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Moyen Orient et Monde - Éclairage

La complexe réalité de la radicalisation du mouvement social en France

Depuis plusieurs mois, la contestation face au gouvernement et sa nouvelle loi du travail prend un tournant violent. Dans la rue et dans les cortèges, les actions radicales gagnent les cœurs et les esprits.

Une scène de violence lors d’une manifestation contre la loi du travail en France, le 2 juin 2016, à Nantes. Jean-Sébastien Evrard/AFP

Dans les manifestations contre le nouveau projet de loi du travail en France, le rapport de force entre policiers et manifestants évolue.

Les militants s'organisent de plus en plus, avec la mise en place de techniques d'«anonymisation» (masques, cagoules, k-way noirs), l'apparition de streetmedics (des médecins amateurs qui viennent soigner les manifestants blessés dans les affrontements) et les actions violentes contre la police. De l'autre côté, les policiers appliquent des stratégies de maintien de l'ordre dictées par le ministère de l'Intérieur et les préfectures de police locales. Malgré l'impression que le mouvement s'essouffle, rien ne semble calmer les revendications des manifestants, alors que plusieurs rassemblements sont encore organisés dans toute la France.

Un comité de l'Onu contre la torture s'est même dit, dans une déclaration datée du 15 mai, « préoccupé » par la situation actuelle à la suite de nombreuses accusations de violences policières. Même le président turc Recep Tayyip Erdogan, lui-même critiqué il y a trois ans pour sa gestion répressive des manifestations de la place Taksim, a ironisé en condamnant les violences de la police française.

 

(Voir aussi : "Le gouvernement te pisse dessus" et autres : les messages des protestataires en France (en images))

 

Publiés sur des sites militants, de nombreux témoignages fleurissent ces dernières semaines, pour tenter de répondre aux médias et politiques qui semblent beaucoup user du mot « casseurs ». Des manifestants y expliquent en détail leur mode d'action, souvent violent mais réfléchi. L'un de ces témoignages, titré « Je suis un casseur (mais je suis hypersympa) », détaille les méthodes : « Moi et quelques copains, on agissait ensemble, petit groupe solidaire. Rien de fou, hein, nul fait d'arme. Simplement, on était là. On a fait quelques trucs, on s'est agités. Point. »

Dans les manifestations récentes, les cibles des casseurs sont nommées précisément. Pour Hugo Melchior, doctorant en sciences politiques à l'Université Rennes II, « ces manifestants se rassemblent et décident d'agir ensemble contre un pouvoir établi. Ils se posent à un moment, forcément, la question des modes d'action et remettent en cause les méthodes légales et pacifistes comme les manifestations classiques. Ils essayent les modes d'action violents que je préfère appeler de délinquance politique, car ils ne se cantonnent pas à la légalité mais jouent la carte de la transgression. Cette radicalité s'exprime par le bris de banques, d'agences d'intérim ou d'agences immobilières, qui représentent le capitalisme. Elle vise les institutions qui finalement, pour ces militants, sont les symboles du capital ».

Dans une note des services de renseignements français que s'est procurée Le Figaro, « Julien Coupat (militant anarchiste, NDLR) et ses camarades » sont accusés de « fomenter la révolution ». Une expression également entendue dans la bouche du Premier ministre français, Manuel Valls, qui interpellait à l'Assemblée les « black-blocs » et les « amis de Monsieur Coupat ». Pour Hugo Melchior, « il y a une volonté d'instrumentalisation de la politique des mouvements autonomes. Ce terme n'est pas nouveau, il était déjà employé en 2006. Le pouvoir, en utilisant ce terme d'anarcho-autonome, vise à instaurer la peur dans l'opinion publique en voulant grossir la réalité de la présence de ces mouvements dans les cortèges. Les autonomes à Rennes par exemple font partie intégrante du mouvement contre la loi du travail, depuis le début. Mais ce n'est pas un groupe monolithique et homogène, il y a de multiples courants de pensée et de multiples manières d'agir. Sur la question du recours à la violence politique par ces militants, il y a une frange certes minoritaire, mais mine de rien assez conséquente d'étudiants disponibles pour aller se confronter aux forces de l'ordre ».

 

(Lire aussi : Contestation en France : Vous avez dit irréformable ?)

