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Nos Lecteurs ont la Parole - Adib Y. TOHMÉ

Le malaise libanais

Qu'est-ce qui se passe au Liban ? Vous remarquez cette agressivité chez les gens ? Ce mélange d'arrogance et de tristesse ? Vous remarquez le désespoir ? On ne peut parler avec personne sans qu'on soit attaqué, insulté, menacé, injurié. Le Liban pacifique, la joie de vivre, la gentillesse, l'ouverture d'esprit, le mélange des intelligences, la tolérance ont cédé la place aux bagarres permanentes, au quotidien. C'est le Liban de l'ignorance, de la haine, du désespoir, de la jalousie, des frustrations, le Liban de la guerre froide qui a remplacé celui de la paix froide. Pourquoi est-on arrivé là ?
Ce n'est pas seulement une question morale et sociale, c'est aussi une question économique.
Le Libanais s'est appauvri ?
Moralement et matériellement c'est sûr. Mais la pauvreté ne justifie pas de tels comportements, surtout cette arrogance barbare. Il y a sûrement autre chose que l'appauvrissement. Les gens ne sont pas heureux. Le bonheur des gens est le but ultime de toute politique économique. Mais le bonheur n'est pas un produit qu'on achète dans un centre commercial. Ce n'est pas non plus une affiche de voiture qu'on finance avec un prêt à intérêt zéro ni une opération de beauté à crédit pour rendre la différence uniforme. Le bonheur d'un être humain n'est pas la réunion de plusieurs tristesses, qui se replient et s'enferment entre elles, autour d'une illusion puis s'échangent des sourires figés et dépassés par le temps sur Snapchat, Instagram ou Facebook, pour faire croire au bonheur. Le peuple libanais s'est réveillé d'une nuit d'ivresse vécue par d'autres. De cette ivresse, il n'a reçu que des miettes. Le peuple libanais semble désespéré parce qu'il s'est réveillé et a découvert qu'il vivait dans un mensonge. Il s'est réveillé mais son cauchemar n'a pas pris fin. Et tous ceux qui étaient la cause de ce cauchemar sont toujours là, en train de le manipuler comme avant, et il a compris qu'ils ne s'en iront jamais.
Le peuple libanais a vécu dans l'illusion de la richesse, il s'est cru en train de s'enrichir, mais il s'est aperçu, qu'en réalité, il s'est appauvri. Même ses actifs immobiliers, qui ont vu leur valeur monter, ne sont pas vendables. Et si une minorité s'est enrichie parce qu'elle a utilisé le système pour son propre bénéfice, cela ne signifie pas que le Libanais a vu sa situation matérielle nette s'améliorer. Au contraire, l'appauvrissement du peuple est devenu automatique, systématique. Le temps qui passe est synonyme de transfert de richesse du peuple à sa classe dirigeante à travers la corruption, la dette, les intérêts de la dette et le secret bancaire. Et si une minorité peut se permettre de dépenser d'une façon anormale sur les fêtes et les mariages par exemple, ceci ne signifie pas que le Libanais vit dans le luxe. La majorité respire l'odeur des ordures et se dispute les restes. Se disputer les restes de ceux qui sont assis sur les tables ne signifie pas qu'on est assis avec eux mais c'est l'autre nom de l'humiliation.
Selon un proverbe chinois, c'est quand la mer se retire qu'on voit ceux qui se baignaient nus. Aujourd'hui la mer se retire ; les transferts d'argent qui cachaient les imperfections de l'économie et qui contribuaient à créer un mythe économique sont en train de se tarir. Les transferts de l'argent légal ou illégal, propre, noir ou blanchi se retirent pour différentes raisons. Il ne reste que l'argent de la corruption interne, entrain de circuler dans les méandres du système et acheter tout ce qui est vendable. Mais cet argent-là n'est pas celui de la construction, mais plutôt de la destruction.
Le Libanais s'est aperçu qu'il était nu. Or le Libanais n'aime pas se voir nu, parce qu'il ne s'aime pas. Il ne s'aime pas parce qu'il ne se connaît pas. On ne peut aimer ce qu'on ne connaît pas, ce qu'on ne voit qu'à travers un masque, une soutane, un costume, un cigare, une voiture luxueuse, un titre retentissant ou des paroles vides.
Il a aussi découvert l'ampleur des dégâts qu'il a perpétrés quand il était endormi, les plaies faites à la montagne, la disparition de la mer, de l'intelligence, de la dignité, de la culture. Le Libanais se croyait libre. Il s'est vu prisonnier de sa communauté, d'un passé fabriqué par sa seule imagination et d'un présent bâti sur le mensonge et sur le paiement des intérêts de la dette.
Aujourd'hui, s'il est vrai que le Libanais s'est réveillé, que peut-il faire ?
Les termes du choix sont peu nombreux. Ils sont au nombre de trois :
– La sortie du système ou faire comme s'il est sorti.
– Remettre un masque pour cacher sa dignité et rester dans le système. Il pourra ainsi récupérer quelque chose quand celui-ci va s'effondrer.
– Résister à la féodalité politique et financière, à l'inculture et l'ignorance, à l'inégalité, à la soumission humiliante à l'argent, à la mainmise du religieux sur la politique, une résistance civile, solidaire, apolitique, laïque, pour espérer vivre dans la dignité.

Qu'est-ce qui se passe au Liban ? Vous remarquez cette agressivité chez les gens ? Ce mélange d'arrogance et de tristesse ? Vous remarquez le désespoir ? On ne peut parler avec personne sans qu'on soit attaqué, insulté, menacé, injurié. Le Liban pacifique, la joie de vivre, la gentillesse, l'ouverture d'esprit, le mélange des intelligences, la tolérance ont cédé la place aux bagarres...

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