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Moyen Orient et Monde - Portrait

Ahmet Davutoglu, vizir déchu d’Erdogan

Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu s’exprimant lors d’une conférence de presse à Ankara, hier. Adem Altan/AFP

Ex-universitaire ambitieux, le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu s'est efforcé de se tailler une place à part entière dans un paysage politique dominé par le président Erdogan, mais il n'a jamais pu échapper à l'ombre de l'homme fort du pays.
Qualifié par l'opposition de « marionnette » du président Recep Tayyip Erdogan lorsque ce dernier l'avait nommé pour lui succéder en août 2014 à la tête du gouvernement, M. Davutoglu s'est peu à peu taillé une place sur la scène politique turque. Artisan d'une politique étrangère affirmée sous M. Erdogan, dont il a été conseiller diplomatique puis ministre des Affaires étrangères, M. Davutoglu, 57 ans, a acquis une réputation de maître négociateur. C'est lui qui a piloté, côté turc, les discussions avec la chancelière allemande Angela Merkel, qui ont abouti le 18 mars à un accord avec l'Europe sur les migrants, qui pourrait rapporter aux citoyens turcs une avancée historique, l'exemption de visas dans l'espace Schengen.
D'ordinaire doux et souriant, l'ex-professeur a musclé son caractère politique, donnant de la voix sur les estrades et reprenant à son compte les harangues enflammées et truffées de références à l'islam du chef de l'État. Dans un discours prononcé, hier, au siège de l'AKP à Ankara devant certains cadres en larmes, M. Davutoglu a défendu son bilan, affirmant avoir « travaillé nuit et jour », et rendu hommage à M. Erdogan, « le dirigeant fondateur, charismatique » du parti.

Artisan de la diplomatie
Mais ses divergences longtemps gardées secrètes avec le président, réputé pour son caractère bouillant, ont brusquement affleuré ces dernières semaines. Favorable à la reprise des négociations avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) pour mettre un terme au conflit qui ensanglante le sud-est du pays, M. Davutoglu a dû s'incliner devant le chef de l'État pour qui l'unique solution est désormais militaire. Le chef du gouvernement s'est également montré peu pressé de mettre en œuvre le projet de nouvelle Constitution afin d'instaurer un régime présidentiel, que M. Erdogan appelle de ses vœux. Et alors que le Premier ministre semblait vouloir redorer l'image de la Turquie sur la question des droits de l'homme, écornée depuis les manifestations anti-Erdogan brutalement réprimées à Gezi en 2013, M. Erdogan multipliait les déclarations piquantes à destination de l'Europe.
Selon les observateurs, l'accord sur les migrants conclu avec l'UE pourrait avoir scellé le sort de M. Davutoglu, qui a pris la tête des négociations au détriment de M. Erdogan. Les tensions entre les deux hommes ont atteint leur sommet le 29 avril lorsque le comité exécutif central de l'AKP a retiré au chef du gouvernement son pouvoir de nommer les responsables provinciaux du parti, sapant ainsi son autorité. Lors de son discours le plus court jamais prononcé devant sa majorité parlementaire mardi, M. Davutoglu s'est dit prêt à « repousser du revers de la main toute fonction qu'aucun mortel ne refuserait », certains y voyant le signe d'une possible démission à venir. Les observateurs s'attendent à ce que M. Davutoglu s'efface sans remous, tout en restant au sein du parti.
Né le 26 février 1959 dans la province de Konya, en plein cœur de l'Anatolie centrale, religieuse et conservatrice, Ahmet Davutoglu est père de quatre enfants. Après avoir longtemps enseigné l'histoire des relations internationales, il est entré au service de Recep Tayyip Erdogan sitôt celui-ci arrivé à la tête du gouvernement, en 2003. Six ans plus tard, ce polyglotte reprend naturellement le portefeuille des Affaires étrangères. L'auteur du livre Profondeur stratégique imprime alors sa marque sur la diplomatie turque. C'est l'heure de la politique du « zéro problème avec les voisins », qu'il promeut avec l'ambition affichée de rendre à la Turquie un rôle incontournable sur la scène moyen-orientale.
À partir de 2011, les « printemps arabes » vont précipiter l'échec de son projet, que ses détracteurs ont tôt fait de rebaptiser ironiquement « des problèmes avec tous les voisins ». La Turquie est aujourd'hui confrontée à l'extension de la guerre en Syrie à sa frontière, menacée par les jihadistes du groupe État islamique et ensanglantée par le conflit kurde dans le sud-est du pays.

Fulya OZERKAN/AFP

Ex-universitaire ambitieux, le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu s'est efforcé de se tailler une place à part entière dans un paysage politique dominé par le président Erdogan, mais il n'a jamais pu échapper à l'ombre de l'homme fort du pays.Qualifié par l'opposition de « marionnette » du président Recep Tayyip Erdogan lorsque ce dernier l'avait nommé pour lui succéder en août...

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