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Moyen Orient et Monde - Reportage

« Il ne nous vend même pas, il nous donne. Franchement, je préférais Morsi »

Début avril, le régime égyptien rétrocédait deux îles de la mer Rouge à l'Arabie saoudite. Une décision qui a provoqué la colère d'une large partie de la population. Les victimes directes de cette perte sont pourtant restées silencieuses malgré les conséquences directes sur leur vie : les Bédouins du Sinaï.

Une vue aérienne des deux îles de Tiran (au premier plan) et de Sanafir (en arrière-plan). Photo AFP

Tiran et Sanafir, deux petits rochers arides plantés dans le turquoise des eaux limpides de la mer Rouge, ne sont plus égyptiens. Début avril, le régime de Abdel Fattah al-Sissi a officiellement rétrocédé les deux îlots, situés à l'entrée sud du golfe d'Aqaba, à l'Arabie saoudite. Ce retour dans le giron saoudien prévoit aussi la démarcation des eaux territoriales et la construction d'un pont entre les deux pays, dans un ensemble de 21 différents accords économiques d'un montant de 25 milliards de dollars.
Mais malgré les pétrodollars dont Riyad abreuve Le Caire pour garder l'Égypte à flot depuis deux ans, la décision a provoqué la colère des Égyptiens. De nombreuses personnalités publiques, politiques et des experts se sont insurgés, ressortant leurs vieilles cartes pour prouver la souveraineté du pays des Pharaons sur les deux lopins de terre. Les détracteurs du régime Sissi ont été prompts à rappeler que les militaires avaient accusé le président islamiste Mohammad Morsi d'avoir tenté de vendre le Sinaï au Qatar, pour justifier leur coup d'État en 2013. « Nous n'avons pas renoncé à nos droits, nous avons restauré ceux des autres », a tranché le président Sissi, rappelant que ce territoire était simplement annexé depuis 1950 sur demande de son voisin pour le protéger d'une invasion israélienne.

 

(Lire aussi : « Vous avez pris notre liberté, ne touchez pas à notre haschich ! »)

 

L'Égypte n'est pas à vendre
Mais cette cession a touché au plus profond le patriotisme des Égyptiens, ravivé jusque dans sa moelle par le discours ultranationaliste du président el-Sissi depuis son arrivée au pouvoir. Pour la première fois depuis plusieurs années, la population est descendue dans la rue pour faire entendre son opposition à cette décision, scandant « l'Égypte n'est pas à vendre ». Une vive réaction qui n'a pourtant pas non plus manqué d'être critiquée au sein de la société elle-même. « Pour être honnête, qui avait entendu parler de ces deux îles, avant qu'on les refourgue à l'Arabie saoudite ? », note Chérif, un jeune trentenaire égyptien, qui n'a été dans le Sinaï que deux fois dans sa vie, comme beaucoup de ses concitoyens.
Le Cairote ou l'Alexandrin n'a finalement que faire d'une parcelle de sable et de coraux plantée dans les eaux infestées de requins au large de la mer Rouge. Mais il profite de cette erreur stratégique pour faire entendre sa voix sur des sujets plus fâcheux comme la répression policière sans précédent, le marasme économique persistant et les atteintes à la dignité humaine dans un pays présenté par les ONG internationales comme « plus dangereux que sous l'ère Moubarak ».
Pour trouver les vraies victimes de cet accord décidé sous le manteau, il faut s'éloigner du bruit des grandes villes et prendre la route pendant 10 heures à travers le désert brûlant du Sinaï. Il faut aller cueillir la communauté bédouine sur ses terres.


Face aux montagnes roses de l'Arabie saoudite, à quelques kilomètres à vol d'oiseau du royaume wahhabite, Ahmad et quelques cousins s'affairent autour d'un feu. « On ne les voit pas d'ici », assure-t-il en jouant avec les flammes qui lèchent le bois d'un vieux palmier, « il faut descendre plus au sud, à Charm el-Cheikh (...). Mais c'est fini, on ne peut plus y aller », souffle-t-il, dépité, en évoquant les îlots. « Mon père avait l'habitude de s'y rendre deux fois par an, pour prendre du repos pendant trois semaines. Il allait camper là-bas avec ses amis, faisait du feu, pêchait... C'était leur retraite, maintenant ils ne sont plus autorisés, ce n'est plus égyptien, il va nous falloir un passeport pour aller là-bas », assure-t-il. Les îles, occupées par la Force multinationale et les observateurs du Sinaï et dont la légende veut que leurs plages soient minées, étaient un écrin secret chargé de fantasmes où les tribus bédouines s'autorisaient du bon temps, loin du flux de touristes à la belle époque, loin de la déprime post-révolution plus récemment.


