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Liban - Municipales

À Baalbeck-Hermel, « ceux qui ont les armes n’ont pas les votes »

Les électeurs attendaient en file pour pouvoir voter.

Relater le déroulement des élections municipales à Baalbeck-Hermel c'est comme embobiner un film de Nanni Moretti, où se succèdent des foules catéchisées.

Sur l'autoroute de la Békaa-Est, menant vers la ville de Baalbeck, des scènes monochromes se répètent : plusieurs dizaines de drapeaux jaunes, grands ou moyens du Hezbollah envahissent les entrées des villages. À Brital, des portraits géants de Hassan Nasrallah hissés sur des véhicules semblent avaler une image isolée de son prédécesseur, Sobhi Toufayli.

Des 4x4 aux baffles amplifiés diffusent en boucle un hymne du parti, avec ce refrain : « Résiste par ta voix. » Des passages de discours de Hassan Nasrallah retentissent ponctuellement. Sur des affiches, une même référence à l'engagement armé du Hezbollah : « Ta voix est le gage de confiance des martyrs. »
À Douris, village mixte à majorité maronite, l'élaboration d'une liste consensuelle entre les familles chrétiennes, sunnites et le Hezbollah n'a pas empêché la parade des drapeaux jaunes à l'entrée du bureau de vote. La camionnette diffusant des chants du parti serait l'initiative isolée d'un habitant zélé, dit-on. Ce qui n'empêche pas une habitante de déplorer « la fanfare dont on aurait pu se passer. Pourquoi doivent-ils toujours faire acte de présence ? ». Quatre candidats chiites sont en lice face à la liste consensuelle.

(Lire aussi : Ils votent pour le changement, pour les grandes familles, ou sans illusion : paroles d'électeurs, de Beyrouth à Zahlé)

Pour un représentant du mouvement Amal à Baalbeck-Hermel, « c'est la démocratie qui s'exprimera aujourd'hui (hier). Une démocratie qui ne comporte pas plus de vices ici qu'ailleurs au Liban ». Une « démocratie » dont il se dit en tout cas capable de prévoir le résultat à l'avance. « Dites-moi ce que vous voulez savoir ? Nos listes vont-elles gagner intégralement ? Je peux vous assurer que ce sera oui », dit-il à L'Orient-Le Jour. Interrogé sur la solidité de l'accord Amal-Hezbollah, qui a parfois été sacrifié au profit de listes consensuelles parrainées par le Hezbollah, il répond : « Tout va s'autoréguler, vous verrez. » Ce sera aussi le cas de Brital, où le Hezbollah a pour la première fois sa propre liste face au président sortant du conseil municipal, relevant de cheikh Sobhi Toufayli, proche d'Amal et valorisé par plus d'un habitant. L'enjeu de cette bataille est-il d'achever ce qui reste de l'influence de cheikh Toufayli ? Il répond : « L'on ne peut achever ce qui n'existe plus. »

La quiétude matinale qui pèse sur les rues de Baalbeck porte elle aussi le présage d'une victoire montée par le Hezbollah. De nombreux commerces sont fermés (ce qui n'est pas de coutume dans cette ville où le jour chômé est vendredi). « Les propriétaires sont payés par le Hezbollah pour fermer boutique : une façon de dire que les électeurs qui n'habitent pas la ville ne sont pas les bienvenus », explique un habitant à L'OLJ. La liste indépendante « Baalbeck madinati » ( « Baalbeck ma ville » ), présidée par Ghaleb Yaghi, qui fait face à la liste du Hezbollah, n'a ni la logistique ni le financement minimal pour mobiliser ses sympathisants. « Il n'y a pas suffisamment de listes imprimées (à insérer dans les bulletins de vote). Les électeurs qui souhaitent voter en notre faveur nous demandent quels sont les noms de nos 20 candidats. Il n'y a même pas suffisamment de délégués de la liste pour accompagner les électeurs », explique à L'OLJ un habitant qui soutient la liste de M. Yaghi.
Il pointe du doigt un candidat du Hezbollah se prélassant devant un kiosque à café. « Ils sont à l'aise », dit-il, avec sarcasme.

