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Culture - Commémoration

L’esprit Assi Rahbani, à jamais dans l’air...

C'est au solstice d'été et à la fête des Pères qu'il a décidé de partir. C'était le 21 juin 1986. Trente ans déjà. Assi Rahbani, l'un des pères fondateurs de l'opérette libanaise, n'est plus. Mais ses mots, sa musique, ses décors de villages souriants, fiers et humbles, en tandem gémellaire avec son frère Mansour et le triumvirat artistique avec Feyrouz, sont encore dans tous les esprits. Comme une féerie étincelante.

Une voix presque douce avec des éclats de dureté, une bouille revêche mais sympathique, un geste parfois brusque, une calvitie galopante, Assi Rahbani, père du turbulent Ziad qui a chamboulé toutes les valeurs de la scène locale, au cœur d'une fratrie (qui groupe trois frères, Mansour, Élias et lui, ainsi que trois sœurs, Salwa, Nadia et Elham), a présidé avec succès au destin et l'évolution de la musique libanaise. Dans les années 50-80, heureuses et paisibles, du pays du Cèdre qui se targuait encore de tous les espoirs et de toutes les prospérités.
Une expression artistique rénovatrice qui a placé le verbe, les partitions, les costumes et les jeux de scène au feu de l'actualité pour presque un quart de siècle, comme un tremplin d'enchantement. Et de miroir identitaire à tout un peuple.

Ces villages pittoresques et ces personnages délicieux, entre innocence, candeur, ruse, fourberie et combativité, aujourd'hui mythiques, dans un imaginaire puisé au cœur de la réalité libanaise la plus profonde, demeurent à jamais dans la mémoire collective. Comme un moment de félicité et de joie indicible. Un antidote contre l'angoisse, l'anarchie et la morosité d'aujourd'hui. Et restent des phares de référence pour une mémoire collective comblée. Comme gardée de toute violence extrême, où le terme d'humain et d'humanité avait alors un sens...
Nul n'a jamais dit que ce frémissant monde des illusions ait jamais été signé de sa seule plume et griffe. C'est toujours en duo avec son frère Mansour que s'est déroulée, tel un improbable conte, cette fabuleuse aventure théâtrale, poétique, musicale et costumière. Pour devenir une institution quasi sacrée où la musique orientale, dans un style bien défini et parfaitement rahbanien (l'adjectif est toujours de rigueur et en vigueur) se joint à une orchestration classique occidentale où oud, buzuk et autres instruments orientaux y ont une voix et une place prépondérantes.

Le buzuk comme le piano
Des petits postes de fonctionnaires à la municipalité aux premiers essais fructueux à la radio avec des ritournelles fraîches et séduisantes, en passant par la première soirée fastueuse à Damas et au Festival international de Baalbeck en 1957, le succès a été fulgurant et immense. Car à cela s'est ajouté en 1955 le mariage avec Feyrouz qui fit des étincelles dans l'écrin des productions des frères Rahbani qui ne chômaient jamais. Et une kyrielle d'artistes s'est alors illustrée dans ce cadre de créativité prestigieuse. Et on nomme, Sabah, Wadih el-Safi, Nasri Chamseddine, Élie Choueiri, Hoda (la sœur de Feyrouz), Siham Chammas...
La télévision, les disques (Voix d'Orient a régné sur les ondes et dans les demeures) et le cinéma courtisèrent aussi le talent bicéphale des frères indissociables. Les cinéastes égyptiens Youssef Chahine (Bayya' el-Khawatem) et Henri Barakat (Safarbarlek et Bint el-Haris) furent les commanditaires des films qui ont élargi leur public et marqué les esprits.

