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Nos Lecteurs ont la Parole - Georges TYAN

Les montreurs d’ours

Tels des montreurs d'ours, l'un promène l'autre sur les places publiques où les désœuvrés s'agglutinent, dansant au rythme d'un tambourin battant la mesure. Dans quelques instants, on fera passer dans la foule un chapeau élimé et crasseux pour récolter quelques maigres sous, lançant à la tournée le bon vieux : «à vot' bon cœur ! », comme le font tous les saltimbanques de la planète.
Comme il est d'usage également, la foule, bien que le spectacle l'ait enchantée, tournera le dos mains dans les poches s'en allant vaquer à des occupations plus anodines, lécher les vitrines, raser les murs, arpenter les trottoirs, prenant garde de ne pas trébucher sur les inégalités des carreaux ou glisser sur le résidu que les chiens du voisinage auront laissé un peu partout.
C'est tout à fait dans le cheminement de la nature humaine. Le peuple a ses inconsistances bien ancrées dans son subconscient, rodées à travers le temps et les siècles, par l'éducation, la culture, la lecture, les revues, les quotidiens, la globalisation, les moyens modernes de communication. Les réseaux sociaux ont anéanti les distances, mis les continents à portée de clavier.
Cela a largement contribué à l'émancipation de l'espèce humaine, fait sauter les verrous, réduit à néant beaucoup de tabous, libéralisé les mœurs, mis a plat des croyances et des théories qui tenaient l'homme en laisse. Certes, il demeure des endroits où cette avancée patauge, contrée par le farouche combat d'arrière-garde que livrent certains esprits récalcitrants, afin de préserver des acquis indûment accumulés à travers le temps et les
situations.
Ceux qui ne se ressemblent en rien s'assemblent. L'on voit surgir des unions hétéroclites, le plus souvent contre nature dans le but de ratisser le plus large possible, fermer la route à quiconque oserait mettre en doute le bien-fondé de ces alliances qui, si elles servent à quelque chose, contribuent uniquement à la pérennité de quelques personnages ayant mis en coupe réglée le pays et pompé jusqu'à la moelle ses ressources.
Le peuple lui n'y voit que du feu, pour l'amuser, détourner son attention des problèmes cruciaux pour son avenir, celui de ses enfants et du pays à défaut de pain, puisqu'on n'a plus d'argent pour en acheter, on lui donnera des jeux, quitte à y mettre du sien, en faisant à tour de rôle dépendant des régions, l'ours ou son montreur.
Bien entendu, il y aura les dommages collatéraux. Ne dit-on pas que lorsque l'ours se met à danser, il tue chemin faisant sept ou huit personnes? Les personnes dans cette métaphore seraient à mon humble avis la démocratie, la liberté de choix, de pensée, d'action, puisque notre ours et ses montreurs ne dansent plus qu'au rythme du tambourin de la fibre communautaire.
Plus encore, dans l'ombre de l'ours se dissimulent beaucoup d'arrière-pensées, certaines inavouables mais qui petit à petit se font jour, d'autres qui sautent aux yeux, personne ne s'en cache plus. Mettre un terme définitif à une belle idée suave comme une photo jaunie par le temps d'un Liban féodal, ancestral, curieux et suranné qui, sauf en de rares endroits, ne fait plus recette.
Les exemples sont flagrants. Inutile de susciter les rancœurs, les regrets en mentionnant le nom de ces grandes familles ayant mis la clé sous le paillasson de l'histoire. Elles ne sont plus qu'un souvenir. Ont-elles manqué de discernement ou de flair? N'ont-elles pas senti le vent du changement qui a bouleversé la donne, chambardé de fond en comble les valeurs intrinsèques à notre pays?
Seul le temps sera juge et rendra son verdict. Toujours est-il que sans doute par atavisme et tradition, ces familles n'ont pas su, pu, voulu s'adapter aux nouvelles vénalités du moment, l'argent pour eux avait une importance toute relative, c'était un moyen de bien vivre, de soulager dans la mesure de leurs possibilités leur entourage, non d'acheter les consciences, ou les asservir.
C'était en quelque sorte une démocratie de bon aloi. Certes on montrait l'ours, mais juste pour amuser la galerie. Les montreurs se tenaient loin de la politique, ni le dresseur ni l'homme au tambourin ne pensaient hériter l'autre. Leur unique prétention était de donner le sourire aux gens.
C'était le bon temps.

Georges TYAN

Tels des montreurs d'ours, l'un promène l'autre sur les places publiques où les désœuvrés s'agglutinent, dansant au rythme d'un tambourin battant la mesure. Dans quelques instants, on fera passer dans la foule un chapeau élimé et crasseux pour récolter quelques maigres sous, lançant à la tournée le bon vieux : «à vot' bon cœur ! », comme le font tous les saltimbanques de la...

commentaires (1)

Très bel article !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

07 h 48, le 31 mai 2016

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Commentaires (1)

  • Très bel article !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 48, le 31 mai 2016

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