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Moyen Orient et Monde - Kurdistan

Alors que l’EI recule au nord de l’Irak, de nouveaux conflits (re)surgissent

Malgré les victoires successives des kurdes sur l'État islamique, le nord de l'Irak est en proie à de nombreuses rivalités, animées par des tensions inter et extracommunautaires.

Un peshmerga situé à un poste de contrôle à Tuz Khurmatu. Photo Pierre-Yves Baillet

Il faut lire l'actualité entre les lignes pour s'apercevoir que le conflit régnant au nord de l'Irak n'est pas bipolaire. De nombreuses communautés – kurde, yazidi, arabe, chrétienne, turkmène, chiite, sunnite – cohabitent dans cette région. Mais la frontière mouvante qui sépare le Kurdistan irakien du reste du pays est encline à un embrasement des liens intercommunautaires. En effet, certaines tensions voient le jour, d'autres refont surface. Et pour cause, aucune entente politique postérieure à la libération des territoires occupés par Daech (acronyme arabe de l'État islamique, EI) n'a été trouvée ni même évoquée. La région est en roue libre.

Des heurts sont survenus le 24 avril dernier entre une milice turkmène chiite et les peshmergas de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) faisant neuf morts dans la ville de Tuz Khormatu, au sud du Kurdistan irakien. Ces milices paramilitaires, diligentées par Bagdad, avaient pour objectif de contrer l'essor de Daech en appuyant l'armée irakienne d'une force supplémentaire. Aujourd'hui, elles se retrouvent à sécuriser les mêmes zones que les Kurdes, de confession sunnites, avec qui elles entretiennent des relations parfois houleuses. « Plus le front avance face à l'État islamique plus la question du contrôle du territoire va se poser », explique Arthur Quesnay chercheur à l'Institut français du proche-orient (Ifpo) à Erbil, ajoutant : « Les tensions s'accroissent depuis sept mois. Tuz est une ville qui a souffert de l'arabisation par Saddam Hussein.

En 2003, les Kurdes ont repris la ville, puis l'armée irakienne, et à nouveau les Kurdes. » Des milliers de réfugiés arabes, chrétiens, musulmans sunnites et chiites ont et continuent à fuir l'État islamique rendant la tâche plus délicate pour les forces armées sur le terrain. D'autant plus que la complexité ne s'arrête pas là. Les réfugiés fuient également les zones libérées. « Les milices chiites sont parfois violentes avec les Arabes sunnites. Ainsi, certaines personnes préfèrent se réfugier en zone kurde dans les camps de Tuz », explique Arthur Quesnais. Ce qui déclenche d'autres conflits.

À Sinjar, plus au nord, la situation est différente, mais les tensions qui y règnent témoignent du même problème : une autorité flottante, laissant libre cours aux manquements et aux dérapages. Depuis la reprise de la ville en novembre dernier, des accrochages ont éclaté entre cette fois les peshmergas et les yazidis. Ces derniers, reprochant aux Kurdes de pactiser avec Daech et de les avoir abandonnés en août 2014, se méfient de leur présence pourtant nécessaire dans la montagne de Sinjar. Le génocide des yazidis perpétré par Daech s'était produit alors que les peshmergas avaient fui dans la nuit sans même tenter de protéger les civils. Aujourd'hui les yazidis se tournent de plus en plus vers Bagdad pour assurer leur autonomie face au Parti démocratique du Kurdistan (PDK).


(Lire aussi : Le Kurdistan irakien, région kurde la plus autonome)

 

Une rivalité entre les Kurdes et au sein même des communautés
Malgré une lutte commune contre l'État islamique, les différentes forces armées kurdes en Irak mènent entre elles une guerre d'influence. Dans la région de Sinjar, les peshmergas du PDK emmenés par leur leader Massoud Barzani souhaitent étendre leur frontière et ainsi assoir et assurer leur indépendance vis-à-vis de Bagdad. D'autre part le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), considéré comme une organisation terroriste aux yeux de la communauté internationale, espère instaurer une base arrière de sa lutte pour l'indépendance de la région kurde en Turquie. Les deux groupes armés, aux idéologies diamétralement opposées, communiquent certes lors des offensives menées contre Daech. Mais la tension quant à la présence du PKK au Kurdistan irakien se manifeste régulièrement. Lors de la libération de Sinjar, par exemple, l'enrôlement des yazidis au sein des YBS, branche yazidie entraînée par le PKK, était vu d'un très mauvais œil par les hommes du PDK.

À Tuz à nouveau, dans la province de Salahuddin, des salafistes kurdes s'opposent aux forces de l'UPK. Les territoires sont également disputés entre les groupes locaux d'une même communauté. « Plusieurs milices chiites coexistent. Elles constituent à peu près 3 000 hommes », souligne Arthur Quesnay. Deux d'entre elles, Asaïb Ahl al-Haq et les Brigades de Badr, se défient régulièrement. L'affaiblissement du pouvoir central à Bagdad a contraint les forces irakiennes à reléguer une partie de leur autorité à des milices locales qui, au fur et à mesure que l'État islamique recule, règlent leur compte et se disputent les territoires libérés. Ces milices sont aujourd'hui en arme et « les foyers de tension sont de plus en plus nombreux. Un risque de guerre civile se dessine ».

(Lire aussi : Dans "Peshmerga", BHL montre "la vraie ligne de front contre le terrorisme")

 

Entre Bagdad et Erbil des accords difficiles
Un éclatement des affrontements du Nord-Irak en une kyrielle de « guerres civiles » inquiète Erbil et le gouvernement irakien qui tentent d'édulcorer des conflits déjà bien entamés. À Suleymania (le fief de l'UPK) et à Bagdad on essaie de calmer le jeu. Même si aucune force mixte n'est mise en place, la police irakienne est présente dans les rues de Tuz, par exemple, témoigne le chercheur. Pourtant la méfiance qui règne entre les deux camps ne laisse pas profiler d'accords concrets, bien au contraire.

Les enjeux du pétrole et des frontières du Kurdistan irakien compliquent le conflit sur le terrain. À Kirkouk, par exemple, et dans la plaine de Ninive, région où les réserves de pétrole foisonnent, les Kurdes ont regagné du terrain sur l'État Islamique, mordant aujourd'hui bien au-delà des frontières initiales du Kurdistan. Les forces irakiennes, dépassées par l'essor de Daech depuis 2011, ont quant à elles perdu une grande partie du territoire, que les Kurdes revendiquent aujourd'hui comme leur appartenant. Grâce à cette acquisition peu fortuite, le Kurdistan augmente ses recettes venant de l'or noir et assure d'avantage son autonomie énergétique vis-à-vis de Bagdad.

Alors que certains reprochent aux Kurdes d'étendre leur frontière, d'autres s'inquiètent de la proximité entre les villages peuplés de communautés minoritaires et l'État Islamique. C'est le cas de Tellskof et Bakofa, deux villages chrétiens, où Daech a fait incursion le 3mai. Mais, une fois de plus, la sûreté pour les uns est un affront pour les autres.

 

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