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Moyen Orient et Monde - Bangladesh-Droits de l’homme

« Jamais nous ne céderons aux menaces des islamistes »

L'activiste-blogueur Imran Sarker poursuit sa lutte contre l'injustice régnant dans son pays.

Le blogueur Imran H. Sarker. Photo Facebook personnel

« Les islamistes ne souhaitent qu'une chose : un retour en arrière. Mais jamais nous ne céderons, malgré leurs menaces. » Derrière ces mots, une voix qui porte. Imran Sarker aurait pu se fondre dans la masse bangladaise de plus de 168 millions d'habitants et faire une belle carrière de médecin, mais il préfère lutter contre l'injustice et se battre pour les droits de ses concitoyens. Son choix a été fait et il ne regrette rien. Aujourd'hui, plus de 60 millions de Bangladais ont accès à Internet. L'activiste-blogueur laïc, le plus connu du pays, se sait premier sur la liste des personnes à abattre, mais il est trop tard pour renoncer. En 2007, alors étudiant à l'école de médecine de Rangpur, à 300 km de Dacca, la capitale du Bangladesh, Imran Sarker se lance sur la Toile en ouvrant son propre blog, en bengali. Le phénomène n'a pas encore le succès qu'on lui connaît aujourd'hui, mais il parvient rapidement à regrouper autour de lui une communauté de jeunes, lasse, comme lui, des inégalités constantes au sein de la société et de l'immobilisme des autorités. Le pays souffre alors d'une corruption extrême, du désordre et de la violence politique.

En traitant de sujets tels que les droits des femmes, ceux des minorités ethniques et religieuses, et avec une prise de position contre l'islam radical, dans un pays où près de 90 % de la population est musulmane, l'activiste-blogueur va contribuer à ébranler une société, déjà fragile depuis la guerre de libération que le pays a menée 46 ans plus tôt. Le Bangladesh était alors la province orientale du Pakistan composé de deux entités : le Pakistan occidental et le Pakistan oriental. Entre les deux, le géant indien. Mais en mars 1971, les rebelles bangladais affrontent les troupes pakistanaises et réclament leur indépendance, qu'ils obtiendront, neuf mois plus tard, notamment grâce à l'aide de l'Inde et de son Premier ministre de l'époque, Indira Gandhi. Selon Amnesty International, le conflit a coûté la vie à plus de 3 millions de personnes et entraîné un exode de 9 millions vers l'Inde.

Mouvement Shahbag
Quarante ans plus tard, les plaies sont encore vives. Sur le devant de la scène, Imran Sarker et plusieurs autres intellectuels du pays vont être les fers de lance de la chasse aux criminels de guerre, dont les actes sont restés impunis. Mais, en coulisses, des activistes et des intellectuels vont faire les frais de leur véhémence et mourir en silence. Parmi les responsables de ces assassinats, la branche bangladaise de la Jammaat el-islami pakistanaise, dont la dissolution est réclamée par les activistes. Ce parti politique islamiste s'était opposé à la guerre de libération. Parti interdit à l'indépendance, ses partisans se sont petit à petit réinvités dans la sphère politique, jusqu'à réussir à faire élire des députés au Parlement. Mais son leader Quader Mollah va être rattrapé par la justice en 2010. Jugé coupable de génocide, d'assassinats et de viols, la justice bangladaise le condamne, le 5 février 2013, à la prison à perpétuité. Peine trop clémente pour la rue, qui réclame la tête de Mollah, surnommé le « boucher de Mirpur », en référence aux exactions qu'il a commises lors de la guerre de libération de 1971. Le soir même, les blogueurs et les activistes vont mobiliser l'opinion publique et font descendre des milliers de personnes à l'intersection de Shahbag au cœur de Dacca. Le 8 février, ils seront des millions à battre le pavé des grandes villes du pays.

Alors professeur à l'école de médecine de Dacca, Imran Sarker n'en a pas pour autant délaissé ses activités « révolutionnaires », bien au contraire. Il sera le porte-parole désigné du mouvement Shahbag. Le gouvernement ne résistera pas bien longtemps à la pression de la rue, dont les sit-in permanents seront relayés par les médias locaux et internationaux. « Les journalistes ont tout de suite adoubé ce mouvement, car il est libéral et démocratique. Beaucoup de médias se sont joints à nous. La plupart même, sauf ceux de droite », raconte Imran Sarker, joint par L'Orient-Le Jour au téléphone. Un vent de printemps arabe souffle sur le pays. L'événement est comparé aux manifestations de la place Tahrir en Égypte. M. Sarker sera d'ailleurs en contact permanent avec des blogueurs égyptiens et tunisiens. Mollah sera finalement pendu le 12 décembre 2013. Seuls le Pakistan et le Qatar condamneront officiellement son exécution.

