Une fois n'est pas coutume : les élections municipales qui se sont déroulées durant tout le mois de mai sont sorties quelque peu des sentiers battus, du moins dans certains cas bien précis, de sorte qu'une lecture sociopolitique de cette consultation électorale s'impose à partir d'une position de recul. Beaucoup d'encre coulera sans aucun doute sur ce plan, mais d'ores et déjà, plusieurs observations peuvent être relevées à la lumière des résultats, souvent inattendus, enregistrés çà et là.
La première grande surprise qui mérite réflexion est incontestablement – on l'aura deviné – l'éclatante victoire enregistrée à Tripoli par la liste parrainée par le général Achraf Rifi face à la mégacoalition regroupant la quasi-totalité des ténors et des forces vives de la capitale du Nord. Il ne faut pas s'y méprendre à cet égard. Il ne s'agit pas là de la victoire d'un leader « extrémiste » contre les « modérés ». Le ministre démissionnaire de la Justice ne saurait être qualifié en effet de chef « islamiste extrémiste » ou de « fondamentaliste ». Loin de là. Son discours est plutôt celui de la fermeté face au projet politique du Hezbollah et aux visées du régime syrien ou du pouvoir des mollahs iraniens. C'est ce qui a fait, vraisemblablement, son succès.
Dès le départ, Achraf Rifi s'est posé en gardien du temple de la révolution du Cèdre. Il a placé sa fronde dans le contexte du rejet de ce qu'il perçoit comme une série de compromis et de compromissions auxquels s'est laissé entraîner, selon lui, le chef du courant du Futur Saad Hariri – à commencer par l'appui à la candidature de Sleiman Frangié – et qui ont constitué, à son sens, autant de déviations par rapport aux fondamentaux du projet national du 14 Mars.
Le vote-sanction de Tripoli a exprimé l'adhésion de la rue sunnite tripolitaine à cette fronde, à cette attitude ferme de l'ancien directeur général des FSI. Mais le « séisme Rifi » a représenté aussi dans le même temps – et c'est là un facteur essentiel qu'il serait périlleux de négliger – la manifestation d'un double ras-le-bol de cette rue sunnite : un ras-le-bol, d'abord, à l'égard de la situation de misère profonde et de marginalisation sociale dans laquelle se trouvent englués certains quartiers populaires de la capitale du Nord ; un ras-le-bol, ensuite, vis-à-vis de ce que ces mêmes quartiers perçoivent comme une chasse aux sorcières qui les vise sous prétexte de lutte contre le terrorisme.
Les élections municipales auront permis de mettre en relief de façon spectaculaire et inattendue ce cumul de frustration à Tripoli. Mais il est une autre réalité sociopolitique d'un tout autre genre que les scrutins de mai ont largement illustrée : le caractère fondamentalement traditionnel, à la limite du féodal, du paysage politique libanais. Indépendamment des victoires ou des défaites enregistrées ici ou là, les grands partis chrétiens ont, certes, fait la démonstration de l'étendue de leur présence à travers le pays, mais dans le même temps, les résultats obtenus ont illustré un fait indéniable : les grandes familles politiques et les notabilités locales restent profondément enracinées dans le tissu social du pays, notamment dans les régions périphériques, et il est par conséquent illusoire de chercher à les marginaliser. La présence de ces grandes familles politiques remonte à très loin dans l'histoire, et dans les zones rurales, l'allégeance de larges pans de la population à leur égard revêt un caractère clanique qu'il est encore quasiment impossible de surmonter.
En période de crise existentielle, cet antagonisme récurrent – et classique – entre partis et notabilités locales ne saurait avoir sa place dans le paysage politique et devrait plutôt céder la place à un front uni lorsque les deux parties partagent une vision commune des défis et des dangers qui menacent le devenir de la population. Ce front uni s'est maintenu jusqu'à présent, contre vents et marées, depuis la révolution du Cèdre. Mais les fissures apparues subitement, et de manière quasi concomitante, au niveau de ses différentes composantes incitent à se poser des questions sur la nature de la phase nouvelle dans laquelle paraît s'être engagé le pays.
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Pourri de ver de terre Pauvre et solitaire, bien entendu.
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
19 h 14, le 31 mai 2016