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Liban - municipales

À Baalbeck-Hermel, l’art d’imposer des victoires

Photo Wissam Ismaïl

L'opération de décompte des votes à Baalbeck-Hermel est symptomatique du simulacre libanais de démocratie, mais avec un trait aggravant : l'ombre pesante des armes du Hezbollah sur les électeurs.
Dans le caza de Hermel, le village de Kasr a été le terrain jusqu'à l'aube d'hier d'une série de manœuvres qui auraient conduit à la défaite officielle de la liste présidée par Ali Zeaïter – dont la victoire était pourtant pressentie – face à celle du Hezbollah.

M. Zeaïter, cardiologue populaire dans le caza et ancien président du conseil municipal de Kasr (de 1998 à 2001), relate à L'Orient-Le Jour le périple de ses délégués dans l'un des douze bureaux de vote de Kasr. Alors que le décompte s'était déroulé « de 23h30 à minuit 30 » dans dix bureaux du village, « il s'est poursuivi dans les deux bureaux restants jusqu'à 5 heures du matin », explique-t-il. L'un de ces bureaux est établi dans l'école secondaire Saadat al-Maa : isolée, située à la périphérie ouest du village, à un kilomètre de la voie publique, « difficile d'accès pour les renforts de l'unité militaire déployée sur place », elle a été le terrain propice à un exercice d'intimidation morale et physique du Hezbollah contre les deux délégués de la liste opposée.

Les délégués du Hezbollah étaient une dizaine dès une heure du matin : ceux qui avaient achevé leur décompte dans les autres bureaux du village sont restés mobilisés pour se joindre à leurs collègues encore à l'œuvre, « alors que les observateurs neutres n'étaient plus là ». « Le nombre grandissant des scrutateurs du Hezbollah a intimidé moralement le responsable du bureau de vote, et facilité surtout l'expulsion par la force de l'un de mes délégués, à coups de chaises. Même l'agent des Forces de sécurité présent devant le bureau s'est fait attaquer. Lorsque le soldat et le délégué se sont rués vers l'officier des FSI présent dans la cour de l'école, ce dernier a contacté au téléphone le général chargé de coordonner les opérations dans le caza, qui lui a donné l'ordre explicite de laisser faire les délégués du Hezbollah », explique M. Zeaïter. Lorsque le délégué « apeuré » s'est résigné à retourner au bureau de vote, « accompagné par un agent des services secrets de l'armée », cet officier des FSI lui a lancé : « Vous n'avez plus rien à faire ici. Le travail est fini. » Il était quatre heures du matin. Le rapport était achevé.

Pendant le décompte, le second délégué de M. Zeaïter resté dans le bureau était « comme paralysé, en proie aux parasitages – émanant des délégués mais aussi d'agents de l'ordre ». Notons qu'en vertu de la loi, aucun agent de l'ordre n'assiste aux décomptes, qui relèvent du ressort du ministère de la Justice, comme l'a rappelé dans un communiqué le ministère de l'Intérieur. Le portable du délégué resté sur place avait été confisqué par les représentants du Hezbollah « sous prétexte de le recharger », alors que ces derniers coordonnaient le décompte avec « une cellule extérieure du parti, qui inclut il me semble le général ayant donné l'ordre de les laisser faire ». Leur méthode serait la suivante : mettre en commun les résultats finaux des dix bureaux de vote et majorer conséquemment les résultats des deux bureaux restants, « en évitant toutefois les écarts flagrants ».


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En outre, un subterfuge a été imposé lors des décomptes au niveau de l'ensemble des bureaux : « En cas de divergence entre les résultats annotés par les délégués de camps opposés, au lieu de la réédition du décompte, ce sont les résultats annotés par le chef du bureau qui sont retenus. Ce qui a conduit à des grignotages d'une dizaine de voix par bureau à notre défaveur, qui ont fini par se cumuler », explique-t-il. Il évoque d'autres « astuces » de la part des représentantes (déléguées) du Hezbollah, comme « celle de balancer leur voile intégral de manière à faire tomber exprès des enveloppes de vote ».

