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Liban - Social

Pour de jeunes malentendants, le handicap ne doit pas être un obstacle au travail

Le Bureau libanais de la recherche en surdité organise, pour la seconde année consécutive, un forum des spécialisations et des métiers spécialement conçu pour les malentendants.

Le coup d’envoi des ateliers de travail du forum. Photo fournie par le BLRS

« Les sourds ont perdu un sens, mais ils n'ont rien de moins que les autres. » Ce cri du cœur, c'est Joe, 23 ans, qui le lance à l'intention des employeurs qui mettent les CV des malentendants et autres handicapés de côté sans y jeter le moindre coup d'œil. Joe suit actuellement une formation en informatique, après une expérience malheureuse en électronique. « Je suis là pour convaincre les malentendants plus jeunes que malgré les difficultés, il ne faut en aucun cas abandonner les études », dit-il. Même message du côté d'Aline, 28 ans, pétillante jeune femme diplômée en graphic design, mais qui, ne trouvant pas de travail, est revenue donner des cours à l'Institut Père Roberts où elle avait été scolarisée. « Il ne faut surtout pas abandonner les études ni céder à la peur », dit-elle.

Joe et Aline sont un exemple de jeunes personnes qui, à la demande du Bureau libanais de la recherche en surdité (BLRS), ont participé au Forum des spécialisations et des métiers, conçu pour les élèves malentendants en classes terminales des instituts spécialisés du pays. Cet événement, qui se tient pour la seconde année consécutive et qui coïncide cette fois avec la Semaine arabe de la surdité, aide ces élèves à y voir plus clair et à surmonter d'éventuelles appréhensions concernant l'entrée aux universités – qui pourraient ne pas être adaptées à leurs besoins – et au marché du travail, dont les portes ne leur sont pas toujours ouvertes. Plus de 200 personnes, dont près de 150 élèves de plusieurs instituts, avaient répondu présent.

Selon Joëlle Wheibé, orthophoniste et membre de l'Institut Père Roberts et du BLRS, il est primordial d'informer les jeunes sur les spécialisations qui leur sont accessibles, que ce soit dans le milieu académique ou technique. « Cette année, nous avons repéré de nouvelles spécialisations auxquelles les jeunes malentendants peuvent se joindre comme la physiothérapie, l'éducation en classes maternelles, la photographie, etc. », dit-elle.
Sœur Patrice Moussallem, vice-présidente du BLRS et supérieure de l'Institut Père Roberts, précise que les échos de l'événement de l'année dernière étaient si positifs qu'il aurait été impensable de ne pas organiser un forum similaire cette année. « Nous avons également invité les universités cette fois pour que les jeunes explorent les filières qui pourraient leur être ouvertes », dit-elle. Elle constate du progrès dans l'état d'esprit des jeunes. « Auparavant, nous les orientions pour le choix des études, aujourd'hui, ils expriment tout haut ce qu'ils veulent faire », constate-t-elle.

Ce forum sera dorénavant une tradition annuelle, précise Viviane Touma, présidente du BLRS, psychologue clinicienne et professeure. « Nous avons demandé une nouvelle fois à de jeunes diplômés ou universitaires malentendants de parler aux plus jeunes de leur expérience et des défis qu'ils rencontrent, précise-t-elle. Nous avons surtout tenu compte des remarques que les jeunes ont exprimées l'année dernière dans le choix des formations que nous avons mises en avant : c'est la raison pour laquelle nous avons écarté certaines disciplines qui se sont avérées difficiles à suivre pour les jeunes malentendants. »


(Lire aussi : « Mon handicap joue un rôle primordial dans mes entretiens d’embauche »)

 

Un département pour les affairesdes handicapés
Au cours du forum, les élèves malentendants étaient nombreux à poser des questions aux représentants d'université. Parmi ces établissements, celui des Kafa'at est le premier à avoir fondé un département spécialement conçu pour s'occuper des affaires des étudiants handicapés. À sa tête, Ibrahim el-Abdallah, lui-même malvoyant.
« À Kafa'at, notre philosophie est de ne refuser l'éducation à personne, dit-il. Nous avons voulu que notre établissement soit adapté aux besoins des handicapés et avons eu recours à l'expérience américaine. Ce sont les Américains qui nous ont conseillé de créer un département spécial. Nous sommes là pour conseiller aux étudiants telle ou telle branche, sans les obliger à renoncer à quoi que ce soit. »
Cette politique est payante : sur quelque 5 000 étudiants, il y a près de 200 handicapés, l'une des meilleures moyennes dans les établissements universitaires et techniques. « Nous constatons un progrès remarquable dans les mentalités, mais beaucoup reste à faire, dit-il. Nous sommes prêts à contribuer à une amélioration de la situation dans le milieu universitaire, notamment par des formations. »

