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Nos Lecteurs ont la Parole - Antoine MESSARRA

Projet d’extension des attributions du Conseil constitutionnel - I. Rejoindre l'évolution mondiale et arabe de la justice constitutionnelle

À un moment de marasme presque général au Liban, le Conseil constitutionnel tente inlassablement de sauvegarder le patrimoine libanais de légalité et de constitutionnalisme. Il s'agit en effet d'assurer la consolidation à l'avenir de l'État de droit, en conformité d'ailleurs avec l'évolution mondiale du droit et l'extension des attributions de la justice constitutionnelle dans la plupart des États arabes d'aujourd'hui.
Le séminaire, organisé par le Conseil en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer autour du «Projet d'extension des attributions du Conseil constitutionnel», élaboré par le président du Conseil constitutionnel Issam Sleiman, a groupé, outre tous les membres du Conseil, des représentants de la Fondation Konrad Adenauer, d'anciens ministres, des députés, des représentants des plus hautes instances judiciaires et des universitaires.
Les statuts du Conseil constitutionnel, «fruit d'un travail laborieux» (Ibrahim Najjar et Samir el-Jisr), sont objet du débat en vue d'une réforme à la lumière de l'expérience. Les projets de réforme «puisés de l'expérience sont justement ceux qui réussissent» (Fayiz Haj-Chahine). Le séminaire témoigne d'une «résistance culturelle symbolique» (Lara Karam Boustany), d'une «pensée à la hauteur de la culture des droits» (Antonio al-Hachem) et d'une «perspective doctrinale éclairée» (Khaled Kabbani).
Les allocutions d'ouverture soulignent l'exigence de réhabiliter et de consolider l'État de droit au Liban «qui devra rejaillir dans toute la région» (Tarek Ziadé). Il s'agit aussi de développer l'édifice constitutionnel au Liban «à l'encontre de dérives et d'obstacles souvent dressés volontairement» (Peter Remmele), en partant certes de l'expérience du Conseil constitutionnel libanais lui-même durant vingt ans. Les attributions du Conseil sont circonscrites au minimum, non seulement par rapport à la justice constitutionnelle en général, mais même par rapport à des États africains et arabes (Issam Sleiman). Les travaux sont concentrés autour de quatre volets.
1. Le recours en interprétation de la Constitution : les interventions et débats en vue de l'extension des attributions du Conseil constitutionnel au recours en interprétation de la Constitution, comme cela était prévu dans l'accord d'entente nationale de Taëf, soulignent à la fois le besoin de ce recours à la lumière de l'expérience et la problématique de l'application effective de l'interprétation. Lors de l'amendement constitutionnel de 1990, le recours en interprétation n'a pas été retenu par le Parlement pour le motif qu'il s'agit d'une fonction normative qui relève du Parlement lui-même, « justification qu'il faudrait désormais nuancer » (Samir el-Jisr). Deux perspectives peuvent être dégagées :
a. Le poids des faits : les faits eux-mêmes prouvent le besoin du recours en interprétation, avant l'accord de Taëf et après, ainsi que les crises liées à l'interprétation (Jean Fahd). En outre, la spécificité de la Constitution libanaise (pacte national, coexistence, parité, participation, discrimination positive...) implique des approches au-delà d'un rigorisme juridique conventionnel.
En pratique, les Libanais se trouvent souvent confrontés non pas à des interprétations divergentes, «mais à deux Constitutions, celle nationale, et celle de fait et effectivement appliquée. C'est alors que le nombre des experts constitutionnels au Liban dépasse celui des experts du code de la route ! » (Ghaleb Mahmasani), «provoquant un engorgement du trafic plus qu'ils ne le facilitent » (Fayiz Haj-Chahine). D'où le besoin d'un recours référentiel « dans les cas certes où la disposition n'est pas suffisamment explicite et en vue d'extraire le sens profond » (Fayiz Haj-Chahine). Il n'y a pas là un empiètement sur les attributions du Parlement, du moment que le recours peut émaner du Parlement lui-même. Une telle interprétation est aussi plus proche de la réalité du texte fondamental que des commentaires émanant de considérations politiques conjoncturelles. Il en découle aussi à travers les recours en interprétation « un approfondissement de la culture constitutionnelle que le citoyen vit au quotidien » (Chebli Mallat).
b. Institutionnaliser une ancienne pratique ? Que faire pour contrer les risques que l'interprétation constitutionnelle ne soit pas appliquée, qu'elle soit considérée comme une ingérence dans les rapports entre les pouvoirs, ou que le Conseil «s'ajoute aux nombreux experts du code de la route»? (Ghassan Moukheiber).
On rappelle qu'autrefois le bureau du Parlement, ou son président, sollicitait des consultations de grands constitutionnalistes et appliquait les résultats des consultations (Ghassan Moukheiber). La mise en garde à l'encontre des risques (Amine Saliba), afin de sauvegarder la crédibilité du Conseil constitutionnel lui-même et aussi des risques qui découlent de compromissions interélites et de commentaires débridés (Mireille Najm Chukrallah), ne devrait pas déboucher sur le rejet absolu du recours en interprétation devant le Conseil constitutionnel. Il s'agit, soit d'institutionnaliser le recours consultatif auprès du Conseil constitutionnel, soit de reconnaître de façon absolue le recours en interprétation devant le Conseil, comme c'est le cas dans nombre de pays, dont la Jordanie, le Koweït, le Soudan..., évitant « les compromissions aux dépens de la Constitution, la paralysie des institutions et les débats extra-institutionnels et polémiques » (Issam Sleiman).

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel

Prochain article : II. Élargir les recours au Conseil constitutionnel

À un moment de marasme presque général au Liban, le Conseil constitutionnel tente inlassablement de sauvegarder le patrimoine libanais de légalité et de constitutionnalisme. Il s'agit en effet d'assurer la consolidation à l'avenir de l'État de droit, en conformité d'ailleurs avec l'évolution mondiale du droit et l'extension des attributions de la justice constitutionnelle dans la plupart...

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