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Liban - Coopération

Christina Lassen à « L’OLJ » : L’UE est déçue du nombre restreint de candidates aux municipales

À l'occasion de la Journée de l'Europe, célébrée aujourd'hui lundi 9 mai, la chef de la délégation de l'Union européenne au Liban, l'ambassadrice Christina Lassen, décortique pour « L'Orient-Le Jour » les défis communs que partagent le pays du Cèdre et l'Union européenne. Rencontre.

« Il est difficile de croire en une paix durable en Syrie avec l’actuel leadership en place », a affirmé Christina Lassen.

L'Orient-Le Jour: La Journée de l'Europe, quel sens a-t-elle pour le Liban ?
Christina Lassen : La Journée de l'Europe, célébrée le 9 mai, est une célébration de la déclaration Schuman du 9 mai 1950, considérée comme étant le lancement du processus d'intégration européenne. Pour nous, c'est la célébration de l'unique et plus importante réussite en matière d'intégration à travers le monde, le succès du projet de paix au sein de l'Europe. Nul ne peut désormais envisager une guerre entre les États membres européens.
L'Europe est aussi la région la plus riche du monde. C'est le partenaire commercial le plus important, le plus gros partenaire en matière d'investissement, sur le plan de l'aide humanitaire et de l'assistance au développement. En ce sens, une Europe forte est importante pour le monde, et pour le Liban notamment. Durant ces dernières années, nous avons assisté au rapprochement entre l'Europe et le Liban, parce que nous faisons face aux mêmes défis : le terrorisme, les migrations, le développement économique, la création d'emplois. Notre travail avec le gouvernement vise à définir ensemble nos priorités communes en matière de partenariat.

Quels sont les défis actuels de l'Europe et comment gère-t-elle la crise des réfugiés sur son territoire ?
La crise des migrants est actuellement l'un des plus grands défis mondiaux. Elle sera au cœur du sommet spécial de l'Assemblée générale des Nations unies à New York en septembre prochain. L'Europe et le monde n'ont pas vu venir cette crise avant l'année dernière, et n'étaient pas prêts à la gérer.
Nous réalisons que les États membres de l'Union européenne ont besoin de réponses conjointes au niveau des demandes d'asile, de l'émigration. Nos politiques nationales ont été très différentes à ce sujet, mais nous essayons pour le moment de les harmoniser. Nous tentons d'accorder nos violons et d'envisager le moyen de contenir ces énormes flux de migrants illégaux, tout en identifiant ceux qui ont vraiment droit au droit d'asile, qui fuient les conflits et les persécutions politiques.
Pour parler chiffres, un million de demandeurs d'asile sont arrivés en Europe l'année dernière. Presque 200000 cette année ont illégalement atteint l'Europe par la mer. Cela fait une pression énorme pour des pays qui ne sont pas préparés à gérer une telle crise, comme la Grèce et l'Italie. L'Europe se solidarise donc et s'assure que ces pays qui reçoivent les migrants mettent en place des structures d'accueil et des mécanismes d'asile. Elle tente aussi de mettre en place des polices des mers qui repèrent les embarcations et des mécanismes de lutte contre les réseaux de trafiquants.

