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Lifestyle - Photo-roman

Ma sorcière mal-aimée (de la rue Monnot)

Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, une photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières. C'est selon...

Photo G. Khoury (recadrée)

Elle a la force de celles qui provoquent à égalité le regard et le rejet, la fascination et l'aversion. On la verrait volontiers dans le décor d'une Amérique sépia qui partait en mission, lanternes illuminées et Bibles enflammées, à la chasse aux sorcières. D'ailleurs, certains jurent l'avoir vue enfourchant son balai et s'envolant dans des cieux basanés où elle aurait élu domicile entre ses copines chouettes et chauves-souris. Ils lui ont même inventé une parenté physiologique avec Mother Shipton, vieille magicienne retorse et lunaire aux pommettes replètes sur joues excavées. Et c'est sans doute parce qu'elle a le poing fermé sur cette identité fantomatique, probablement parce qu'elle n'en pipe rien à personne sinon à son chat noir, que son quartier lui a monté un mythe de toutes pièces. Mais l'étonnant, c'est qu'elle laisse brûler le soufre de cette réputation aux volutes méphitiques et elle s'y plaît presque, alors qu'elle défile rue Monnot sous les regards déconcertés et leurs « la voilà, la voilà ! » qui se noient aussitôt dans son chaudron de renoncement.

« Madame no good ! »
Dans les vieux quartiers de Beyrouth plus qu'ailleurs, là où l'on se perce en plein dans l'intimité pour y glisser la loupe des veilleurs d'ombres, il aura suffi d'un rien pour qu'on crie haro sur cette femme supposément malfaisante. Son innocent fichu qui rehausse les (di)vagues de ses rides aurait fiché le doute dans les cervelles pois chiche des mégères de sa rue. Ses lunettes rondelettes auraient arrondi les yeux de ceux qui la jugent comme on condamnait les sorcières de Salem. Encagée dans son immeuble qui se repliait sur lui-même à mesure que les tours glaciales poussaient autour, son logis décrépi n'avait fait qu'ajouter de l'eau au moulin de sa vie toute en rumeurs. Depuis, l'appartement dont elle occupe le rez-de-chaussée n'a jamais été habité. De fil en aiguille, ses voisins craignent l'idée même de traverser son palier et sautillent à pieds joints les escaliers de peur d'être pris dans ses filets puis jetés aux orties. S'il manque du riz, une gousse d'ail ou une botte de persil, ce n'est pas à sa porte qu'il faudra sonner. Tout l'immeuble le sait, et surtout les employées de maison à qui l'on a expliqué que c'est une «madam no good!», une «femme dangereuse» qu'on doit à tout prix «éloigner des enfants». Le voisinage a d'ailleurs compris que si cette tireuse de diables par la queue leur sourit, c'est indubitablement pour les attirer vers sa marmite bouillante où baigne le cadavre d'une potion magique. Mais à les entendre murmurer, c'est la nuit qu'il faut être davantage vigilant, qu'il faut craindre ses mains griffues et son nez crochu. Car c'est, paraît-il, le moment inspiré où on l'aurait entendue fredonner des formules magiques et des abracadabras sur fond de verres brisés et de rats éventrés. Cerise sur le gâteau (empoisonné, bien sûr), elle ne fréquente pas l'église du coin, n'a épinglé aucune icône religieuse à sa porte. Le drame! Elle était là l'enchanteresse, la mystérieuse. Elle serait ensuite devenue la pécheresse, la scandaleuse.

Charles, le persan obèse
Hier après-midi, on l'a vue dévaler la rue Monnot à toute vitesse, donnant le bras à son indécollable balai, babillant seule et sans trêve. Elle tournique en moulinette et les regards oublient vite son allure pour se concentrer sur son époussette ébouriffée et inquiétante. Si l'œil des passants se fait importun, ce n'est pas pour savourer le spectacle ou s'attendre à ce qu'une grenouille se métamorphose en prince, mais plutôt pour palper la possibilité d'un sortilège qui les enverrait tous en fumée. «Nous sommes le 22 avril, ce soir c'est la pleine lune!» a-t-on même chuchoté. Leur couardise les fait alors galoper dans tous les sens avant même d'avoir constaté que c'est elle qui avait disparu. En réalité, quelques minutes plus tôt, alors qu'elle s'attelait gentiment au nettoyage de son palier, Alice, la jeune voisine du troisième, avait atterri sur son étage. Elle sanglotait de tout son torse: «My cat, I lost my cat. J'ai cherché partout, je ne le trouve pas, il s'est enfui.» D'un geste, la sorcière mal-aimée avait tout abandonné, sauf son balai, et s'était propulsée dans la rue pour retrouver le minet. Elle avait passé l'après-midi à le chercher, partout dans la rue, dans les poubelles, sous les voitures, à l'appeler, lui chanter même. Rien, il avait disparu. La jeune fille l'avait remerciée du bout des lèvres avant de rentrer chez elle, triste et bredouille.
Mais le lendemain à l'aube, Alice avait senti quelque chose lui mordre les pieds. C'était Charles, son persan obèse qui la réveillait comme tous les matins pour qu'elle lui mette à manger. On appelle ça de la magie.

 

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SEULS... LES IDIOTS GOBENT JOYEUSEMENJT LES IDIOTIES DES SORCIERS ET SORCIERES !

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 05, le 30 avril 2016

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  • SEULS... LES IDIOTS GOBENT JOYEUSEMENJT LES IDIOTIES DES SORCIERS ET SORCIERES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 05, le 30 avril 2016

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