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Diaspora - Diaspora

À la recherche des communautés perdues de la « nation » maronite

La loi sur le recouvrement de la nationalité et ses « sœurs jumelles », comme vous ne les avez jamais comprises, par « le » spécialiste de la question, Youssef Doueihy.

L’église Mar Saba, à Bécharré. Parmi les émigrés des deuxième et troisième générations, la nostalgie pour les origines est très forte.

Qu'on le veuille ou non, «le Liban repose sur la démographie», comme l'affirmait tout récemment encore le patriarche maronite. Une certaine proportion de chrétiens doit s'y trouver pour que le Liban reste le Liban. C'est à la recherche de ce nombre manquant que la Fondation maronite dans le monde (FMM) avec le patriarcat maronite sont partis depuis quelques années, avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins de succès. Objectif, alimenter l'assise démographique du Liban pluraliste, pour qu'il demeure crédible. Au terme d'un long combat, la Fondation a obtenu, à travers la loi sur le recouvrement de la nationalité de décembre 2015, les moyens légaux de combler le déficit de Libanais de souche maronite, et chrétienne en général. Mais, bien évidemment, cette loi est universelle et s'applique à tout Libanais d'origine, sans aucune discrimination de nature communautaire.

«L'erreur de départ a été de croire que le Liban comprenait une majorité de chrétiens, explique Youssef Doueihy, statisticien, cerveau technique de la Fondation maronite dans le monde et visionnaire à sa manière. Or le recensement de 1932 (registre résident), sur lequel repose toujours la philosophie politique du Liban, a montré que les chrétiens au Liban représentaient 51% seulement de la population, que les musulmans en représentaient 48%, et que diverses minorités en composaient le 1% restant.»
«Quand le patriarche Arida prit connaissance de ces résultats, il fut surpris et contrarié, commente-t-il. On pensait que ce pourcentage était supérieur. Mentalement, les Libanais continuèrent de vivre comme si les chrétiens représentaient une large majorité de sa population. On se disait que beaucoup de chrétiens avaient émigré et que s'ils n'étaient pas majoritaires, c'est qu'ils n'avaient pas été comptabilisés dans le recensement de 1932. En fait, ils l'avaient été, mais ils n'avaient pas reçu le droit d'être considérés comme Libanais; leurs descendants non plus.»

Ce que la récente loi sur le recouvrement de la nationalité a fait, c'est d'annuler cette dernière disposition et d'étendre le droit à la nationalité libanaise aux personnes figurant sur le registre-émigré de 1932. Pour l'obtenir, les députés favorables à cette restitution morale de la nationalité sont revenus à la proclamation du Grand-Liban en 1920, et ont revu les trois recensements qui avaient été effectués à partir de cette date. Deux d'entre eux remontaient à 1921 et 1924, chacun d'eux comprenant deux registres, pour les résidents et les émigrés. En fait, le recensement de 1924 avait complété et corrigé celui de 1921. Ces quatre registres se trouvent toujours aux archives du ministère de l'Intérieur. Dans un état lamentable, certes, mais enfin, ils existent. La Fondation en possède des copies.
En 1932, un nouveau recensement résidents et émigrés est effectué. Mais seul le registre résident est retenu pour l'octroi de la nationalité libanaise. Le registre-émigrés de 1932 resta disponible en principe dans tous les bureaux de l'état civil, mais on ne s'y référait que dans des cas limités, litiges sur un bienfonds, succession, etc.

En ce qui concerne les chiffres, on sait que, selon le registre émigrés du recensement de 1932, ces derniers étaient au nombre de 285 000 environ. Par ailleurs, ceux qui figurent dans les deux registres-émigrés de 1921 et 1924 se chiffraient à environ 400000. Toutefois, on ne peut additionner d'aucune manière ces chiffres car, entre ces trois listes, il doit exister des milliers de doublons, sans compter qu'entre 1924 et 1932 des résidents d'alors ont pu émigrer. Le travail scientifique de comparaison des deux registres de 1921 et 1924 n'a pas encore été fait, et la FMM n'a pas accès aux registres émigrés de 1932, qui sont au ministère de l'Intérieur, mais n'ont pas été numérisés. On est donc condamné à ce sujet à rester dans la vague.

 

(Lire aussi : La Fondation maronite dans le monde, travail de mémoire et accomplissement d’un devoir)

 

Les deux autres cours
À cette présentation se greffent deux autres données qui rejoignent en définitive l'effort de recouvrement de la nationalité initiale. Il y a d'abord l'affaire de l'annexe au décret de naturalisation 5 274 du 20 juin 1994. «Pour être juste, relève M. Doueihy, tout ce décret devrait être invalidé comme contraire au préambule de la Constitution et, dans une large mesure, au Traité de Lausanne. En effet, la plus grande partie des cartes d'identités libanaises accordées à l'époque sont allées à des Syriens et 78% des naturalisés appartenaient à des communautés musulmanes. Parmi les chrétiens, les plus lésés étaient les maronites.»
«En chiffres, précise le responsable, 192000 cartes d'identités ont été octroyées à des personnes qui, en grande majorité, n'y avaient pas droit. Et, parmi elles, on ne comptait que 4000 maronites. Quand le patriarcat maronite et la Ligue maronite ont élevé la voix, sachant le peu de cas qu'on faisait d'eux à l'époque, le président Élias Hraoui et Rafic Hariri ont décidé de réparer l'injustice en préparant une annexe au décret de naturalisation. Ce projet ne devait pas aboutir.»