Alors qu'il pensait avoir « 67 voix d'avance sur ses rivaux », M. Zeaïter a fini par essuyer une « défaite de près de cent voix ». Un résultat que le Hezbollah aurait forcé sans devoir recourir à un plan plus violent, qu'il avait semble-t-il prévu alternativement : « Autour des deux bureaux restés actifs jusqu'à cinq heures du matin, 25 véhicules du parti étaient garés, avec des éléments armés, en stand by », explique le candidat. Il rapporte que le village a été réveillé à deux reprises par des « salves assourdissantes de tirs en l'air : la première à une heure du matin, la seconde à quatre heures ». Plus tôt, pendant la journée électorale, le Hezbollah avait « provoqué une altercation qui avait failli suspendre le scrutin », le moyen le plus rapide d'éviter une défaite.


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La « victoire » du cheikh Kassem
Dans la ville de Hermel, le parti a fait face à une liste relevant de l'association civile « Ensemble pour le Hermel », formée d'activistes qui dénoncent « la corruption » du conseil municipal. Certains sont des sympathisants du Hezbollah et du Parti syrien national social. Aucun d'eux n'a réussi à percer la liste du Hezbollah, même si les résultats étaient serrés. Une percée a toutefois été enregistrée par Hassan Kabout, un partisan du Hezbollah, qui a mené une campagne isolée, sous le même slogan de lutte contre la corruption. Des habitants du Hermel confient à L'OLJ que sa candidature isolée a résulté de divergences au sein du parti, entre Hussein Moussaoui et le cheikh Mohammad Yazbeck. M. Kabout, relevant du second, avait d'ailleurs publié des communiqués portant des accusations de corruption contre des candidats du Hezbollah. Un notable de la ville, Ihab Hamadé, aurait alors sollicité la médiation du secrétaire général adjoint du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, lui transmettant les plaintes des habitants contre la corruption du conseil municipal. Ces sollicitations seraient restées sans suite. Mais plus d'un sympathisant de la liste « Ensemble pour le Hermel » soupçonne que la candidature de M. Kabout a servi à « simuler une percée réformiste et démocratique » au sein de la municipalité, de connivence avec le Hezbollah.

Lors d'une conférence de presse hier, et avant donc l'annonce officielle des résultats, le cheikh Kassem a déclaré « la victoire du Hezbollah au niveau de toutes les municipalités auxquelles il s'est porté candidat dans la mohafazat, soit 80 de 143. Même si dans près de six villes et villages il y a eu une percée d'une ou deux personnes, nous considérons que cette percée a été faite par des proches à nous. Le résultat est le même : la municipalité est parrainée par le Hezbollah, Amal et les forces qui ont coopéré avec nous ». Il a relevé qu'« aucun incident sécuritaire significatif n'a eu lieu, en dépit de courses serrées dans certains cas ». Il a tenu en outre à « remercier le ministère de l'Intérieur et les services sécuritaires et militaires ayant réussi à assurer une atmosphère adéquate dans l'intérêt des élections ».

Il a déclaré enfin une « victoire intégrale à Baalbeck et à Brital, où l'enjeu de la bataille est politique ».

(Lire aussi : Ils votent pour le changement, pour les grandes familles, ou sans illusion : paroles d'électeurs, de Beyrouth à Zahlé)

 

« Silence radio »
Prise sous l'angle politique, la victoire du Hezbollah n'est que numérique. L'écart est faible entre les deux listes du Hezbollah et de « Baalbeck ma ville » (seulement 700 voix entre le dernier sur la liste du parti chiite et le premier sur la liste de Ghaleb Yaghi – ce dernier a été troisième de liste). Dans la nuit de dimanche à lundi, dans la foulée des décomptes, certains habitants avaient pourtant prévu trois percées possibles par la liste de M. Yaghi. Plus significatif que les résultats, le taux de boycottage du scrutin par les chiites de la ville, précisément dans deux principaux quartiers chiites : al-Reech al-Charqi (7 760 électeurs chiites) et al-Reech al-Gharbi (près de 6 000 électeurs chiites). Un habitant rapporte notamment le boycottage par les familles Mortada, Awada et al-Awta, qui comptent respectivement 600 à 700 voix.