Une autre initiative innovante a été exposée aux jeunes par l'Université Saint-Joseph (USJ). Najate Malhamé, de l'Institut libanais d'éducateurs de cette université, explique qu'une formation est à l'honneur dans ce forum, celle de l'orthopédagogie. Il s'agit de la formation d'enseignants pour personnes à besoins spéciaux. « Nous voulons sonder les jeunes malentendants, voir si certains d'entre eux seraient intéressés par ce domaine, dit-elle. Nous sommes prêts à assurer cette formation d'une manière qui leur soit adaptée. » Cette idée semble avoir trouvé un écho : une jeune élève malentendante de 17 ans, Joëlle, nous dira avoir eu une révélation en écoutant les détails sur cette formation.

 

(Lire aussi : « Le handicap doit être au cœur des Objectifs du millénaire de l'Onu »)

 

Marché du travail : des portes fermées, mais...
Toutefois, quelle que soit la formation, que faire si la société demeure réticente à inclure les handicapés dans le monde du travail ? Marie el-Hajj est chef du département consacré aux personnes handicapées au ministère des Affaires sociales, et elle se montre pessimiste. « La loi sur les handicapés doit être appliquée, dit-elle. Or, l'insertion dans le marché de l'emploi concerne tous les ministères, sachant que la coordination est insuffisante entre eux. À titre d'exemple, le quota de 3 % de handicapés dans les entreprises qui emploient plus de cent personnes n'est pas appliqué par le ministère du Travail : celui-ci affirme craindre de porter préjudice à ces sociétés dans un contexte de crise économique. Mais il faut être conscient du potentiel que ces personnes représentent. »
Marie el-Hajj plaide aussi pour une évolution des mentalités, en vue d'une insertion réussie des handicapés dans la société. « Je suis favorable à une sensibilisation autour de ces sujets, d'où le fait que j'appuie toujours des événements tels que ce forum », dit-elle.

Les difficultés n'empêchent pas les succès, parfois relatifs. Élie Hanna est diplômé d'une grande école de mode à Beyrouth, et ses créations, exposées au cours du forum, prouvent l'étendue de son talent. Pourtant, l'envoi de son CV à de nombreux employeurs n'a rien donné. « Aujourd'hui, je travaille à la maison et je vends mes créations, raconte-t-il. Mon ambition est de bientôt organiser un défilé de mode à Beyrouth puis d'ouvrir ma boutique. »
Idem pour le jeune Mehdi, qui a été formé à l'hôtellerie dans un des instituts spécialisés, al-Hadi. « J'ai effectué un stage dans un restaurant, dit-il. Mon patron a tellement aimé mon travail qu'il m'a embauché sans hésiter, même si je dois parfois m'absenter pour poursuivre mes études. » Fatima el-Medlej et Abir Habib, toutes deux responsables au sein de l'institution al-Hadi, insistent sur l'importance de tels succès dans l'insertion des handicapés sur le marché du travail. « Les employeurs ont peur de l'inconnu, il est crucial que ces jeunes aient l'occasion de se prouver, cela leur suffira pour s'imposer », disent-elles.

Et pour la sensibilisation, rien de tel que des événements comme le Forum des spécialisations et des métiers du BLRS. « Le plus important, c'est qu'un événement tel que celui-ci regroupe les institutions spécialisées dans un objectif commun, loin de tout esprit de compétition », souligne pour sa part le père Jean-Marie Chami, président de l'association L'Écoute.
Laa réalisation majeure d'un tel forum est peut-être de communiquer l'espoir aux jeunes. Pascale, 17 ans, arbore un sourire contagieux : « Je n'ai peur de rien. Nous pouvons travailler comme n'importe qui d'autre, pourquoi ne nous donnerait-on pas notre chance ? »

 

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