Qu'en est-il de l'assistance de l'UE aux réfugiés du Liban?
Le Liban est le pays qui a le plus grand nombre de réfugiés au monde par habitant. Sa façon de gérer cette présence est impressionnante. Mais il fait face à un défi énorme, car il n'était pas préparé à recevoir plus d'un million de réfugiés. Son infrastructure en a terriblement souffert, au niveau du système de santé, de l'éducation, de la distribution d'eau, de l'assainissement...
Depuis 2011, l'UE a décidé d'assister le Liban, non seulement les réfugiés, mais aussi les Libanais, ces communautés hôtes qui ressentent cet impact. Plus de la moitié de notre assistance est ainsi consacrée à des investissements dans les infrastructures locales.
À titre d'exemple, nous aidons le secteur de la santé à développer une stratégie globale de santé publique. Nous investissons dans l'équipement d'hôpitaux publics et encourageons la création de dispensaires publics à travers le pays.
Le secteur de l'éducation est un autre exemple. L'année dernière, les donateurs se sont concentrés sur ce secteur, pour que davantage d'enfants soient scolarisés, en l'occurrence les petits réfugiés et les enfants libanais en situation de décrochage scolaire.
En 2016, l'UE consacrera au Liban un budget 10 fois plus important qu'en temps normal, entre 350 et 450 millions d'euros environ, un investissement qui bénéficiera aux réfugiés, à l'infrastructure et au développement, dans différentes régions.
Cette assistance se situe dans le cadre de l'engagement de l'Europe, lors de la conférence de Londres, à accorder 3 milliards d'euros pour la région (Turquie, Irak, Jordanie, Liban) pour les années 2016 et 2017. De cette somme, 1 milliard sera accordé au Liban et à la Jordanie.

L'Europe accueillera-t-elle davantage de réfugiés ?
Nous n'avons plus le choix. Nous recevons davantage de réfugiés tous les jours. Nous avons mis en place un nouvel accord avec la Turquie en mars dernier. Pour briser les réseaux illégaux de trafic humain, nous renvoyons en Turquie chaque personne qui arrive illégalement en Europe à partir de ce pays, et prenons à sa place un réfugié syrien d'un camp. Par ce processus, nous envoyons un message clair à ceux qui vivent dans des conditions difficiles, dans des camps de réfugiés : il est inutile d'emprunter de l'argent et de payer des passeurs pour atteindre l'Europe illégalement. Des réfugiés sont de plus relocalisés dans des pays d'accueil en Europe. Ces chiffres peuvent paraître dérisoires, vu les flux énormes.

Comment qualifiez-vous la collaboration entre l'UE et les autorités libanaises au vu de la crise politique ?
Très bonne. Vu les circonstances, les citoyens libanais et les autorités ont fait un travail remarquable. La crise politique au Liban fait qu'il est très difficile pour le gouvernement de prendre des décisions et de mener des actions. Mais il reste possible de travailler avec les ministères et les municipalités. Nous nous assurons que les projets d'assistance que nous soutenons sont bien réalisés. En revanche, et ce n'est un secret pour personne, nous appelons depuis deux ans à la mise en place du processus électoral et à l'élection d'un président. Nous aimerions voir aussi le Conseil des ministres et le Parlement tirer leur légitimité de nouvelles élections. Ce sont les messages que nous et la communauté internationale adressons continuellement au Liban. Car le Liban a besoin de stabilité, les politiciens libanais eux-mêmes le reconnaissent.

Quel est le rôle de l'UE dans la réactivation des institutions libanaises ?
C'est un rôle particulièrement difficile, car les Libanais n'apprécient pas les ingérences étrangères. C'est aux différentes parties libanaises de faire bouger les choses, et aux politiciens d'élire un président. Mais en même temps, nous ne pouvons rester les bras croisés. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir, nous conseillons et montrons l'urgence de la situation, car nous sommes inquiets de l'instabilité du pays à long terme.
Nous avons constaté, lors de la crise des déchets, comment de petites questions liées aux services publics peuvent devenir de graves problèmes, vu l'incapacité du gouvernement à se mettre d'accord.

Que pensez-vous de l'organisation des élections municipales et de la présence féminine dans les listes ?
Nous sommes impressionnés par l'organisation des municipales. Le ministère de l'Intérieur a accompli un énorme travail dans ce sens. Nous aurions toutefois voulu voir une participation féminine plus importante. Nous avions pourtant encouragé les femmes à se présenter aux élections. Elles semblaient enthousiastes. Mais le nombre de candidates est décevant. Lors des précédentes municipales, le Liban a affiché un bien triste record: 6% seulement de représentation féminine au sein des conseils municipaux. Un chiffre excessivement bas, même comparé au Moyen-Orient. Cela ne semble pas devoir s'améliorer cette année. C'est une honte! La moitié de la population ne sera pas représentée et les capacités des femmes resteront inexploitées.