À L'OLJ, Ghaleb Yaghi se dit satisfait du scrutin, qui « prouve que le mécontentement des habitants est réel ». Comme l'est l'embarras du Hezbollah dans le montage de sa victoire. Des habitants décrivent à L'OLJ l'anomalie de la procédure de décompte des votes à Baalbeck : les coupures d'électricité dans les bureaux de vote établis dans certains quartiers sunnites (le taux de participation des sunnites était de 5 171 sur 8 900 –une affluence plus importante qu'en 2010) ; le transport de certaines urnes directement des bureaux de vote au Palais de justice, sans passer par le Sérail ; le retrait d'un juge refusant de valider les rapports soumis par les bureaux de vote après le décompte, et qui a fini par être remplacé par un suppléant seulement aux premières heures de l'aube... « J'ai tenté en vain de contacter le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur, dont l'associé m'a renvoyé à la hotline du ministère », déplore Ghaleb Yaghi à L'OLJ.

Un silence radio qui sera aussi celui des partisans du Hezbollah, hier à Baalbeck. « Les célébrations de la victoire n'ont presque pas eu lieu », rapporte un habitant. Qui pointe aussi du doigt « la passivité suspecte du courant du Futur ».

 

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commentaires (11)

Tant que le cancer Hezbollahi est present, le Liban est voue a une mort lente et penible. Le Liban est aujourd'hui sous perfusion et la sois-disant democratie n'en est pas une.

IMB a SPO

18 h 36, le 10 mai 2016

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Commentaires (11)

  • Tant que le cancer Hezbollahi est present, le Liban est voue a une mort lente et penible. Le Liban est aujourd'hui sous perfusion et la sois-disant democratie n'en est pas une.

    IMB a SPO

    18 h 36, le 10 mai 2016

  • Pauvre Liban rongé par ce cancer.

    Achkar Carlos

    15 h 52, le 10 mai 2016

  • Rien a dire, c'est du dernier chic, tendance de l'été???

    Christine KHALIL

    13 h 55, le 10 mai 2016

  • LA... LES MOUTONS SONT NANTIS D,OEILLERES HIZBIQUES A LA MODE DES ROSSIGNOLS D,ARCADIE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 34, le 10 mai 2016

  • Vermoulu.... jusqu'à L'OS !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 43, le 10 mai 2016

  • L'art d'être subjectif et incohérent ! Publiez moi svp , je parle du hezb résistant qu'on déclare en mort clinique depuis 82 , sous embargo sanctions et attaques systématiques de terroriste par les démocraties du golfe . Oseriez vous le faire cette fois ci ?

    FRIK-A-FRAK

    11 h 13, le 10 mai 2016

  • Si vermoulu, ce héZébbb, que les rats eux-mêmes auraient quitté d'instinct !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 09, le 10 mai 2016

  • Ces "dames" en noir avec des foulards jaunes sur les épaules...savent-elles toutes lire et combien ont-elles touché d'argent pour se montrer ainsi ??? HEZBOLLAH, VOUS DEVRIEZ AVOIR HONTE DE CE QUE VOUS FAITES AU LIBAN !!! Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 56, le 10 mai 2016

  • Il n' y a vraiment pas de quoi s'affoler , puisqu'on arrête pas de nous dire que le hezb résistant est en déclin , défaite totale , sous sanctions embargos et avec un titre de "terroriste" par les démocraties du golfe !!! Faut pas s'inquiéter de " ses victoires électorales " et encore moins de ses victoires militaires partout où il s'impose donc . Bon , je vais maintenant lire ce que Scarlett va écrire , et sans plus attendre de perdre mon temps avec des inepties de ce genre .

    FRIK-A-FRAK

    10 h 54, le 10 mai 2016

  • "...laisser faire les délégués du Hezbollah..." Voilà ce ui nous attend, voilà l'avenir de notre pays : sous la botte des ayatollahs payés par l'Iran. Je ne crierais jamais assez que le Hezbollah est le cancer du Liban

    FAKHOURI

    10 h 26, le 10 mai 2016

  • Un avant-goût de ce qui nous attend pour les legislatives. Le gout amer de la défaite semble apeurer le parti de Dieu et ses sbires......

    Tabet Karim

    09 h 22, le 10 mai 2016

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