Pourtant, dans l'enthousiasme du moment, des contacts avaient été pris avec les ambassades des pays d'émigration chrétienne. L'un de ces pays était l'Afrique du Sud. Ainsi, au temps du mandat de l'ambassadeur du Liban Charbel Estephan à Pretoria, il y eut prospection et des dossiers avaient été préparés. Hélas, à la grande déception des demandeurs, les certificats exigés sont aujourd'hui insuffisants et les demandes doivent être mises à jour et complétées. En effet, la promulgation d'un décret est une chose et l'application d'une loi une autre. Dans le premier cas, les choses sont faites pour ainsi dire en gros, alors que dans le cas de l'application d'une loi, chaque demande est étudiée. Le ministère des AE est aujourd'hui en train de clarifier les documents nécessaires pour que les demandes présentées au temps de l'annexe soient complétées.

Les communautés maronites perdues
Par ailleurs, il existe un troisième cours juridique, mal connu, menant au recouvrement de la nationalité. En effet, conformément aux dispositions du Traité de Lausanne, toutes les personnes qui se trouvaient en dehors du territoire de l'Empire ottoman au moment du partage de cet empire ont reçu le droit de choisir leur nationalité dans les ambassades des puissances mandataires.

Pour le Liban, cette puissance était la France. Ainsi, quand le Grand-Liban a été créé, tous ceux qui provenaient de villages et villes situés dans cette géographie, et se trouvaient à l'étranger au moment où ces entités ont été créées, pouvaient se rendre dans les ambassades de France et dire qu'ils voulaient être libanais. Un délai de deux ans a été fixé pour le faire, mais en raison des circonstances internationales, en particulier de la Seconde Guerre mondiale et des difficultés de communications (il n'y avait alors ni Internet ni communications faciles), ce choix est demeuré possible jusqu'en 1958. Dans ces circonstances précaires, environ 100000 Libanais ont opté pour la nationalité auprès des ambassades de France avant 1943, puis des consulats et ambassades du Liban après l'Indépendance. Ces demandes sont parvenues au Liban et la plus grande partie d'entre elles, soit quelque 95%, ont été exécutées au Liban, au fur et à mesure de leur arrivée, et inscrites sur les registres des résidents au Liban. Hélas, aucun de ces descendants n'a été notifié de cet enregistrement, et donc aucun d'eux n'a agi en conséquence. De ce fait, tous leurs descendants ont eu droit à la nationalité, mais sans en être notifiés Toute une génération est donc décédée, sans savoir qu'elle jouissait de la nationalité, et tous ses descendants s'ignorent comme Libanais.

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La loi électorale de 1960

Mentalement, après le recensement de 1932, l'ajustement à leur nombre réel resta difficile pour les maronites. Ils continuèrent de vivre comme si les chrétiens représentaient – ou auraient dû représenter – une large majorité de sa population.
Cette idée était si tenace qu'en 1959, sous le mandat de Fouad Chéhab, elle servit de base à la loi électorale qui allait devenir la loi de 1960 non amendée, avec une Chambre où la proportion de chrétiens par rapport aux musulmans était de 6 contre 5, soit 54 chrétiens pour 45 musulmans. À l'époque, le justificatif de cet écart, qui n'était pas prévu dans la Constitution, était que le pourcentage surnuméraire accordé aux chrétiens était là pour compenser le poids politique des émigrés chrétiens. La commission en charge de la loi l'avait débattu explicitement. Ce surnombre n'avait pas pour but d'accorder aux chrétiens une quelconque prééminence.
« Voilà un éclairage historique que personne encore n'a souligné », se félicite Youssef Doueihy.

Le Traité de Lausanne

Au sujet du droit de recouvrer la nationalité, on peut se demander pourquoi ce droit est accordé aux émigrés du Brésil, d'Argentine, d'Amérique latine et non pas, par exemple, aux descendants de Libanais qui ont choisi la nationalité syrienne ou celle de tout autre pays issu du démembrement de l'Empire ottoman.
L'explication est à trouver dans le Traité de Lausanne lui-même (1923). Le texte est clair. Les anciens citoyens de l'Empire ottoman ne peuvent pas jouir de la double nationalité dans le cas où les États dont ils seraient citoyens sont tous deux issus du démembrement de cet empire.
Un recours en invalidation de cette disposition devant le Conseil constitutionnel a bien été introduit par le bloc de Walid Joumblatt. Mais il s'agit là d'un traité international, et ses dispositions ont la préséance sur les lois nationales. N'oublions pas que l'Empire ottoman s'étendait sur un immense territoire allant de la Serbie à la Jordanie, et qu'il avait vécu 4 siècles. Mais on a vu dans le texte comment le décret de naturalisation de 1994 a enfreint ces dispositions.
Le CC, qui a précisé qu'il ne s'agit pas de discrimination, a également refusé le recours en invalidation contre l'impossibilité pour une femme de transmettre sa nationalité à ses descendants. Il y a là certes une immense injustice, mais elle s'explique par des données postérieures au recensement de 1932, et a trait à la crainte de l'implantation au Liban des Palestiniens, après la création de l'État d'Israël.

 

(*) Dans une seconde partie, il sera question plus concrètement de l'action de la Fondation maronite dans le monde, de ses promesses et des obstacles qu'elle doit surmonter.

 

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