Le député Samy Gemayel, président du parti Kataëb, a attaqué hier le plan de décharges côtières adopté par le gouvernement en mars, estimant qu'il est « contraire à tous les critères sanitaires, mais l'adopter était nécessaire pour que les déchets soient ôtés des rues ». Il a reconnu que le Premier ministre Tammam Salam n'a pas accepté que ce sujet soit ouvert durant le dernier Conseil des ministres, l'appelant à ne pas renouveler ce refus du débat. « Le Premier ministre doit savoir que s'il compte obliger le parti Kataëb à être témoin du vol et de la corruption, nous n'hésiterons pas à claquer la porte », a-t-il déclaré hier en Conseil des ministres.
« Nous nous sommes opposés à ce plan parce qu'il est catastrophique pour la santé et l'environnement et n'est fondé sur aucun système transparent, a-t-il dit. Aujourd'hui, après que les déchets eurent été levés, nous pouvons nous exprimer à nouveau. J'annonce au gouvernement et à tous ceux qui protègent cette "mafia" des déchets au Liban que les Kataëb reprennent la lutte. »
Le plan de décharges côtières a été adopté en mars par le gouvernement, suite à une série d'échecs à mettre fin à la crise des déchets qui sévissait depuis juillet. Ce plan consiste en la construction de deux décharges sur la côte, l'une à Costa Brava (Choueifate) et l'autre à Bourj Hammoud. L'appel d'offres pour la construction de la décharge à Costa Brava a été finalisé, même si les résultats n'ont pas été annoncés officiellement (on sait qu'il a été remporté par la société de Jihad el-Arab), alors que celui qui concerne Bourj Hammoud a été reporté de trois semaines.
(Lire aussi : Des médias russes évoquent un nouveau projet d'exportation des déchets à partir du Liban)
Le cas Sukleen
Hier, Samy Gemayel a abordé le sujet d'un autre appel d'offres, celui du transport et de la collecte, pour désigner la compagnie qui devrait remplacer Sukleen. « Un accord a été conclu pour que l'appel d'offres soit en faveur d'une seule compagnie », a-t-il affirmé, ajoutant que « le dossier des déchets est un crime à l'encontre des municipalités et du budget de l'État ».
Interrogée par L'OLJ sur les déclarations de M. Gemayel, une source proche du parti Kataëb se demande « si le cahier des charges était conçu pour être équitable envers toutes les compagnies ». Il s'explique : « Le contrat est prévu pour quatre ans. Toute compagnie qui va s'équiper de camions et d'autres installations et élaborer des plans devra donc imposer un prix supérieur à celui de Sukleen, qui possède déjà ses camions et ses plans. N'est-ce pas une façon de s'assurer que Sukleen remporte l'appel d'offres ? » Alors qu'il a été dit que Sukleen n'a pas présenté de dossier dans le cadre de cet appel d'offres, la source indique : « Pour la construction des décharges, oui, mais pas pour la collecte et le transport. » Selon elle, la compagnie pourrait même se présenter par des moyens détournés.
« Il faut savoir que nous critiquons ce système de monopoles qui nous ramène à celui qui régnait durant les 18 dernières années, par une compagnie particulière », poursuit la source, qui explique aussi pourquoi le député a évoqué un échec du plan des décharges côtières : les aires de stockage utilisées dans les deux sites des futures décharges n'ayant pas une capacité illimitée, les désagréments qui s'en dégageront soulèveront à coup sûr la colère de la population.
Un autre facteur d'échec est relevé par cette source : si cette solution présentée comme « temporaire » n'est pas accompagnée d'un plan d'aide aux municipalités pour une prise en charge après quatre ans, c'est un appel aux prolongations, donc une répétition du scénario-catastrophe de Naamé.
« Apparemment, le gouvernement tient à maintenir le monopole, sous prétexte que les municipalités ne peuvent s'en sortir, mais les a-t-on seulement préparées pour cela ? », ajoute-t-on de même source. « Et puis si les municipalités n'instaurent pas des systèmes de tri à la source, trop de déchets seront enfouis dans les décharges et celles-ci seront rapidement saturées. Le ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk était supposé former une commission à cet effet, il ne l'a toujours pas fait. Le ministre de l'Économie Alain Hakim (Kataëb) l'a interrogé à ce propos, mais n'a toujours pas obtenu de réponse. »
Comment compte pratiquement réagir le parti Kataëb contre ce qu'il dénonce aujourd'hui ? « Aucune option n'est exclue, répond-on de même source. Comme l'a suggéré le député Gemayel au cours de sa conférence de presse, la démission est une possibilité, tout comme les manifestations. »
Janné : un sit-in de la société civile jeudi
Au cours de sa conférence de presse, Samy Gemayel ne s'est pas contenté d'aborder le dossier des déchets, il a aussi soulevé un autre scandale (encore un !) ayant éclaté depuis peu : l'abattage d'arbres dans le site de Janné (Nahr Ibrahim) en vue de la construction d'un barrage très controversé en raison de sa capacité à stocker l'eau et de son impact sur la biodiversité de l'endroit, contrairement à l'avis du ministère de l'Environnement. Samy Gemayel a estimé hier que « la vallée d'Adonis renferme une nature exceptionnelle et des sites historiques, que certains n'hésitent pas à détruire, sachant que l'abattage d'arbres se poursuit ».
Cet abattage est effectué par l'entrepreneur qui construit le barrage suivant une autorisation accordée par le ministre de l'Agriculture Akram Chehayeb jusqu'au 30 juin (celui-ci continue à le nier). Malgré le fait que le ministre de l'Environnement Mohammad Machnouk a demandé l'arrêt des travaux, l'abattage se poursuit (voir L'OLJ du 24 mai).
Hier, M. Gemayel s'est demandé « pourquoi insister à construire un projet de barrage à Janné quand le ministère de l'Environnement a indiqué que ses dommages sont plus importants que ses bénéfices ». Et d'ajouter : « Si ce projet n'est pas annulé durant le Conseil des ministres de jeudi, la société civile devrait entrer en scène, et nous serons là pour l'aider. »
La société civile, justement, prépare un sit-in pour jeudi, parallèlement au Conseil des ministres, à la place des Martyrs, à 15h. La manifestation est organisée par la Campagne pour l'annulation du projet de barrage à Nahr Ibrahim et par le Mouvement écologique libanais.
Face à cette charge, la réponse du ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, un des défenseurs du barrage, n'a pas tardé. « La construction du barrage de Janné ne s'arrêtera sous aucun prétexte et quel qu'en soit le prix, parce qu'il devra assurer à terme l'électricité à toute la région de Jbeil et du Kesrouan », a-t-il dit hier, au terme de la réunion hebdomadaire du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme, à laquelle le nouveau député de Jezzine, Amal Abou Zeid, a pris part.
Un bras de fer en perspective, donc, en Conseil des ministres jeudi...
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commentaires (5)
On ne doit pas être vieux avant d’avoir été jeune.
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
06 h 39, le 26 mai 2016