Il y a d'abord un chiffre. Le chiffre de la honte. 20,14 % – un taux de participation pratiquement égal à celui des dernières municipales. Que les Beyrouthins se torchent de leur ville est une chose, c'est finalement leur décision ; mais tout autre est cet oubli criminel pour lequel ils devront un jour rendre compte. Parce qu'ils ont carrément oublié qu'ils avaient à s'exprimer au nom des centaines de milliers de Libanais qui y vivent, oublié aussi, surtout, que c'est de la capitale de leur pays qu'il s'agit. C'est-à-dire de l'ex-phare, de l'ex-vitrine, de l'ex-star du monde arabo-musulman en général, du Proche-Orient en particulier. Dubaï et la moitié d'Istanbul ricanent. Même Le Caire sourit.
Il y a ensuite une évidence. Un establishment politique, aussi dégénéré soit-il (au Liban, il a atteint des abysses insensées...), ne peut en aucun cas être dynamité, quels que soient les enjeux d'un scrutin. Aucun pays, aucune région, aucune ville au monde ne sont gérés par des membres, aussi brillants soient-ils, de la société civile – ce concept-Babel, attendrissant et prometteur comme jamais, mais totalement désincarné et atrocement nu et désarmé. Ce que Beyrouth Madinati a fait à ce niveau est fondamental : quels que soient les chiffres, la graine, celle qui va grandement contribuer à l'incontournable changement des mentalités, est semée. Le temps de la récolte est loin encore, mais dieux qu'elle sera belle, cette moisson sur 10 452 km2, une fois que le temps et le travail acharné en auront fait leur affaire.
Il y a également un constat. Corollaire. La déchéance au Liban du politique, de la politique et de leur exercice est hallucinée et hallucinante. L'équation est simple à en crever : si n'importe quel membre des 24 de Beyrouth Madinati décidait demain d'intégrer n'importe quel parti politique pour faire en sorte que ses idées se concrétisent rapidement et efficacement, il ou elle serait immédiatement conspué(e), affreusement insulté(e) et traité(e) d'immonde vendu(e) par ceux-là mêmes qui l'ont porté(e) aux nues et noyé(e) sous les roses pendant toute la campagne électorale. Et comment blâmer ces Libanais, cette élite, pauvre ou riche, peu importe, mais éduquée, cultivée et capable de penser sainement et librement ? Comment la blâmer, alors que la confiance dans les partis politiques est bien en dessous, désormais, du degré zéro? Sauf que c'est exactement là qu'il faut travailler, et l'œuvre est herculéenne.
Il y a enfin, et justement, une urgence. Cette résurrection de l'establishment politique ne peut se réaliser que grâce à la société civile. Que grâce, en l'occurrence, à Beyrouth Madinati. Les 24 et tous ceux de l'ombre ont prouvé qu'ils avaient beaucoup, beaucoup de remèdes, d'antidotes et d'antivirus en leur possession. À tous les partis politiques désormais, à Saad Hariri, Samir Geagea, Walid Joumblatt, Nabih Berry, Hassan Nasrallah, Samy Gemayel, Gebran Bassil et surtout Michel Pharaon, parce qu'il n'appartient à aucun parti, de faire le premier pas. De reconnaître le tsunami, toujours quels que soient les chiffres, généré par Beyrouth Madinati auprès de l'élite intellectuelle de cette ville, pauvres et riches encore une fois réunis. De s'asseoir avec Beyrouth Madinati. De les écouter. De les entendre. Et de les impliquer, d'une façon ou d'une autre, dans la gestion de Beyrouth – donc, quelque part, du pays.
P-S 1 : les 24 membres du conseil municipal de Beyrouth sont tous nouvellement élus. Éthiquement, honnêtement, moralement, une période de cent jours doit leur être accordée avant qu'ils ne soient jugés. Même si leurs affiliations partisanes n'ont rien de rassurant.
P-S 2 : les infractions relevées au cours de ce scrutin 2016 sont en hausse de 80 % par rapport à 2010, selon la Lade. Et surtout à Beyrouth. Les Libanais attendent des ministres de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, et de la Justice p.i., Alice Chaptini, et, éventuellement, du Conseil d'État, une sévérité exemplaire.
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LA GRAINE POURRIE EST LOGEE DANS LES BOITES CRANIENNES VIDES...
LA LIBRE EXPRESSION
14 h 13, le 09 mai 2016