Rechercher
Rechercher

Liban

Bonne : Votre mission de journaliste, vous l’accomplissez sans jamais faillir

Issa Goraieb, éditorialiste de L'Orient-Le Jour, portant la légion d'Honneur. (Photos Michel Sayegh)

Nous publions ci-dessous de larges extraits de l'allocution de l'ambassadeur de France, Emmanuel Bonne, lors de la cérémonie de remise de la décoration de la Légion d'honneur à l'éditorialiste de L'Orient-Le Jour.
« Je suis heureux de vous accueillir nombreux ce soir à la Résidence des Pins. Je suis heureux aussi que tant d'entre vous (...) soient venus pour honorer un grand journaliste (...). En un mot, un grand homme de la vie des idées, de la culture, de l'actualité et du débat (...)
« Cher Issa,
« Je connais votre modestie et dois vous prévenir qu'elle peut souffrir ce soir parce que nous allons parler de vous (...) et saluer ce beau parcours qui est le vôtre. Un parcours d'exigence, de rigueur, de conviction et d'élégance (...). Un parcours d'un demi-siècle au cours duquel le journaliste que vous êtes (...) s'est concentré sur une mission, (...) décrire, éclairer, expliquer (...).
«Une mission essentielle (...) dans ce Liban où, pour reprendre les mots de Michel Chiha, « tout est équilibre et mesure » (...). C'est la ligne des grands journalistes. Celle aussi sans doute des grands musiciens (j'en vois plusieurs), les saxophonistes, les guitaristes, ceux dont vous êtes et avec lesquels vous jouez dans vos meilleurs moments ce rock, ce blues, qui vous va si bien et qui a souvent fait vibrer les murs de cette belle maison.
« Il y a en fait dans votre histoire quelque chose de très libanais : la liberté de penser, l'ouverture aux autres, l'alacrité du verbe, l'éclectisme et l'expérience du grand large. Le grand large parce que vous êtes né dans l'Autre Amérique, comme disait Selim Abou, au Mexique où votre famille est établie. Vous y passez vos premières années et en gardez un goût, des affinités et une sensibilité latine à laquelle vous tenez. Vous revenez ensuite au Liban pour y grandir et y étudier, dans les écoles catholiques puis à l'Université Saint-Joseph dont vous sortez diplômé de droit et d'économie en 1965.
« C'est là, tout de suite, que le journalisme vous happe. La liberté de la presse (...) existe au Liban où la presse est florissante (...). Certains tombent d'être libres (...). C'est alors que vous rejoignez la rédaction du journal Le Jour. Celui de Michel Chiha justement, où vous faites vos débuts (...). Dans le Liban d'avant la guerre (...) on lit encore soit Le Jour, soit L'Orient (...). Mais les temps changent et les deux titres les plus prestigieux de la presse francophone dans le monde arabe fusionnent en 1971 pour devenir L'Orient-Le Jour (...).
« Pour vous, c'est un nouveau départ puisqu'à 29 ans, vous devenez le chef du service étranger de L'Orient-Le Jour (...). Le Liban sombre dans la guerre (...) : on espère une accalmie, un plan, une négociation qui ramènera chacun à la raison. Personne n'imagine qu'il faudra 15 ans et tant de drames pour en sortir.
« Votre mission de journaliste, vous l'accomplissez en tout cas sans jamais faillir dans ces années difficiles. Et vous faites même bien davantage que votre devoir. En 1976, le rédacteur en chef de L'Orient-Le Jour, Édouard Saab, est tué au passage du Musée, tout près d'ici, et c'est vous qui prenez sa relève. Vous le faites avec courage et détermination. Beaucoup de collègues mais aussi de lecteurs ont fui le Liban. Il est difficile d'assurer la parution du journal un jour après l'autre. Mais vous le faites. Entouré d'une petite équipe, dans vos locaux de Hamra, tous unis dans la même foi que le journal doit paraître. C'est important pour la vérité. C'est important pour le Liban. Cela ne se discute pas. Vous campez donc dans vos bureaux. Vous ne rentrez pas chez vous. Vous prenez beaucoup de risques à une époque où Beyrouth est tristement divisé en deux. Mais le journal paraît. Toujours. Obstinément. Même dans les pires moments du siège de Beyrouth en 1982. Quatre pages seulement. Oui mais quatre pages qui sont le témoignage de votre liberté et de votre insoumission. »