« Trop bruyants »
La vengeance ne tardera pas, puisque plusieurs activistes, écrivains et éditeurs seront assassinés à la machette ou par balles par des groupes fondamentalistes. Le mouvement va s'amplifier afin que lumière soit faite sur ces meurtres. « Nos revendications vont désormais se porter vers d'autres problèmes. Mais nous sommes devenus trop bruyants aux yeux du gouvernement », raconte Imran Sarker, 33 ans. Car à trop vouloir dénoncer la corruption, la léthargie de l'appareil judiciaire et l'establishment, c'est le socle politique qu'il lézarde un peu plus. « Ils nous ont dit pourquoi ne vous concentrez-vous pas sur les criminels de guerre, pourquoi soulever d'autres pierres ? » poursuit l'activiste. Les menaces se font publiquement et sont particulièrement acides sur les réseaux sociaux. « Dimanche, j'ai reçu un appel téléphonique anonyme. Un homme m'a clairement dit qu'il allait me tuer très bientôt », confie Imran Sarker.

Ce 24 avril, cette menace avait, selon lui, un rapport avec ses critiques contre le gouvernement, accusé de réprimer les voix dissidentes, plutôt qu'avec ses prises de position anti-islamistes. Celui qui avait reçu, à travers les manifestations de 2013, le soutien tacite du parti de la Première ministre Sheikh Hasina, ferait-il désormais peur au pouvoir en place, le percevant comme un véritable animal politique? La veille de la menace téléphonique, un professeur d'université avait été tué à coups de machette par des islamistes présumés, dernier en date d'une série d'assassinats de militants. « Vingt d'entre nous, militants, blogueurs, écrivains, sont morts en quelques années. Je n'ai pas peur pour moi, mais pour mon pays. Ma sécurité n'est pas le problème. Surtout quand on vit sous la menace quotidiennement », confie Imran Sarker qui vit désormais caché. « Je n'ai pas de garde du corps. Je ne sors que très rarement, sauf lors de manifestations où je suis entouré des autres activistes », dit-il.

Rester à la maison
Les Bangladaises ne sont pas en reste au sein de ce mouvement. Leur liberté en dépend. Notamment celle de pouvoir travailler, ce que les islamistes ne voient pas d'un bon œil. Les radicaux souhaiteraient voir les 4 à 5 millions de femmes travaillant dans l'industrie textile rester à la maison. « Nous sommes pour l'égalité entre les hommes et les femmes. Elles sont en ligne de front. C'est très bien qu'on ait d'ailleurs une femme comme Premier ministre. Mais, cette fois, nous lui reprochons de ne pas être efficace après l'assassinat du professeur samedi dernier », explique Dr Sarker.

La diversité du tissu religieux et ethnique est également au centre des contestations. Des milliers d'hindous ont fui le pays depuis l'indépendance, à cause des discriminations. « Notre pays est multiple. Il y a des hindous, des chrétiens, des bouddhistes aussi, et ils ont le droit de vivre ici. Nous sommes une société séculière, et personne n'a le droit de contester cela », proteste l'activiste. La menace des extrémistes religieux plane encore sur le pays. Si le gouvernement insiste sur le fait qu'il n'y a pas de membres du groupe État islamique (EI) sur son sol, d'autres groupuscules radicaux, fortement inspirés de l'étranger, pullulent. « Tout ce que nous espérons, c'est un meilleur Bangladesh. Nous espérons que cette série d'assassinats cesse, et que l'État nous protège », conclut Imran Sarker.

À peine l'interview de l'activiste terminée, le meurtre de deux Bangladais connus pour leur engagement en faveur des droits des homosexuels a été annoncé, lundi dernier, par l'AFP, revendiqué par Ansar el-islam, la branche d'el-Qaëda dans le sous-continent indien. Xulhaz Mannan, 35 ans, l'éditeur de Roopbaan, le seul magazine de la communauté gay et transgenre du Bangladesh, et Mahbub Tonoy, un militant gay de 25 ans, sont venus allonger la liste des sacrifiés au nom de la liberté.

 

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« Les islamistes ne souhaitent qu'une chose : un retour en arrière. Mais jamais nous ne céderons, malgré leurs menaces. » Derrière ces mots, une voix qui porte. Imran Sarker aurait pu se fondre dans la masse bangladaise de plus de 168 millions d'habitants et faire une belle carrière de médecin, mais il préfère lutter contre l'injustice et se battre pour les droits de ses concitoyens....

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