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Lifestyle - Photo-roman

Un jour, nous retrouverons le chemin de la liberté...

Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, une photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon...

Photo G.K.

Ce sera le printemps ou l'été. Les portes de Roumieh se seront ouvertes à grands battants et Khamis aura purgé sa peine, purgé sa détention, soldé ses comptes avec la justice libanaise. Ce sera le printemps ou l'été et ses deux garçons joueront dans le champ de pommes en contrebas. Il sera au frais, près d'un ventilo bavard posé au bord de son lit à la chair chaude. Il ira à la fenêtre, allumera une Winston kartoun, regardera le bleu du ciel du Chouf, caressera le vent qu'il aime pour la fraîcheur inattendue qu'il creuse au cœur de la chaleur piquante du matin. Ses pieds nus laisseront leurs empreintes humides sur les tomettes aussi rouges que ses pommettes bourrées de sommeil. Ils se laisseront guider par les bruits de vaisselle au loin, les conversations qui déclinent, les fumées de cigarettes d'après-café et les effluves des surprises en marmites qui s'envolent puis vont se perdre sur les collines voisines. Il y aura le baiser cotonneux de sa maman dont l'aplomb un rien changé le surprendra, et ses mains de maman faites pour nourrir et donner, ses mains fourchette et couteau qui lui mettront dans la bouche une feuille de vigne farcie aux aurores.

 

Serrer la main au passé
Ce sera le printemps ou l'été. Il y aura le soleil au zénith et une nouvelle Winston, en compagnie de son papa cette fois-ci. Khamis s'assiéra sans gémir, sans pilonner chacun de ses muscles, sans mettre au supplice chacun de ses os. Il s'assiéra en veillant simplement à pouvoir repousser ses jambes le plus loin possible, sans qu'un mur ne vienne les enquiquiner. Et il trouvera le plaisir presque niais de s'assoupir puis s'absenter, avec l'intensité gaillarde des dévoreurs de rêve et l'insouciance aérienne des bonheurs reconquis. Ce sera le printemps ou l'été, et si Khamis a endossé son treillis et enfourché sa moto d'antan, c'est qu'il s'imagine désormais nomade et voyageur, comme avant. C'est aussi et surtout que ne l'atteindront plus jamais les grillages et les menottes. Où ira-t-il ? Sans doute sillonner les routes qui mènent à la Békaa, serrer la main à son passé et se réconcilier avec ce trajet où il avait trafiqué, tué. Qui l'avait mené à la prison de Roumieh où il est devenu un peu ce qu'il est, arrangeant et prudent, conscient de la brièveté des choses, sûr des limites du volontarisme. Emprunter ce chemin avec la sagesse d'un homme neuf, si paisiblement assagi qu'il esquissera même un sourire à ses souvenirs noir charbon.

 

Raie de côté et dollar à 16 livres
Ce sera le printemps ou l'été mais dans une autre vie. Parce que la peine de Khamis, c'est la prison à perpétuité. Entre-temps, son existence se limitera à quelques mètres carrés et sa solitude se partagera à cinq, huit ou douze. Il se résoudra à oublier l'odeur de la lessive, la chaleur d'un plat mijotant, le sentiment de se rouler dans un lit, de sauter sur un matelas jusqu'à toucher les cieux. Il conservera sa raie sur le côté et son costard jaune moutarde, sans jamais soupçonner que tout cet attirail est un jour passé de mode. Dans sa mémoire s'effritera le souvenir des visages aimés à tel point qu'il se mettra à demander des photos qu'il couchera sous son oreiller. Il ne comprendra pas comment sa nièce, âgée de quatre ans, vient de se marier. Un matin, il verra son petit débarquer avec un petit, et puis, sans prévenir, sa mère ne viendra plus du tout parce que ses pieds ne la porteront plus sur la montée qui mène à son bâtiment. Il sera persuadé que Sabah est encore en vie, que nous avons un président, que le dollar est à 16 livres libanaises et il conservera 10 000 LL si son fils en a besoin pour s'acheter un appartement. Il se jettera dans le sport et blottira ses mélancolies entre ses pectoraux. Il cultivera des muscles pour se battre avec lui-même, pour se haïr et s'en vouloir. Pour regretter et espérer avoir été la victime plutôt que le bourreau...

 

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Ce sera le printemps ou l'été. Les portes de Roumieh se seront ouvertes à grands battants et Khamis aura purgé sa peine, purgé sa détention, soldé ses comptes avec la justice libanaise. Ce sera le printemps ou l'été et ses deux garçons joueront dans le champ de pommes en contrebas. Il sera au frais, près d'un ventilo bavard posé au bord de son lit à la chair chaude. Il ira à la...

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