(Lire aussi : Les municipales, comment ça marche ? Un guide pratique pour tout comprendre)

Depuis 2004, la ville de Baalbeck (27 000 électeurs : 18 000 chiites, 9 000 sunnites et 1 700 catholiques) élit un conseil municipal formé de treize chiites (au lieu de onze en 1998), sept sunnites (au lieu de huit) et un catholique. Le membre maronite n'en fait plus partie. Cette nouvelle configuration des sièges avait été confectionnée par le Hezbollah et mise en œuvre grâce à Bachar el-Assad. Rompant avec la méthode de son père à l'égard du parti chiite, il « tendait non plus à dompter son influence, mais à le prendre en allié », rapportent deux habitants sunnite et chiite de Baalbeck. En 1998, alors que le parti Baas et tous les autres partis de la ville étaient alliés à Ghaleb Yaghi (sorti victorieux du scrutin) face à un Hezbollah isolé, le scrutin de 2004 a inversé la donne.

Masquer le boycottage

Cette année, les alliances politiques sont inchangées, mais un mécontentement au sein des familles, toutes confessions confondues, se fait sentir. L'insécurité en est l'une des raisons : la présence des Jaafar (originaires de Dar el-Wassaa) et leur criminalité est une épée de Damoclès que le Hezbollah maintient sur la tête des habitants. « Nous les avons alimentés en électricité, et il me semble que cela a suffi à les calmer à moitié », affirme à L'OLJ Firas Jammal, candidat sur la liste du Hezbollah, feignant de prendre l'entretien au sérieux.

C'est en milieu de journée que le Hezbollah avait mobilisé ses électeurs et ses convois dans tout Baalbeck-Hermel. À Baalbeck, l'un des enjeux non déclarés est de masquer le boycottage du scrutin cette année par certaines familles comme la famille Mortada, qui compte 600 votants, basés à Beyrouth. De fait, le taux de participation à Baalbeck est passé en deux heures de près de 20 % à 56 %. Vers 18 heures, les rues centrales de la ville sont congestionnées. Deux 4x4 fumés s'arrêtent net devant l'école complémentaire de Baalbeck I, servant de bureau de vote. Souriant et détendu, le ministre Ali Hassan Khalil descend de l'un des véhicules et emprunte la forte pente qui mène vers l'école. L'on apprendra ensuite que sa présence a servi à calmer une altercation qui a failli dégénérer entre des sympathisants du parti.

(Voir aussi : Municipales 2016 : le scrutin à Beyrouth et dans la Békaa, en images)

Autour du bureau de vote, de nombreux adolescents, enfants et femmes, revêtus d'habits de fête délavés, sont unis dans une sorte d'attente juvénile. Le sourire de Fadwa, femme d'une quarantaine d'années, fige son visage dans une sorte de stupeur. « Grâce à Dieu tout va bien... de beaux jours nous attendent. On ne se plaint de rien. Le nouveau conseil municipal sera encore mieux que le précédent. » Près d'elle, une femme âgée entièrement voilée et soutenue par ses proches tente tant bien que mal de remonter la pente raide, de percer la foule de T-shirts et casquettes verts ou jaunes, portant le nom de la liste du « Développement et de la résistance ». Dans cette foule qui berce dans une liesse artificielle, forcée, répliquée à l'identique dans tous les regards, certains détails se glissent, un rappel à la réalité – du moins pour le visiteur : il y a la vue d'un homme en civil, mitraillette sous le bras, faire son entrée en toute aisance dans le bureau de vote sous le nez des agents de l'ordre et des inspecteurs de la LADE, à une heure du décompte des votes. Il y a aussi la vue inattendue d'un homme résigné, frêle, une casquette grise sur la tête, portant l'insigne « Baalbeck ma ville » : Mohammad Ballouk, candidat sur la liste indépendante, confie calmement à L'OLJ que « la bataille n'est pas difficile. Ils n'ont pas de votes. Mais ils font leur entrée avec des armes ». Il est rejoint par sa femme, leur fille et leur nièce, déterminées à « entrer voir ce qui se passe ».