« Tiran ? Tu veux aller à Tiran ? Moi je t'y emmène ! », assure quand même Awad, au volant de son pick-up. « Ce n'est pas un problème, si tu veux faire de la plongée là-bas, on peut y aller. Mais on ne peut plus amarrer sur l'île, maintenant que ça appartient aux Saoudiens », prévient-il. « Le problème c'est que ça coupe une partie de notre business », note de son côté Aïtawi, qui tient un camp pour vacanciers dans une petite crique à une heure de marche de Dahab. « Tiran et Sanafir sont très prisées pour la plongée. On y emmène régulièrement des touristes, passionnés de fonds marins, ça va être fini aussi maintenant », note-t-il inquiet. « De toute façon, à chaque fois qu'on pense que le tourisme va revenir, il se passe quelque chose. »

 

(Lire aussi : Consciente de ses tabous, la jeunesse égyptienne se met à en parler)

 

Aucune consigne
Pourtant, du côté des agences d'excursions, on affirme n'avoir reçu aucune consigne concernant les deux îles et leur accès. « On poursuit nos activités, tous les jours. Pour l'instant, nous n'avons pas de problèmes à le faire comme dans le passé », assure le gérant de Sharm Club qui propose des sorties en mer pour admirer les coraux dans la zone. « Pour le moment, personne ne nous a interdit de le faire, nous n'avons pas eu de notification de régulation concernant ces excursions, donc on ne change rien. » Mêmes propos chez Sharm Tour, avec un zeste de morgue toutefois : « Vous faites toujours des sorties sur Tiran et Sanafir ? – Bien sûr. – Mais, c'est saoudien maintenant... – Et alors ? », lance le gérant de l'agence, un poil agressif.

 

 (Lire aussi : Face aux critiques, Sissi invoque des "complots diaboliques")


Pour tous, la frontière est mince et ambiguë : si officiellement, les Égyptiens ne sont pas empêchés de poursuivre les balades en bateau dans le secteur, un bruit s'est répandu à Dahab et dans ses environs : plusieurs bédouins, ignorant le passage des deux îles sous contrôle saoudien, ont récemment amarré sur leurs plages et auraient été arrêtés et placés en détention. « Certains Bédouins ne savaient pas trop, ils ont continué à y aller et se sont fait arrêter par la police saoudienne », affirme Khaled. « L'un d'entre eux a pris 4 jours de prison, un autre 9, et là, ils sont 6 ou 7 à être détenus depuis 29 jours », assure-t-il. L'information n'a pas pu être vérifiée de manière indépendante, mais derrière ce genre de rumeurs, se cache la lassitude qui règne au sein de la communauté bédouine. « On disait de Morsi qu'il vendait le pays, mais en fait, il était peut-être mieux que celui-là (Sissi) », assure Khaled. « Lui, il nous vend à nos pires ennemis. Il ne nous vend même pas en fait, il nous donne. Franchement, avec le recul, je préférais Morsi. »

 

 

 

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Tiran et Sanafir, deux petits rochers arides plantés dans le turquoise des eaux limpides de la mer Rouge, ne sont plus égyptiens. Début avril, le régime de Abdel Fattah al-Sissi a officiellement rétrocédé les deux îlots, situés à l'entrée sud du golfe d'Aqaba, à l'Arabie saoudite. Ce retour dans le giron saoudien prévoit aussi la démarcation des eaux territoriales et la construction...

commentaires (4)

Aliis si licet, tibi non licet ! Que d'autres aient un "droit" ne veut pas dire que tu l'aies !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

08 h 42, le 27 mai 2016

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Commentaires (4)

  • Aliis si licet, tibi non licet ! Que d'autres aient un "droit" ne veut pas dire que tu l'aies !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    08 h 42, le 27 mai 2016

  • VENDRE C,EST POUR EMPOCHER... DONNER C,EST POUR SE MUNIR...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 42, le 26 mai 2016

  • La remarque est que l'ei ne s'interesse pas du tout à ce pays et à son voisin et ami l'usurpie !!! bizarre bizarre...

    FRIK-A-FRAK

    20 h 38, le 25 mai 2016

  • Bientôt... faudra hypothéquer les Pyramides ,pour payer les Rafales à Normal 1er ..car les caisses sont vides ...et le tourisme , 1ère industrie du pays , en faillite....

    M.V.

    16 h 34, le 25 mai 2016

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