Ouvrir un sujet, lancer une conversation. Introduire une phrase, s'introduire. Parler de la pluie et du beau temps, demander si ça va, si on est là pour longtemps. S'intéresser à l'autre ou faire semblant de l'être. Séduire, sourire, cligner des yeux, se taire et puis s'éclipser discrètement. Accepter un rendez-vous, un date, une première fois.
Il est difficile, très difficile d'engager une conversation. Que l'on soit timide ou extraverti(e), réservé(e) ou impudique. Quoi dire à un(e) inconnu(e)? Faire comme les marins quand ils se croisent le matin. Parler du temps qu'il fait et qu'il fera. Du vent qui souffle et de la mer qui s'agite. On le fait souvent. En apesanteur avec un inconnu dans un ascenseur, 15 étages. «Il fait frais ce soir», «le temps a changé». Un sourire et le silence à nouveau. Peut-être que c'est parce que c'est un des rares sujets communs. On ne va pas parler de sa gastro ou du rhume des gamins à quelqu'un qu'on ne connaît pas. La crise des poubelles? On en a fait le tour. Notre divorce ? Oui, mais non. Quand même. Quoi qu'avec la discrétion légendaire des Libanais, après un petit «hi, kifik, ça va?», la discussion devient intrusive.
Mais c'est surtout lors d'une première fois que les choses se corsent. Un date. Un Bloody Mary en happy hour, une salade à 20h30, un déjeuner ou un «viens chez moi». Et là, face à lui, face à elle, on ne sait pas par où commencer. Déjà que la situation n'est pas évidente, comment faire pour meubler les silences? Avec la multitude de choix musicaux, cinématographiques, de séries télé, de lieux où aller, il est devenu plus difficile de converser autour d'un épisode de Mad Men, comme lorsqu'on le faisait pour Friends, Dynastie ou Melrose Place. « T'as vu le dernier Di Caprio ? » « Tu penses quoi du dernier album de Biolay ? » Ouais OK, mais ça ne tient pas plus de 10 minutes, à moins d'être fan absolu de Benjamin ou de cinéma. Toujours est-il qu'on en apprend peu sur l'autre. Silence. «Et c'est sympa ton boulot ? » «Tu as des enfants? «Quelles sont tes préférences sexuelles?» Awtch, d'entrée de jeu, ça l'fait pas. Même si c'est le but du dîner: un prélude à une nuit torride.
On ne va pas se voiler la face ou se cacher derrière son auriculaire, quand un homme invite une femme, ce n'est pas pour parler de Nietzsche. OK, parfois, si, mais généralement l'envie est autre. Alors, on fait comment quand on n'a pas racolé sur Tinder, dragué sur Facebook? Eh bien, on se pose des questions. Mais pas n'importe lesquelles. On vient avec un questionnaire déjà fait. 10 questions. Pas les mêmes. 10 questions sans censure (un seul joker est autorisé). 10 questions sur tout et n'importe quoi. «De quel côté du lit tu dors ? » «Tu aimes le Nutella ? » «Décris-toi en 3 adjectifs. » «Qu'est-ce que tu ne pardonnerais pas?» «Quelle question n'oses-tu pas me poser?»... Une sorte de Proust revisité. Et là, les dés sont jetés. «Et toi?» Et c'est ainsi que du silence, on passe aux mots, aux phrases. De l'intrigue, on passe aux sourires. On découvre celui d'en face à travers ses réponses mais aussi et surtout à travers ses questions. On en sait un peu plus. On se décrispe, on boit, on va plus loin. On va sur le chemin de l'intime, on ose, on apprend, on dompte, on joue. Les minutes et les heures passent. D'autres questions tombent. On est à 13. On a dépassé le quota. On n'aura pas parlé de l'orage, ni des températures. Ça marche aussi avec des potes, à des dîners barbants, avec de nouveaux collègues. «Quelle est la qualité que tu aurais aimé ne pas avoir?» «Que ferais-tu avec un masque que tu n'oserais pas faire sans?» Ah. Réponse au prochain épisode. Au prochain rendez-vous.
commentaires (3)
Ah ! Les "Casanova" à Une seule ou au grand max.... Deux balles !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
15 h 03, le 28 mai 2016