 

« Une bataille pour la rue »
Face aux manifestants déterminés, la police est dépassée. Selon Nicolas Comte, porte-parole du syndicat policier Unité SGP Police, « le moral des policiers n'est clairement pas au top, les collègues sont débordés. Ils sont aujourd'hui amenés à gérer des situations qui ne sont pas de leur ressort. La contestation sociale est un problème du gouvernement, mais les policiers ont l'impression de gérer ça tout seuls ».

Depuis le début du mouvement, les accusations et preuves de violences policières s'accumulent, entre grenades lancées à même les manifestants, ou des militants mutilés par des tirs de lanceurs de balles de défense... Du point de vue du syndicaliste, « les CRS eux sont entraînés, mais ce n'est pas le cas de tous les collègues. À partir du moment où il y a usage de la force, il est compliqué d'être dans la proportionnalité et la riposte au bon moment, encore plus lors de situations tendues. Les collègues doivent s'adapter avec la fatigue, le stress et puis leur propre réaction humaine. Quand on passe des heures sur le terrain depuis plusieurs jours, on peut commettre des erreurs. Le policier n'est pas une machine. Mais aujourd'hui nous vivons une époque de transparence totale, tout est filmé, rien n'est toléré pour les policiers qui commettent ces erreurs ».

Hugo Melchior, lui, tempère : « Ces violences policières ne sont pas des actes isolés. À Rennes par exemple, il y a à l'œuvre une véritable stratégie de brutalisation du maintien de l'ordre. Il y a un régime juridique d'exception policière, qui fait que les manquements à la déontologie ne sont que rarement sanctionnés. Ce sentiment d'impunité de la part des policiers fait que leur violence devient habituelle. De l'autre côté, il y a aussi à Rennes une réelle volonté politique de châtier le milieu militant. » Pour Mathieu Rigouste, sociologue et auteur d'un ouvrage sur les stratégies policières, « il y a aussi une volonté de briser toutes les formes de solidarité, d'auto-organisation et d'autonomisation que différentes strates des classes populaires et moyennes expérimentent en se rencontrant au cours de ce mouvement de lutte. La police est ainsi chargée de terroriser quiconque prend la rue, en marquant les chairs au flash-ball, à la matraque et aux grenades de désencerclement, en asphyxiant avec des gaz même ceux qui assistent sur les trottoirs. C'est une bataille pour la rue ».

Une bataille pour la rue, donc, que personne ne semble avoir gagnée pour le moment en France. À l'approche de l'Euro de football, le gouvernement tente en vain de calmer la colère des Français. Mais pour les manifestants et les grévistes, paralyser la compétition serait l'occasion de faire enfin plier l'État sur la question de cette loi.

 

 

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commentaires (2)

Le monde bouge et les différentes forces économiques avec,la mondialisation transforme tout et les Français qui vivaient dans un environnement social favorable(sécu, retraite, allocations etc..) ne supportent plus cette évolution, sans doute à cause des différentes politiques menées depuis 30 ans qui ont oubliées de dire aux Français que le "raser gratis" est fini.Dans les années 60/70 ce fût les années de réflexions gauchisantes et petit à petit les nouvelles générations ne rêvaient plus et voir même une tendance à cause de la crise et de la précarité à se référer à l’extrême droite qui elle soulevait les bonnes questions mais n'apportait pas de solution. Aujourd'hui la droite et la gauche ne fait plus rêver et la jeunesse se tourne vers la radicalisation

yves kerlidou

07 h 27, le 10 juin 2016

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Commentaires (2)

  • Le monde bouge et les différentes forces économiques avec,la mondialisation transforme tout et les Français qui vivaient dans un environnement social favorable(sécu, retraite, allocations etc..) ne supportent plus cette évolution, sans doute à cause des différentes politiques menées depuis 30 ans qui ont oubliées de dire aux Français que le "raser gratis" est fini.Dans les années 60/70 ce fût les années de réflexions gauchisantes et petit à petit les nouvelles générations ne rêvaient plus et voir même une tendance à cause de la crise et de la précarité à se référer à l’extrême droite qui elle soulevait les bonnes questions mais n'apportait pas de solution. Aujourd'hui la droite et la gauche ne fait plus rêver et la jeunesse se tourne vers la radicalisation

    yves kerlidou

    07 h 27, le 10 juin 2016

  • Sous la dernière nomenklatura de Normal 1er en UE ,entièrement aux mains des socialistes .... même la gauche de la gauche ..ne supporte plus ces amateurs au pouvoir ...pendant ce temps...la droite est bizarrement amorphe ...!

    M.V.

    11 h 52, le 08 juin 2016

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