Comment se traduit la coopération Liban/UE dans la lutte contre le terrorisme ?
L'UE salue l'engagement du Liban dans la lutte contre le terrorisme. Elle salue aussi ses efforts pour une meilleure coordination entre les différents services sécuritaires. Nous collaborons ensemble en matière de lutte contre le terrorisme, poussés par une motivation commune, le Liban étant touché par le terrorisme, au même titre que l'Europe. Ses troupes sont aussi aux premières lignes contre Daech et al-Nosra.
Nous encourageons toutefois les autorités à mettre en place une stratégie nationale claire de lutte contre le terrorisme, et à améliorer encore plus la coordination entre les cinq services de sécurité.
Nous lançons dans ce cadre la deuxième phase d'un programme sur la gestion et la protection des frontières. Nous sommes en discussion avec le gouvernement à ce niveau, sur l'expertise que nous pouvons apporter aux autorités et à l'armée libanaise.

Des Libanais craignent que l'Europe ne favorise l'implantation des réfugiés syriens au Liban. Pouvez-vous les rassurer ?
Il n'existe aucun plan d'implantation ou de naturalisation des réfugiés syriens. Il n'y a pas de controverse sur ce point et surtout pas de la part de l'UE. Le but de tout le monde, le Liban, l'Europe et les Syriens eux-mêmes, est que les réfugiés rentrent chez eux après la fin du conflit. Ils sont là de manière temporaire, pour avoir fui la guerre dans leur pays. D'où la nécessité d'une réelle négociation qui mette fin à ce conflit de manière définitive. En revanche, tant que les réfugiés syriens sont au Liban, il faut les traiter dans le respect des conventions internationales. C'est dans l'intérêt de tous et dans l'intérêt du Liban que les enfants soient scolarisés, que les jeunes bénéficient de formations, que les adultes aient une activité, afin qu'ils ne perdent pas leur temps et leur vie. C'est une sorte de préparation à leur retour en Syrie et à la reconstruction de leur pays.

Y a-t-il un dialogue entre l'UE et le Hezbollah ? L'UE envisage-t-elle des sanctions contre le Hezbollah vu l'engagement de ce dernier en Syrie ?
Nous avons des contacts avec le Hezbollah, sans qu'il s'agisse d'un dialogue formel. Mais conformément à la politique de l'UE, nous distinguons depuis 2013 entre la branche armée du Hezbollah et sa branche politique. Nous avons donc des contacts avec les députés élus démocratiquement au Parlement et les ministres, mais pas avec la branche armée du parti. Nous entendons que beaucoup de pays évoquent la même distinction. Par ailleurs, je ne suis pas au courant de sanctions de la part de l'UE contre le Hezbollah.

Que pense l'UE du maintien du président syrien Bachar el-Assad ?
Selon nos observations ces cinq dernières années, il est difficile de croire en une paix durable en Syrie avec l'actuel leadership en place. C'est notre ligne de conduite depuis un certain temps déjà. On ne peut effacer l'histoire. Toutefois, il appartient au peuple syrien de décider qui va diriger le pays et de choisir son président. Ce n'est pas à nous de prendre cette décision ou de donner notre avis sur la question.

