Rechercher
Rechercher

Liban - Examens officiels

Un brevet de mauvaise conduite ?

L'attitude plus sévère contre la fraude qu'a adoptée cette année le ministère de l'Éducation nationale n'a pas empêché la traditionnelle triche lors des épreuves du brevet libanais.

Le ministre Élias Bou Saab inspectant les épreuves du brevet la semaine dernière. Photo Ani

Le climat dans lequel se sont déroulées les épreuves du brevet la semaine dernière ne semble pas avoir été aussi sérieux que le recommandait avec insistance le ministre de l'Éducation, Élias Bou Saab. Quelques semaines avant le démarrage de cette édition 2016, M. Bou Saab avait indiqué avoir mis en place le dispositif nécessaire pour redorer le blason du brevet. « Je veux rendre au diplôme libanais son prestige », avait-il martelé, adoptant des mesures censées convaincre les candidats de compter sur leurs seules connaissances, « loin des tentatives de tricherie ». Dans le même temps, il avait mis à la disposition des élèves des numéros de téléphone destinés à recevoir des plaintes concernant des droits qui leur auraient été spoliés. Bien que la triche ne fasse évidemment pas partie de ces droits, un nombre ahurissant de ces jeunes adolescents, d'une moyenne d'âge de quinze ans, n'ont pas hésité à s'arroger la prérogative d'user de moyens déloyaux pour obtenir le « passeport » qui leur permettrait de passer de bonnes vacances estivales (méritées ?) et d'accéder allègrement aux classes secondaires dès la rentrée.

Les consignes du ministère de l'Éducation ont pourtant été suivies par quelques centres d'examen. À Karm el-Zaytoun (Achrafieh), par exemple, les instituteurs en charge de la surveillance ont tous, d'entrée de jeu, décliné leur couleur. « Avant même que ne débute la première épreuve, ils nous ont fait part de leur intention de suivre scrupuleusement les mesures disciplinaires imposées », raconte Jessica, élève du Grand Lycée franco-libanais de Beyrouth. Elle ajoute que ces surveillants leur ont affirmé que « le respect du règlement constitue un enjeu engageant leur responsabilité ».
Dans un autre centre où la situation était similaire, une jeune fille affirme que « personne n'est parvenu à communiquer avec son voisin ni même à jeter ne serait-ce qu'un regard discret sur sa copie », soulignant qu'à la moindre tentative, « l'élève fautif faisait l'objet d'un rappel sec à l'ordre, assorti d'une menace de se voir confisquer sa feuille d'examen ».

Si ces responsables pédagogiques ont consciencieusement déployé leurs efforts afin d'assurer un cadre optimal pour la passation des examens, d'autres, en revanche, ont affiché dès le premier jour leur indulgence, voire leur complicité.

(Pour mémoire : Bou Saab veut rendre au diplôme libanais son « prestige »)

 

Cécité et surdité de circonstance
Maya, qui n'a pas voulu révéler son vrai prénom de peur d'être repérée et sanctionnée, raconte que durant l'épreuve de mathématiques, ses camarades et elle-même se sont donnés à cœur joie à la triche. Elle a présenté son brevet dans une école à Beyrouth, indique-t-elle, confiant que si au départ l'irrespect du règlement y était « plutôt timide », il a rapidement « pris de l'ampleur », les écoliers ne se contentant plus de chuchoter en se consultant. « Nous avons vite remarqué que les surveillants nous faisaient taire seulement après s'être assurés que nous avions obtenu les informations qui nous manquaient », rapporte-t-elle.
Abondant dans le même sens, un tout jeune homme qui a présenté son brevet dans une école du Metn (lui non plus n'a pas voulu donner de plus amples détails sur l'adresse de l'établissement) relève en riant que « c'était littéralement comme si les surveillants étaient atteints de cécité et de surdité pour la circonstance, faisant comme s'ils ne voyaient et n'entendaient rien ».

Nabil, lui, a présenté ses examens « dans un centre au Mont-Liban », comme il l'indique pour couper court à des demandes de détails plus précis sur la localisation de l'établissement. Il confie que « lors de l'épreuve de géographie, la surveillante a donné plusieurs réponses à haute voix pour que toute la classe puisse en bénéficier ». Et d'expliquer les circonstances de cette générosité : « Ayant aperçu l'institutrice embrasser affectueusement un candidat et s'enquérir des nouvelles de sa famille avant de lui proposer de l'aide, un de mes camarades a eu le courage de lui demander de faire également profiter tous les présents dans la salle. Ce qu'elle s'empressa d'effectuer. »

Le superviseur, source sûre d'informations
Nadine, quant à elle, raconte même qu'un superviseur général, chargé de contrôler la bonne marche des examens dans toutes les salles du centre où elle se trouvait, a lui-même fourni à la surveillante en charge de sa classe des réponses relatives aux questions de l'épreuve de physique. « Celle-ci n'avait plus qu'à nous les réciter », note-t-elle dans un éclat de rire.
« Tout le monde a trouvé son compte », estime pour sa part Tarek, devant qui un arabophone avait demandé à tue-tête, durant l'épreuve de rédaction française, comment traduire dans la langue de Molière une phrase qui veut dire « saupoudrer du fromage ». Également, le dernier jour, lors de l'examen d'éducation civique (en langue arabe), Tarek a entendu une fille, à l'accent très francophone, demander timidement au surveillant le sens du mot « thamani ». « Huit », lui a soufflé celui-ci.

