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Moyen Orient et Monde - Reportage

À Gaza, « mon zoo est un tombeau »

Dans la bande de Gaza, sur la centaine d'animaux que comptait le zoo de Khan Younès, seuls une dizaine ont survécu. Le propriétaire aimerait mettre la clé sous la porte, mais se demande encore que faire de son tigre, Laziz.

Le tigre Laziz dans sa cage au zoo de Khan Younès, à Gaza. Ibraheem Abu Mustafa/Reuters

En visitant le zoo de Mohammad Awayda, on ne sait plus très bien si c'est un zoo ou un film d'horreur. Les allées sont vides, et dans les enclos, sous un soleil brûlant, l'autruche ou la biche affiche des mines perplexes. Au détour d'une allée, des carcasses de crocodile, de puma ou même celle d'un lion saisissent. « Mon zoo est un tombeau », résume Mohammad, 26 ans, propriétaire du parc.

En 2004, son père décide de se lancer dans un pari fou: donner un vrai zoo aux habitants de la bande de Gaza. Le petit territoire de 365 km2 compte plusieurs parcs animaliers, mais peu de créatures exotiques. « Nous avons investi 300 000 dollars pour faire venir des animaux des quatre coins du monde : un lion, un tigre, des singes... »

Mohammad se souvient des années 2007-2008, où la plupart des animaux arrivaient par les tunnels de contrebande, via l'Égypte. À cette époque, la bande de Gaza était déjà assiégée. Le Hamas, vainqueur des élections palestiniennes de janvier 2006, avait fini par prendre par la force tout le territoire, et un embargo – toujours en place – avait scellé le sort et les frontières des Gazaouis. Mohammad et son frère, assis dans la cafétéria déserte, n'ont pas assez d'adjectifs dithyrambiques pour narrer l'âge d'or du lieu, alors un des seuls loisirs des Gazaouis.

Les années suivantes sont marquées par les guerres. La dernière en date, à l'été 2014, l'opération Bordure protectrice, a duré cinquante jours et entrainé la mort de plus de 2 200 Palestiniens, en majorité des civils, et de 73 Israéliens, dont 67 soldats.
« J'ai perdu la plupart des animaux à la fin ou pendant la dernière guerre, je ne sais pas ce qui les a tués. Je leur donnais tout ce dont ils avaient besoin, du lait, du miel, des œufs... Je dormais au zoo, avec eux. Je ne suis pas psychologue pour animaux, mais je pense qu'ils ont sans doute eu peur des bombardements », raconte le jeune homme.

Quand il a trouvé le lion mort, il dit être devenu fou : « Dans le fond, ce n'est pas tant une question d'argent que de tous les efforts que nous avons dépensés pour faire de ce zoo une véritable attraction pour les Palestiniens, on avait 42 employés et jusqu'à 300 visites par jour! C'était notre vie, nous ne quittons pas cet endroit. Puis il y a eu les guerres, les pénuries, la mort et la maladies pour mes animaux, et les gens n'ont tout simplement plus le cœur à sortir. »

 

(Pour mémoire : Après l’attaque contre le bus à Jérusalem, les Palestiniens entre soutien et crainte)

 

Après l'hécatombe, il s'est souvenu d'une expérience d'un professeur de chimie, à l'école. Il avait utilisé du formol pour conserver un petit oiseau mort. Mohammad a tenté de reproduire la même technique sur ses bêtes. S'improvisant taxidermiste, il a voulu les empailler. Aujourd'hui, les os transpercent les pelages, et les corps, vidés de leurs organes, se démembrent.

Reste Laziz, un énorme tigre arrivé en 2007. Il est le seul tigre de la bande de Gaza. Selon Mohammad, il lui coûte près de 200 dollars par jour – ce qui devient intenable. Le propriétaire aimerait le vendre, mais n'a pas encore trouvé acheteur : « Je veux qu'il puisse être en sécurité, donc loin de Gaza. »

Le gardien du zoo a déjà réussi à attirer l'attention de bienfaiteurs. L'an dernier, plusieurs organisations de défense des animaux ont visité le zoo. La Fondation 30 Millions d'amis a même fait don de 10 000 euros pour nourrir et soigner les pensionnaires.

L'espoir reste permis car, au printemps, des lions de Rafah ont pu être transférés vers le zoo de Tulkarem, en Cisjordanie, où ils auront accès à des soins un peu moins rudimentaires. Mohammad se répète cette petite histoire pour se rassurer, mais a de plus en plus de mal à garder les idées claires. Il parle parfois d'empoisonner Laziz pour mettre fin à leurs souffrances à tous les deux ; d'autres fois encore, il penche pour une grève de la faim imposée...

Quand il parviendra à boucler son affaire, le jeune homme, qui vient de se fiancer, veut partir loin d'ici, s'installer en Europe, peut-être en Belgique : « Le destin de Laziz et le mien sont en dehors de Gaza. » Il aimerait continuer à travailler dans des zoos.

 

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