« La France a des amis partout dans le monde »
« Dans ces années terribles, L'Orient-Le Jour est un repère précieux qui donne (...) les grandes et les petites nouvelles, celles de la grande histoire et celles des gens dans leur quotidien. (...) La paix revenue, c'est d'ailleurs cette volonté qui vous amène encore à prendre position, à réclamer autant qu'il est alors possible que le Liban retrouve sa souveraineté, que cessent la mise sous tutelle, le pillage des ressources (...)
« En 2003, vous quittez la rédaction en chef et vous vous concentrez sur votre responsabilité d'éditorialiste. Vous le faites avec talent, un sens aigu des réalités (...). C'est cela qui vous vaut d'avoir la confiance de tous et notamment du PDG, le ministre Michel Eddé, et je veux rendre une nouvelle fois hommage ce soir à M. le Ministre, pour votre travail au service de la culture, pour votre engagement francophone et pour toute la passion que vous mettez à faire vivre ce beau journal.
« Cette confiance, c'est aussi celle des actionnaires et je salue notamment le ministre Michel Pharaon et je pense à ce qu'il a pu faire pour rapprocher le Commerce du Levant maintenant lié à L'Orient-Le Jour. Cette confiance, c'est aussi celle de vos collègues, celle des jeunes générations qui ont intégré la rédaction et appris le métier à vos côtés. C'est enfin, et surtout, celle des lecteurs qui débattent de vos idées, de votre style et de vos choix éditoriaux à chaque fois que vous publiez. J'en suis témoin, on en parle. Et je suis aussi témoin que vous avez même la confiance des diplomates. Ce qui n'est pas rien car ils se méfient généralement de la presse mais comme tout le monde, ils en ont besoin. Ce qui fait que pour paraphraser François Mitterrand, je peux dire, ironiquement bien sûr, que les politiques, comme les diplomates d'ailleurs, « considèrent généralement que la liberté de la presse présente des inconvénients mais beaucoup moins que l'absence de libertés ». « Cette liberté, c'est celle que vous continuez d'exercer avec le plus grand talent (...). Bien loin des tentations communautaires, des haines identitaires, vous n'avez jamais cessé d'être un patriote (...).
C'est donc une belle œuvre que vous avez construite. Nous vous en sommes très reconnaissants et vous pouvez en être fier. Vous avez réfléchi, écrit, produit pour des générations de lecteurs, et je dois confesser ce soir (...) que je me trouve parmi ces lecteurs depuis longtemps. Dans mon expérience personnelle du Liban (...), il y a ces jours des années 80 où je guettais l'arrivée du journal dans les kiosques à Paris. À l'époque il coûtait cher pour un lycéen : 10 francs. Mais je vous y lisais et je prenais des nouvelles de Beyrouth (...).
« Je vous raconte tout ça (...) pour vous dire que L'Orient-Le Jour, vous-même, toute l'équipe de la rédaction (...) avez joué un rôle et continuez de jouer un rôle important de passeurs pour des générations de Français en route pour le Liban, curieux d'en savoir plus (...). C'est un privilège de pouvoir lire un journal en français au Liban, au Moyen-Orient, dans le monde arabe. (...) Un journal de qualité qui pratique le français avec la conviction qu'on écrit mieux dans cette langue que dans d'autres (...). C'est le produit de l'histoire mais pas seulement. C'est aussi un pari sur l'avenir. Celui d'une francophonie jeune, porteuse d'idées, de valeurs et de débats, en prise avec son temps (...).
« Au cours des cinquante années de journalisme que vous avez derrière vous (...), vous avez notamment été l'un de ceux grâce auxquels la France peut dire qu'elle a des amis partout dans le monde, qui pratiquent sa langue, qui l'aiment telle qu'elle est cette France, et contribuent au rayonnement de ses valeurs et de ses idéaux républicains. C'est pour toutes ces raisons, qui sont celles de la qualité, des valeurs, de l'engagement, que je suis heureux de vous apporter ce soir le témoignage de l'estime et de la reconnaissance de la République française. Issa Goraieb, au nom du président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons chevalier de la Légion d'honneur. »

Nous publions ci-dessous de larges extraits de l'allocution de l'ambassadeur de France, Emmanuel Bonne, lors de la cérémonie de remise de la décoration de la Légion d'honneur à l'éditorialiste de L'Orient-Le Jour.« Je suis heureux de vous accueillir nombreux ce soir à la Résidence des Pins. Je suis heureux aussi que tant d'entre vous (...) soient venus pour honorer un grand journaliste...

commentaires (2)

"Un parcours d'exigence, de rigueur, de conviction et d'élégance, concentré sur une mission d'écrire, éclairer et expliquer. Votre liberté, c'est celle que vous continuez d'exercer bien loin des tentations communautaires, des haines identitaires. Vous n'avez jamais cessé d'être un patriote, dans le bon sens du terme. Vous avez été l'un de ceux grâce auxquels la France peut dire qu'elle a des amis qui l'aiment telle qu'elle est, elle qui doit toujours contribuer au rayonnement des valeurs et des idéaux républicains.".

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

07 h 42, le 26 mai 2016

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • "Un parcours d'exigence, de rigueur, de conviction et d'élégance, concentré sur une mission d'écrire, éclairer et expliquer. Votre liberté, c'est celle que vous continuez d'exercer bien loin des tentations communautaires, des haines identitaires. Vous n'avez jamais cessé d'être un patriote, dans le bon sens du terme. Vous avez été l'un de ceux grâce auxquels la France peut dire qu'elle a des amis qui l'aiment telle qu'elle est, elle qui doit toujours contribuer au rayonnement des valeurs et des idéaux républicains.".

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    07 h 42, le 26 mai 2016

  • Vous meritez cet eloge et la legion d honneur

    Nicolas Bassili

    05 h 33, le 04 mai 2016

Retour en haut