Quelle a été l'assistance de l'UE dans la gestion des déchets ?
Nous sommes engagés dans le secteur des déchets depuis une bonne dizaine d'années auprès des autorités libanaises. Depuis la crise syrienne, nous avons même accru notre coopération à ce niveau, la présence des réfugiés ayant amplifié la crise des déchets dans certaines régions. Nous avons lancé en février un programme avec Omsar pour la construction de centres de traitement et de décharges sanitaires dans toutes les régions libanaises. À la fin de ce projet, l'UE aura accordé au Liban 80 millions d'euros pour la gestion des déchets depuis 2004. D'ici à trois ou quatre ans, l'application de ce programme en accord avec les conventions internationales et la convention de Barcelone devra permettre de couvrir environ 45 % des déchets solides du pays, dépendamment de la coopération avec les autorités locales et leur volonté, bien entendu.

À quel point la corruption entrave-t-elle la bonne collaboration entre l'UE et l'État libanais ?
Chacun devrait être conscient des risques de la corruption. C'est un point sur lequel nous concentrons nos efforts lorsque nous développons de nouveaux projets. Nous prenons les mesures nécessaires pour nous assurer que les fonds que nous allouons ne sont pas mal utilisés. Notre intérêt va de pair avec celui des autorités, car il va dans le sens de la sécurité et de la stabilité du Liban. La corruption est donc un point qu'il est important de combattre, car lié à l'agenda de la stabilité. Nous n'avons pas de projet spécifique lié à la lutte contre la corruption, mais un projet avec le gouvernement concernant les marchés publics. Plus le système des marchés publics est transparent, plus on peut éviter la corruption. L'UE met tout en œuvre pour que soient adoptés des processus et des structures plus modernes: c'est une façon de lutter contre la corruption.

Pensez-vous que le Liban lutte efficacement contre le trafic humain ?
Nous avons coopéré pendant un certain temps sur le dossier du trafic humain. Les arrestations dans le cadre du récent démantèlement d'un réseau de prostitution montrent qu'une véritable enquête a été menée. L'amendement de la législation il y a quelques années montre aussi la volonté du Liban de lutter contre le trafic humain, d'autant qu'avec la crise syrienne, ce problème s'amplifie.

La nouvelle politique de voisinage est-elle toujours d'actualité dans ce contexte? Qu'implique-t-elle aujourd'hui pour le Liban ?
L'UE envisage autrement sa politique de voisinage, car les choses ont changé ces dernières années. Elle a annoncé sa nouvelle politique en novembre dernier. Les grands titres de cette politique sont basés sur les besoins des pays à l'échelle individuelle.
Pour le Liban, les discussions se poursuivent avec les autorités. Cette collaboration est basée sur quatre éléments : d'abord, la sécurité, le contre-terrorisme, l'extrémisme, la justice, les réformes ; vient ensuite la création d'emplois ; la bonne gouvernance, les droits humains et le secteur de la justice sont aussi concernés ; et enfin, un travail doit être fait sur les migrations et la mobilité entre le Liban et l'Europe, car il est important de mieux l'organiser, de faciliter aussi les mesures de visas.
En conclusion, l'UE et le Liban ont beaucoup d'intérêts et de défis en commun. Notre intérêt est que le Liban reste stable et sûr. Nous le voyons comme un symbole de coexistence dans la région, uni dans la diversité. Renforcer les liens est le meilleur moyen d'y parvenir.


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IL PARAIT QU,ELLE N,AVAIT JAMAIS VU DU THEATRE AUPARAVENT...

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 26, le 09 mai 2016

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Commentaires (2)

  • IL PARAIT QU,ELLE N,AVAIT JAMAIS VU DU THEATRE AUPARAVENT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 26, le 09 mai 2016

  • "L'UE salue l'engagement du Liban dans la lutte contre le terrorisme. Nous collaborons ensemble en matière de lutte contre le terrorisme, poussés par une motivation commune, le Liban étant touché par le terrorisme, au même titre que l'Europe. Ses troupes sont aussi aux premières lignes contre Daech et al-Nosra." ! Lâïykéééh, Madame, et contre le terrorisme étatique bääSSyriaNique aSSaSSain aSSadique du Monchâr-Bashâr, RIEN ? Toujours RIEN ? !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    08 h 30, le 09 mai 2016

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