Jeudi soir, en plein discours à l'occasion de la Journée du « blessé de la résistance », les larmes de Hassan Nasrallah ont surpris son public. Évoquant la loyauté de Abou Fadl al-Abbas, handicapé et blessé de guerre, à l'égard de son demi-frère l'imam Hussein, le secrétaire général du Hezbollah a eu un moment de grande émotion qui l'a obligé à garder le silence pendant quelques instants, le temps de se ressaisir. Avait-il déjà appris la nouvelle de la mort du chef militaire de son parti, Moustapha Badreddine, dans une explosion près de l'aéroport de Damas, ou a-t-il pleuré à cause de l'évocation des souffrances de l'imam Hussein et de ses compagnons ?
Toujours est-il que l'annonce de la mort de Badreddine a été officialisée à l'aube d'hier, même si les circonstances n'ont pas encore été éclaircies. Dans un communiqué officiel, le Hezbollah a annoncé qu'il menait une enquête pour déterminer l'origine de l'explosion qui a coûté la vie à Badreddine et à ses compagnons. Comme d'habitude, tout ce qui touche au Hezbollah fait aussitôt l'objet d'une polémique et d'une controverse, sachant que Moustapha Badreddine, qui est aussi le beau-frère de Imad Moghnié, avec lequel il collaborait étroitement, était considéré en pratique comme celui qui a pris le relais après la mort de ce dernier dans une opération sophistiquée près de Damas en février 2008. Pour le Hezbollah, ce serait donc à cause de son rôle fondamental dans la structure militaire du parti que le nom de Moustapha Badreddine a figuré dans la liste des assassins présumés de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, établie par le Tribunal spécial pour le Liban.
S'il ne cache pas que la perte est dure, le Hezbollah affirme toutefois que cette mort était prévue et prévisible, comme celle de tous les cadres de ce parti, recherchés par de nombreux services de sécurité, avec à leur tête le Mossad. Il a aussitôt repris une phrase qu'aurait prononcée Moustapha (sayyed Zoulfikar), dans laquelle il aurait annoncé qu'il ne compte rentrer au Liban que « portant l'étendard de la victoire ou en martyr », pour en faire son épitaphe.
Les partisans du Hezbollah ont participé par milliers aux obsèques de Moustapha Badreddine, dans la banlieue sud de Beyrouth.
Au-delà de la portée militaire et politique de cet événement et de ses conséquences éventuelles, il confirme en tout cas les arguments développés par Hassan Nasrallah, dans son discours de jeudi, sur le fait que son parti ne veut pas de problèmes à l'intérieur du Liban, sachant qu'il se consacre à « la vraie guerre contre le terrorisme qui se déroule en Syrie ». Pour cette raison, il a choisi de mener les élections municipales selon deux principes : dans les régions dont la population est à majorité chiite, il a décidé de s'impliquer directement dans la bataille, avec des listes qu'il parraine officiellement. Par contre, dans les régions à population mixte, il a choisi de respecter ses alliances traditionnelles, sans chercher à heurter les autres composantes du pays, en particulier le courant du Futur, pour ne pas jeter de l'huile sur le feu de la discorde communautaire. C'est ainsi qu'il s'est tenu à l'écart de la bataille municipale à Beyrouth, qu'il n'a pas de candidat dans la bataille municipale à Saïda, même s'il appuie la liste d'Oussama Saad et qu'il a réparti ses voix entre ses alliés à Zahlé.
Pour la première fois depuis 1994, lorsqu'il a décidé de s'impliquer dans la vie politique libanaise, suscitant d'ailleurs une scission de la part de l'ancien secrétaire général, le cheikh Sobhi Toufayli, qui estimait à l'époque que ce parti devait rester en dehors de la vie politique libanaise, le Hezbollah a donc décidé de mener ouvertement la bataille des municipales au Liban-Sud, dans la Békaa et dans la banlieue sud de Beyrouth. Le pari n'est pas évident, sachant que si la grande majorité des chiites appuient la résistance du Hezbollah, son implication dans la vie quotidienne pourrait ne pas être bien accueillie. Les résultats des élections municipales à Baalbeck-Hermel montrent toutefois que les listes du tandem Hezbollah-Amal ont été victorieuses dans des pourcentages différents. À Baalbeck, par exemple, la liste conjointe a obtenu 54 % des suffrages exprimés et, à Brital, elle a obtenu un pourcentage plus élevé, sachant que le cheikh Sobhi Toufayli avait trois candidats dans la course. En gros, les résultats sont donc satisfaisants et pour sa première implication dans la vie quotidienne de ses partisans, le Hezbollah peut estimer qu'il a remporté une première victoire.
Dans le Mont-Liban, pour éviter les problèmes, il a choisi de former des listes conjointes avec Amal et le CPL, pour le Sud, il s'apprête à nouer l'éventail le plus large d'alliances avec toutefois les partis qui partagent ses options stratégiques. Il n'est pas question pour lui de s'enliser dans des puzzles politiques complexes et parfois incohérents, sa ligne directrice étant de renforcer sa présence dans les régions dont la majorité de la population est chiite, sans pour autant prendre le risque d'une confusion qui remettrait en cause ses grandes options dans la résistance contre Israël et la guerre contre les jihadistes. Conscient qu'il fait désormais face à une tentative d'encerclement et d'étouffement sans précédent, le Hezbollah a choisi de riposter en resserrant les rangs internes. Dans ce sens, l'assassinat de Moustapha Badreddine contribue à susciter chez la communauté chiite un élan de sympathie envers le parti. Mais la confrontation qu'il mène est longue...
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DES DIVAGATIONS ET RIEN D,AUTRE...
LA LIBRE EXPRESSION
20 h 08, le 15 mai 2016