À certains moments, pourtant, le bal de la triche s'interrompait pour quelques instants. Des surveillants qui pointaient parfois le nez en direction des couloirs se retournaient aussitôt vers les élèves pour les aviser que « M. Bou Saab arrive ». « En fait, précise un jeune candidat, il s'agissait plutôt de l'entrée soudaine d'un fonctionnaire du ministère devant lequel un silence de mort s'installait alors sur-le-champ. »

En banlieue sud, des corrigés dans les salles d'examen ?
Dans les rangs des parents d'élèves, on murmure que le laxisme dans la capitale a pris son ampleur après que des informations furent parvenues concernant la circulation de corrigés dans des salles d'examen situées dans la banlieue sud.

Quelles que soient les raisons de cette permissivité, la triche, qui est une pratique ancienne – pour ne pas dire ancestrale –, sera donc cette année restée courante, voire endémique, de nombreux écoliers ayant perpétué les mauvaises habitudes des générations qui les ont précédés. À entendre les témoignages, un point positif cependant : il n'a pas été fait usage des nouveaux moyens technologiques pour commettre les fraudes. « Les téléphones portables, strictement interdits, étaient soigneusement interceptés aux portes des salles d'examen », relève une jeune maman.

 

Pour mémoire
Une proposition de loi sur la suppression du brevet contestée

Le climat dans lequel se sont déroulées les épreuves du brevet la semaine dernière ne semble pas avoir été aussi sérieux que le recommandait avec insistance le ministre de l'Éducation, Élias Bou Saab. Quelques semaines avant le démarrage de cette édition 2016, M. Bou Saab avait indiqué avoir mis en place le dispositif nécessaire pour redorer le blason du brevet. « Je veux rendre au...

commentaires (6)

Même dans des classes d'examens du brevet libanais...les élèves...et les surveillants trichent et trompent ? Et après cela on se plaint de la corruption généralisée dans ce pays ? Cela commence donc dans des salles d'examens scolaires, et plus tard on le fera tout naturellement dans la vie professionnelle, publique, dans les ministères etc., n'est-ce pas ? On a les plus belles et grosses voitures, des vêtements de luxe, de belles propriétés, bref tout ce qui brille...mais manifestement plus le sens de l'honneur et du respect de soi...et de sa patrie ! Liban, où vas-tu ainsi ??? Irène Saïd

Irene Said

16 h 25, le 07 juin 2016

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Même dans des classes d'examens du brevet libanais...les élèves...et les surveillants trichent et trompent ? Et après cela on se plaint de la corruption généralisée dans ce pays ? Cela commence donc dans des salles d'examens scolaires, et plus tard on le fera tout naturellement dans la vie professionnelle, publique, dans les ministères etc., n'est-ce pas ? On a les plus belles et grosses voitures, des vêtements de luxe, de belles propriétés, bref tout ce qui brille...mais manifestement plus le sens de l'honneur et du respect de soi...et de sa patrie ! Liban, où vas-tu ainsi ??? Irène Saïd

    Irene Said

    16 h 25, le 07 juin 2016

  • Sans un changement RADICAL des mentalites et du sens des valeurs, le Liban ne sortira JAMAIS de la sous-mediocrite dans laquelle il s'est enfonce au cours de sa neanmoins petite Histoire. Que quelqu'un veuille bien me persuader du contraire ...

    Remy Martin

    15 h 31, le 07 juin 2016

  • Sans un changement RADICAL des mentalites et du sens des valeurs, le Liban ne sortira JAMAIS de la sous-mediocrite dans laquelle il s'est enfonce au cours de sa neanmoins petite Histoire. Que quelqu'un veuille bien me persuader du contraire ...

    Remy Martin

    15 h 22, le 07 juin 2016

  • Triste pays ou le brevet est devenu le meilleur moyen d'initiation à la tricherie .

    Sabbagha Antoine

    14 h 28, le 07 juin 2016

  • Je comprends parfaitement cette complaisance envers la triche par ceux qui sont censés surveiller les élèves. J'ai interrogé l'un d'eux qui m'a répondu qu'il a fait de même lorsqu'il a passé son brevet et qu'il a même eu le bac (il n'a pas précisé s'il l'a eu avec ou sans mention) m'a-t-il dit fièrement. Vive l'illettrisme. C'est ainsi qu'on construit une nation moderne. F. MALAK

    Rotary Beyrouth

    12 h 26, le 07 juin 2016

  • C'est une honte... Adultes irresponsables et irrespectueux, chargés de l'éducation en plus et qui n'ont toujours rien compris, en plus... Il faudrait retirer leur salaire des journées de surveillance...

    NAUFAL SORAYA

    07 h 00, le 07 juin 2016

Retour en haut