Dans son irrépressible ardeur au labeur, lui qui avait la détestation de l'inactivité, en terrain souterrain miné, le drame cependant couvait sous la cendre pour Assi. Hémorragie cérébrale en 1972 (qui va le laisser grandement diminué) et séparation en 1979 avec Feyrouz.
L'homme, boulimique au travail, qui aimait la feuille et le crayon, les mots dans leur agitation, douceur, violence, tranchant et sérénité, qui caressait le buzuk (si proche de la cithare) autant que le piano, qui savourait une cantate de Bach tout autant qu'une sahbé, cette tirade vocale comme une limpide eau de source du vert Liban, qui se jetait au travail comme on se jette au feu pour sauver une âme, n'a jamais quitté le public libanais. Même pas besoin de son fils Ziad pour s'en souvenir.
Il a des mots, des notes, des sorties, des traits d'esprit, des flèches, des pics, des murmures, des inventions verbales coulées en lignes mélodiques mémorables. Même au plus près de Mansour qui a tout cosigné. Mais il y a un esprit Assi, narquois, rêveur, tendre, brutal, délicat, dur, populaire et poétique qui flotte toujours dans l'air...


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« Il avait ce don d'écriture qui m'épatait »

Élias Rahbani (frère de Assi, compositeur prolifique et en préparation de sa propre biographie qui sortira incessamment) se souvient...
« Assi a toujours été pour moi à la fois le frère aîné et la référence. Quand j'avais trois ans et que je jouais devant les boutiques à Antélias, il venait me rejoindre. Il m'a tout appris. J'aimais l'écouter gratter du kamanja qu'il maîtrisait (Mansour était plus doué au buzuk beaucoup mieux que le piano... On se retrouvait en été près de Bickfaya dans ce café qui s'appelait Mnaybih (attention pas yanabih). Il avait ce don d'écriture qui m'épatait. D'ailleurs, dans la prime enfance, il a rédigé une gazette qu'il distribuait à ses copains. Le souvenir marquant ? Ses paroles, son verbe, son sens d'enfiler les phrases dans un beyrouthin étincelant. Il avait la maîtrise de la langue arabe aussi bien au littéraire que dans le parler courant et usuel... Quand il est tombé malade, je pleurais de le voir ainsi. Les gens pleuraient aussi. Mais pour tout chasser, je chantais, je chantais pour lui... »

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« L'éminence grise de toutes les productions »

William Hasswany était un acteur phare dans la production des frères Rahbani. Il a incarné avec brio le rôle du chérif dans Biyya' el-khawatem (Le vendeur de bagues) dans la version scénique et filmée. Sa carrière se fond avec celle des deux musiciens et librettistes libanais. Il se souvient...
« Assi était l'éminence grise de toutes les productions. Il fut le maître des idées des sketches ainsi qu'un brillant homme de relations publiques. Sans doute aussi était-il le meilleur chef d'orchestre pour les airs que nous interprétions. Et je dirais qu'il était un vrai poète tant il avait le sens du verbe et de ce qui est littéraire. Et plusieurs fois il fut un acteur prodigieux ! Mon souvenir le plus marquant ? J'étais encore jeune apprenti et je venais pour une audition de danse. Car au départ j'étais danseur. Et voilà que Assi m'entraîne dans une pièce attenante et demande à m'écouter chanter. Et très vite il conclut que je devais chanter ! Et c'est ce qui est arrivé en incarnant des personnages dans les productions rahbaniennes. Et ce que je voudrais souligner avant de terminer, c'est que l'État libanais n'a pas su la valeur de Assi et ne l'a pas suffisamment honoré. De son vivant il avait reçu le Mérite de l'ordre libanais, mais depuis sa disparition pas un mot n'a été soufflé et pas un geste n'a été enregistré... »

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« Assi était un ouragan, un volcan, un infatigable »

