Dard d’art

Bien sûr que oui : l'art est superfétatoire, parfois. Prétentieux. Vaniteux. Vain. Masturbatoire. Obséquieux. Révolté. Hystérique. Pépère. Ronflant. Provocateur. Despote. Fieffé (menteur). Ingrat. Balourd. Fouineur. Exaspérant. Hors-sujet. Inconfortable. Pompeux. Rat. Violent. Fruste. Clivant.
Bien sûr que oui : L'Orient-Le Jour déplore
grandement que les réactions nées après que ce journal eut hébergé Avis (le projet artistique lancé par Apeal et l'artiste Sirine Fattouh et lié à la mémoire et à la prise de conscience des guerres d'hier et d'aujourd'hui) aient abouti à une guerre de tranchées, sur les réseaux sociaux et dans les salons. Une guéguerre, entre, en gros, les hôtes (producteurs, galeristes, éditeurs, etc.) et les artistes (et les amateurs d'art) ; entre ceux qui ont besoin de leur cocon et de leur ouate en ces temps de tempêtes affreuses et ceux qui ne demandent rien d'autre que d'être bousculés, interrogés, challengés. Une guéguerre d'autant plus sotte que les deux camps n'ont pas compris que ce qui les unit, leur amour des arts, est bien plus solide que tout ce qui les sépare.
Bien sûr que oui : L'Orient-Le Jour s'excuse
sincèrement de la gêne, plus ou moins grande, que l'hébergement d'Avis et son parti-pris radical ont causé à certains acteurs du monde de l'art et des spectacles. Et si c'était à refaire, L'Orient-Le Jour le referait, en rendant indiscutablement plus claires et plus visibles la référence au travail artistique et la fausseté des annonces ; en expliquant avec davantage de précision que ce n'est pas un canular, mais un choix, artistique encore et toujours, qui vaut ce qu'il vaut, mais qui ne prétend aucunement au consensus et à l'unanimité, poisons absolus pour toute forme d'art.
Bien sûr que oui : il n'y a pas d'art, il y a cent et un arts, cent et une façons de faire de l'art, de transmettre l'art, de partager l'art. Et aucun média au Liban, et naturellement au Proche-Orient, n'a autant défendu ces arts, tous ces arts, autant que L'Orient-Le Jour ; aucun n'a ouvert ses colonnes autant à Claude Barzotti qu'aux Massive Attack, à Ragheb Alameh qu'à Mashrou3 Leila ou Irtijal, à Wajdi Moawad qu'à Nemr Abou Nassar, à des rétrospectives Guiraguossian qu'à Ayman Baalbaki, à Ali Chahrour qu'aux Caracalla, à Amin Maalouf qu'à Percy Kemp. Aucun média, audio, visuel ou écrit, n'a fait, comme L'Orient-Le Jour, des arts, tous les arts, un pan entier, pérenne et immarcescible de son ADN.
Bien sûr que oui : l'art sauvera le monde – plus que quiconque, Fiodor Dostoïevski a compris les choses. Et aussi nombreuses que soient, parfois, ses tares et ses vicissitudes, l'art (et la culture en général) reste(nt) le seul vecteur possible et imaginable de résistance – surtout en ce millénaire d'obscurité et d'obscurantisme infinis et insupportables, surtout en cet Orient dénaturé, vitriolé et agonisant. Cette résistance, artistique et culturelle, loin, si loin de ces concepts miliciens et mercenaires sinistres et métastasés que le Liban et la région subissent dans leur chair, c'est depuis 92 ans que L'Orient-Le Jour l'a fait sienne. Organiquement. Dans le passé, et, naturellement, dans ce présent tellement complexe et tellement délétère, mais aussi, et surtout, dans/pour le futur. Le 17 mai, L'Orient-Le Jour lancera un vaste projet de résistance culturelle uniquement axé sur deux postulats incontournables et indiscutables – ici, comme ailleurs : la jeunesse et l'art. Parce que plus que tous les autres, ces deux moteurs peuvent assurer la renaissance et la sérénité d'un pays. Parce que tout ne sera jamais toujours noir – loin de là.
Bien sûr que oui.

P.S.: et pendant ce temps, les Alépins, à l'est comme à l'ouest de cette ville martyre, agonisent, sous la double barbarie assadienne et islamiste. Ailleurs, la vie continue, et doit continuer, naturellement ; l'hyperrésistance culturelle n'a jamais été aussi urgente. Mais il est des réalités, des témoignages, des images qui nous obligent à relativiser – un minimum...