En soirée, lors du décompte des votes, des rumeurs couraient sur une possible percée de la liste du Hezbollah par trois candidats indépendants. Jusqu'à 2 heures du matin, les résultats de Baalbeck n'avaient toujours pas été annoncés. Contactés par L'OLJ, des habitants ont rapporté que les juges devant délibérer des rapports des délégués et annoncé les résultats, après en avoir informé le ministre de l'Intérieur, étaient toujours réunis dans le bureau du mohafez, dans le sérail de Baalbeck. « Il est tard. Les juges sont seuls. Cette fois, ils ont affaire à l'homme à la mitraillette sans la foule... »
À Hermel, à plus d'une heure de Baalbeck, le rassemblement civil « Ensemble pour le Hermel » ne parie pas sur le résultat du scrutin, mais sur « l'humanisation des habitants », selon Zeinab Chamas qui préside la liste du rassemblement. « Il est temps que les habitants comprennent qu'un vote libre, fût-il dérogatoire à la volonté du Hezbollah, n'est pas une atteinte à la personne de Hassan Nasrallah. Et encore moins à la résistance. »


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commentaires (4)

Le grand tort qu'on se fait c'est de croire non pas que le hezb résistant est mort et enterré , mais de croire que les choses peuvent se passer à la façon " occidentale" . Il faudra enlever de sa tête que démocratie et occident c'est pléonasme , y en a marre de singer les occidentaux en décadence roue libre , il faut démystifier tout ça , nous avons nos valeurs , nos façon de faire , de voir les choses , elles ne sont pas forcément ni bonnes ni pire qu'ailleurs , mais elles existent , et cet article n'en tient nullement compte , donc il passe à côté du sujet , qui ne peut pas être les élections , mais nos élections , notre démocratie et nos valeurs bien à nous . Le hezb est la référence pour toute une population , vouloir le combattre par des moyens qu'on a pas , c'est le pousser à résister encore plus fort dans l'adversité , et au diable les dérisions et moqueries qui n'ont jamais pu gagner une bataille ...

FRIK-A-FRAK

14 h 45, le 09 mai 2016

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Commentaires (4)

  • Le grand tort qu'on se fait c'est de croire non pas que le hezb résistant est mort et enterré , mais de croire que les choses peuvent se passer à la façon " occidentale" . Il faudra enlever de sa tête que démocratie et occident c'est pléonasme , y en a marre de singer les occidentaux en décadence roue libre , il faut démystifier tout ça , nous avons nos valeurs , nos façon de faire , de voir les choses , elles ne sont pas forcément ni bonnes ni pire qu'ailleurs , mais elles existent , et cet article n'en tient nullement compte , donc il passe à côté du sujet , qui ne peut pas être les élections , mais nos élections , notre démocratie et nos valeurs bien à nous . Le hezb est la référence pour toute une population , vouloir le combattre par des moyens qu'on a pas , c'est le pousser à résister encore plus fort dans l'adversité , et au diable les dérisions et moqueries qui n'ont jamais pu gagner une bataille ...

    FRIK-A-FRAK

    14 h 45, le 09 mai 2016

  • LES PANURGES ARMES MENENT LEURS TROUPEAUX DE MOUTONS MUNIS D,OEUILLERES A LA ROSSIGNOL D,ARCADIE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 22, le 09 mai 2016

  • On s'en fou des occidentaux on VEUT SURTOUT PAS LES IMMITER DNSS LEUR DÉCADENCE !! Seulement Voila comme une société civil peut voir le jour avec de l'autre coter des personnes qui n'ont rien compris et qui sont tjrs une société militaire ?!

    Bery tus

    13 h 08, le 09 mai 2016

  • Scènes du Moyen-âge.... même pas européen !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    05 h 59, le 09 mai 2016

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