Oussama Rahbani est le fils de Mansour Rahbani, musicien, compositeur et producteur. Il forme actuellement un duo de scène avec Hiba Tawaji. Il se souvient...
« Pour les Libanais, les musiciens et la famille, Assi a laissé un important héritage. Son départ est un ajout à son absence. Son esprit est toujours là. Le phénomène le plus curieux c'est que dans le tandem Mansour/Assi il n'y avait pas de musique dans les gènes. Ou si peu : une mère qui aimait juste le folklore et un père un peu abadaye, qui connaissait la réalité beyrouthine. Et c'est à travers cette réalité populaire qu'est né ce monde de théâtre, de poésie et de musique. Assi était un ouragan, un volcan, un infatigable de travail ! Lui et Mansour ne savaient pas ce que c'était que se reposer ou ne rien faire ! Leur monde est celui de visionnaires et d'avant-gardistes. Ce qu'ils ont proposé au public, en formant le fabuleux trio avec Feyrouz, dépasse les frontières du simple keif et du divertissement des cafés à "chichas"... Après son accident cérébral, relativement diminué, Assi était pugnace dans les discussions, impulsif et agressif surtout avec la presse. Néanmoins, le tandem Mansour/Assi a introduit la rigueur du classique dans le monde arabe et en enfants de l'Église et avec un sens chrétien, ils ont canalisé la voix angélique de Feyrouz qui n'a rien à voir avec les accents égyptiens d'une Leila Mrad... Si Assi et Mansour ont atteint le grand public, c'est qu'ils avaient le théâtre, le chant, la musique. Maintenant, ils sont certainement avec Khalil Gebran et Saïd Akl, les fondateurs de la pensée et de l'identité libanaises... »

 


Pour mémoire
Ils étaient tous là dimanche pour Assi Rahbani, sauf Feyrouz...

 

« Touche pas à Feyrouz ! »

 

Tous avec la diva Feyrouz : oui, il y a de l'espoir !

 

Une voix presque douce avec des éclats de dureté, une bouille revêche mais sympathique, un geste parfois brusque, une calvitie galopante, Assi Rahbani, père du turbulent Ziad qui a chamboulé toutes les valeurs de la scène locale, au cœur d'une fratrie (qui groupe trois frères, Mansour, Élias et lui, ainsi que trois sœurs, Salwa, Nadia et Elham), a présidé avec succès au destin et...

commentaires (3)

Il ne faut pas passer sous silence l'immense contribution apportée à la musique des Rahbani par Boghos Gélalian, compositeur, pianiste, professeur de piano et de musique théorique et pédagogue, disparu le 22 décembre 2011, qu'eux-mêmes avaient respectueusement surnommé "el Batrack". Le "turbulent Ziad" lui doit également beaucoup, qui a étudié avec lui ses premières leçons d'harmonie.

Paul-René Safa

07 h 51, le 23 juin 2016

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Commentaires (3)

  • Il ne faut pas passer sous silence l'immense contribution apportée à la musique des Rahbani par Boghos Gélalian, compositeur, pianiste, professeur de piano et de musique théorique et pédagogue, disparu le 22 décembre 2011, qu'eux-mêmes avaient respectueusement surnommé "el Batrack". Le "turbulent Ziad" lui doit également beaucoup, qui a étudié avec lui ses premières leçons d'harmonie.

    Paul-René Safa

    07 h 51, le 23 juin 2016

  • Il parait même que cette Sâmîrâh, sœur de Rândâh, a fait fortune en signant un contrat avec l'ex- "Guide" Kadhafi pour imprimer, yâââï, un million d'exemplaires du "Livre Vert" de ce même Kadhafi, responsable de la "disparition"-Liquidation du fameux Moussa Sadr ! "Sacrée ex-déshéritée", celle-là !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 25, le 23 juin 2016

  • "Assi Rahbani, cœur d'une fratrie (qui groupe trois frères, Mansour, Élias et lui, ainsi que trois sœurs, Salwa, Nadia et Elham)." ! Touuut à fait le même "génie", presque, que la fratrie de Nabîh, Mahmoûd etc., ainsi que de celle de Rândâh, Sâmîrâh etc. Mahééék n'est-ce pas ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 16, le 23 juin 2016

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