous ne voulons pas que l'exemple britannique ne soit contagieux Mais de grâce évitons de taxer de populisme toute volonté de remettre les choses à plat . Je ne me sens plus chez moi dans cette Europe que les Anglais viennent de quitter . Nous vivons en démocratie et J'AI DONC LE DROIT DE RÉCLAMER UN PEU D'ATTENTION DE LA PART DES EUROCRATES DE BRUXELLES
yves gautron
12 h 52, le 25 juin 2016